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Ballet National du Rhin (Mulhouse - Strasbourg - Colmar)
06 février
2009 : La Sylphide (A. Bournonville), à la Filature de Mulhouse
La
Sylphide était l’événement classique attendu
de ce début d’année par tous les amoureux du genre.
Le Ballet du Rhin, comme de nombreuses autres compagnies, boude
malheureusement les grands ballets du répertoire au profit de
pièces plus actuelles. Tout naturellement, les spectateurs
étaient donc venus nombreux au rendez-vous de cette reprise
fidèle de l'ouvrage célèbre de Bournonville. Ce
ballet, créé en 1832 par Fillipo Taglioni et dont le
livret d’Adolphe Nourrit s’inspire du conte fantastique
Trilby de Charles Nodier, porte en lui les prémices de l'esprit
romantique. Il s’opère alors un véritable
changement dans le monde du ballet, car la Sylphide marque la
nouveauté par le sujet abordé (un mortel amoureux fou
d’une elfe), le savant mélange du ballet d’action,
de la pantomime et les innovations techniques de Ciceri autorisant les
envolées spectrales et aériennes des sylphides.
Boyd Lau (James) et Stéphanie Madec (la Sylphide)
Auguste Bournonville assista en 1834 à la représentation
du ballet à Paris et fut tout de suite conquis. Dans
l’idée de recréer l’œuvre pour le
Ballet Royal du Danemark, dont il était issu, il convia à
Copenhague Fillipo Taglioni et sa fille Marie, qui refusèrent
suite à un différend pécunier. Il décida
donc de chorégraphier sa propre Sylphide après avoir
dérobé un exemplaire du livret. Mais faute d’avoir
l’autorisation d’utiliser la musique originale de
Jean-Madeleine Schneitzhoeffer, il soumit le projet à son ami
Herman Lovenskiold, qui composa le nouvel opus.
Au son de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, le rideau
s’ouvre sur une petite chaumière paysanne, dans une
ambiance aux couleurs automnales typiquement écossaises
où le kilt est de rigueur. James, endormi dans un fauteuil,
rêve. Il songe au bonheur futur de ses noces avec la jolie Effie.
Quand soudain apparaît à la fenêtre une charmante
créature, une Sylphide. Par de légères
avancées, elle éveille James d’un baiser. On
perçoit tout de suite le remaquable travail gestuel
prodigué par Dinna Bjørn, spécialiste mondialement
reconnue de la transmission de l'œuvre chorégraphique de
Bournonville. Il se dégage une fraîcheur et une
délicatesse dans les ports de bras où le langage des
mains remplace avec un naturel et une facilité
déconcertants l’art oratoire.

Boyd Lau (James)
Dès les premiers pas, on mesure la majesté et le talent
de Boyd Lau dans le rôle de James. Ce danseur témoigne ici
de la maîtrise de son art dans un rôle du
répertoire classique inhabituel pour lui. Tout au long du
ballet, il enchaîne les prouesses techniques sans faillir et avec
une énergie communicative dans les jetés, entrechats et
autres figures complexes. Il en relèguerait presque au second
plan la prestation parfois fébrile de Stéphanie Madec (la
Sylphide), lorsque celle-ci s’enfuit à
l’arrivée d’Effie et de ses amis, occupés aux
préparatifs du mariage. L'ambiance est festive ; les danses
folkloriques et la pantomime, très évocatrice, se
complètent à merveille. Claire Golluccio, Effie d'une
appréciable fraîcheur, et Renji Ma, Gurn intrigant et
fougueux, brillent par leurs talents de comédiens. Mais la
fête s'interrompt lorsqu’une vieille sorcière prend
l’initiative de prédire l’avenir des
différents protagonistes. Ce personnage-clé du ballet
doit faire preuve de réelles qualités dramatiques :
c’est le cas de Sylvain Boruel, magistral dans le
rôle de Madge. Il jongle avec habileté entre
gravité et humour, et nous emporte dans une
interprétation si convaincante qu’on est partagé
entre la fascination et la terreur. L’efficacité de
l’intervention de la sorcière fait basculer l’action
du ballet, qui, sur le plan dramaturgique, atteint ici son
apogée.
Chassée par James, la vieille sorcière cède sa
place à la Sylphide, qui fait une réapparition impomptue.
Elle envoûte James au point que celui-ci lui jure un amour éternel et repousse
Effie au beau milieu de la célébration des
fiançailles. La fuite de James et les sanglots d’une Effie
délaissée concluent le premier acte, qui pâtit
cependant d’une scénographie a l'atmosphère quelque
peu monochrome. Les costumes, où dominent des teintes
orangées, bruns et verts, ne se détachent pas
suffisamment du décor. Cette monotonie est néanmoins
compensée par le relief de l'interprétation.
Joanna Bossu campe une petite fille qui allie
théâtralité et ingénuité, mais les
autres élèves du Conservatoire de musique, de danse et
d’art dramatique de Mulhouse qui participaient à cette
producion ont parfois pâti d'un relatif manque
d'expérience dans un ballet où les bras tiennent une
place aussi prépondérante que les jambes.
Stéphanie Madec (la Sylphide)
L’ouverture du second acte nous plonge dans l’univers
romantique et fantastique anglais, mis en valeur par une subtile
scénographie composée de jeux de lumières
tamisées et de fumées bleuâtres qui émanent
du chaudron de Madge. Cet interlude, où la sorcière et
ses acolytes préparent quelque sortilège vengeur, augure
du terrible dénouement : la mort de James et de la Sylphide.
Dès que Madge tire l’écharpe fatale de son
chaudron, la lumière s’éteint instantanément
et révèle comme par magie la clairière où
évoluent les sylphides. Ce passage soudain d’un univers
à un autre est une complète réussite. Il en aurait
été de même pour le reste de l’acte, si la
technique scénique avait été utilisée plus
judicieusement, notamment pour recréer l'ambiance
évanescente, crépusculaire, dans laquelle évoluent
les sylphides. L’acte atteint son pic dramatique avec la joute
trépidante qui met aux prises les formidables
danseurs-interprètes que sont Boyd Lau (James) et Sylvain Boruel
( Madge la sorcière), tous deux au sommet de leur art.
Réalité dans le premier acte, rêve dans le second, il serait réducteur de qualifier La Sylphide
par le seul fait d’être le premier ballet romantique. Alors
que nait le culte du Moi, prémice de la psychanalyse, ce
ballet plonge le spectateur dans un univers fantasmagorique et
terrifiant. Les principaux rôles féminins (Effie, Madge,
la Sylphide) déclinent les diverses représentations de la
femme : créature idéalisée, castratrice ou mante
religieuse. James sera puni pour avoir transgressé les codes en
étant son propre juge et bourreau.
Cette représentation, plutôt réussie, s'est
achevée sous les acclamations du public. On déplorera
cependant le manque de magie d’un spectacle sans
aspérités, ainsi que la jeunesse d’un corps de
ballet peu familier des pratiques du ballet académique, mais
tout de même passé maître dans l’art de la
pantomime. La faute en incombe, très probablement, à la
rareté des productions purement classiques dans les
programmations saisonnières.
Isabelle Schermesser © 2009,
Dansomanie
La Sylphide
Chorégraphie : August Bournonville
Réalisation : Dinna Bjørn
Musique : Herman Severin Løvenskiold
Lumières : Allain Vincent
La Sylphide : Stéphanie Madec
James : Boyd Lau
Effie : Claire Golluccio
Gurn : Renji Ma
Madge : Sylvain Borruel
Ballet de l’Opéra national du Rhin
Orchestre Symphonique de Mulhouse, dir. Daniel Klajner
La Filature, Mulhouse
Vendredi 06 février 2009, 20h00
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