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Royal Ballet (Londres)
11 mars
2009 : Isadora - Dances at a Gathering
Tamara Rojo dans Isadora, chor. Kenneth MacMillan
"C’est
la gloire" s’exclame Isadora dans son ultime
périple vers la mort… Eh bien, pas pour tout le
monde! Sans connaître l'ouvrage originel de Kenneth MacMillan, il
est difficile de se faire une idée de ce que le
chorégraphe voulait faire de l’histoire d’Isadora
Duncan ; mais, en regardant le spectacle présenté par le
Royal Ballet cette saison, on peut dire que la reconstitution de ce
qu’il n’a pas fait est une catastrophe. Quelle idée
que de condenser un ballet pourtant pas si ancien (1981), d'un artiste
pourtant révéré dans cette maison, surtout pour en
faire un gimmick bon marché et indigeste? Le manque de
créativité au Royal Ballet est inquiétant et
l’exploitation dévoyée du répertoire de
MacMillan n’est sans doute pas le meilleur moyen de pallier la crise...
Le ballet désormais réduit à un acte est
affligé d’un montage grossier - et lourd avec cet
écran qui monte et descend entre deux scènes - de films
d'époque. Quelques images d’Isadora et de sa famille
introduisent les parties dansées, elles-mêmes
commentées par des récits autobiographiques
assenés d'une voix qui se veut convaincue, mais dont le ton
didactique et la véhémence finissent par irriter, surtout
lorsque cela couvre la musique. On se croirait presque dans un
documentaire à vocation pédagogique. Tout cela devient
vite affreusement gênant, d’autant que les passages
dansés sont plutôt réussis, avec une Tamara Rojo
particulièrement engagée dans son rôle. Ils
restituent bien cette manière différente de se mouvoir,
que prônait Isadora Duncan, - ou tout du moins qui a
marqué la mémoire collective. Chaque geste, chaque
interaction avec un personnage sont porteurs d’un sens et
d’une tension qui montrent bien le personnage dans la
complexité de son rapport à l’autre. De vastes
mouvements du corps replié sur lui-même
transcrivent ainsi les émotions, mais sans tendre vers
l'expressionnisme : de brefs épisodes de joie, mais surtout
d'affliction, car le ballet privilégie le tragique, fournissent la
matière d'un
travail très intéressant, même s'il s'avère
un peu
répétitif.
Les scènes d'amour sont confiées à Edward Watson,
qui incarne un Edward Gordon Craig très éthéré,
et à Gary Avis (Paris Singer / Chanteur parisien), toujours présent dans les rôles virils. Ils sont certes un peu convenus mais on ne se lasse pas
de voir les lignes interminables que dessine Edward Watson dans les
airs, épisodes calmes et rassurants au milieu d’une
catastrophe artistique.
Tamara Rojo et Gary Avis dans Isadora, chor. Kenneth MacMillan
L'étendue du désastre est perceptible avec l'apparition
de Brian Maloney qui, en petit baigneur, vient offrir un dernier
orgasme à une Isadora accablée de chagrin : on est proche
de l'hilarité devant tant de grotesque… Mais le sommet du
ridicule n'est pas encore atteint : il s'affiche d'une part dans le
registre du mauvais
goût morbide lorsque les deux cadavres des enfants de la
danseuse - morts en bas âge dans un accident de
voiture - sont exhibés sur scène avant que leurs
cercueils n'apparaissent dans une procession funèbre.
Histoire d'enfoncer un peu plus le clou, le bébé
mort-né dont a accouché l'enfant est lui aussi brandi
l'espace d'un instant. D'autre part, le clinquant est aussi de mise
avec une Isadora montrant ses seins en chantant la Marseillaise!
Tamara Rojo dans Isadora, chor. Kenneth MacMillan
Les auteurs de ce digest d'une heure, films compris, n’ont pas
trouvé dans la chorégraphie de MacMillan, les transitions, la force évocatrice, les commentaires lyriques
indispensables pour assurer un minimum de cohérence et de grandeur à l'œuvre.
Les problèmes soulevés par Dances at a Gathering
sont d'une nature différente. La substance chorégraphique
est consistante et les danseurs peuvent y exprimer leur art.
Malheureusement, depuis les représentations de mai 2008, le
Royal Ballet ne semble pas avoir réussi à trouver une
homogénéïté de style et une vraie
unité entre les dix solistes requis pour l'ouvrage. A leur
décharge, ceux-ci ont été quasiment tous changés, à l'exception de Lauren Cuthbertson, Laura
Morera et Sergei Polunin, qui sont les plus en phase avec
le propos léger et serein de Jerome Robbins.
Cependant, les rencontres sont souvent heurtées et manquent de
fluidité, comme si on en était encore au stade des
répétitions.
Yuhui Choe et Bennet Gartside dans Dances at a Gathering, chor. Jerome Robbins
Johan Kobborg, en brun, fait figure, avec son style lourd et rude,
d'erreur de distribution : chemise mal
ajustée, réceptions
bruyantes (ah! la vivacité et la légèreté de
Benjamin Millepied...) augurent mal de la suite du ballet. C'est le
diaphane Edward Watson qui lui succède, précis et
virevoltant dans les airs. Le second mouvement, grâce à la
présence d'une Lauren Cuthbertson mutine et efficace, toujours
très à l’aise dans ce
style de rôle abstrait - elle était la danseuse en vert
l’année passée -, relance un
peu la machine, mais on a du mal à percevoir chez les danseurs
un vrai sens musical.
Edward Watson et Johannes Stepanek dans Dances at a Gathering, chor. Jerome Robbins
Bennet Gartside semble encore un peu en retrait, peu précis et
souvent hésitant lorsqu’il devise avec
Johannes Stepanek et Edward Watson, impressionnants dans leurs sauts.
Plus généralement, les trois garçons se devraient
d'être mieux coordonnés, et
les portés manquent parfois de fini,
notamment dans la longue série où les garçons se
lancent les filles (idée moyennement
heureuse en soi). Celles-ci ne sont pas plus efficaces dans les
placements et
la synchronisation. Plus ennuyeux, les danseurs - y compris Leanne Benjami, qui est pourtant une
référence en la matière - peinent à s'insérer dans la trame mélodique, si importante dans ce ballet.
Laura Morera dans Dances at a Gathering, chor. Jerome Robbins
Demeurent quelques moments plutôt agréables, car pris
individuellement, les danseurs sont quand même très bons,
en particulier Laura Morera, en solo ou en compagnie d'un Sergei
Polunin d'une perfection époustouflante, redisons-le. Laura
Morera, précise
et dynamique, livre une danse d’une fluidité et d'une
musicalité très justes, tout comme Lauren Cuthbertson
qui forme avec Edward Watson un duo attentif et attentionné. En
revanche, Yuhui
Choe fait montre d’un style excessivement coulé et
esthétisant, et la musique semble passer sur elle sans jamais la
pénétrer… Les mouvements se cantonnent dès
lors à une
série de démonstrations, sans jamais instaurer une
atmosphère véritable : beaucoup de talent
gâché...
Maraxan © 2009,
Dansomanie
Isadora
Musique : Richard Rodney Bennett
Chorégraphie : Kenneth MacMillan
Isadora : Tamara Rojo
Edward Gordon Craig : Edward Watson
Paris singer : Gary Avis
Tango man : Ricardo Cervera
Man on beach : Brian Maloney
Loïe Füller : Vanessa Palme
Isadora's rival : Laura Morera
Irma : Emma Maguire
Dances at a Gathering
Musique : Frédéric Chopin
Chorégraphie : Jerome Robbins
Pink : Yuhui Choe
Mauve : Lauren Cuthbertson
Apricot : Laura Morera
Green : Leanne Benjamin
Blue : Samantha Raine
Brown : Johan Kobborg
Purple : Bennet Gartside
Green : Edward Watson
Brick : Sergei Polunin
Blue : Johannes Stepanek
The Royal Ballet
The BBC Concert Orchestra
Dir. Barry Wordsworth
Mercredi 11 mars
2009, Royal Opera House, Londres
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