menu - sommaire



critiques et comptes rendus
Royal Ballet (Londres)

31 janvier 2009 : The Seven Deadly Sins - Carmen - Danse à Grande Vitesse


La reprise de The Seven Deadly Sins a de quoi surprendre tant les critiques plutôt négatives avaient fusé lors de sa création il y a deux ans. Pourtant, Will Tuckett ne semble pas avoir grandement retouché la chorégraphie, toujours aussi linéaire et répétitive ; seule Martha Wainwright se voit correctement sonorisée et l’on se demande si, après s’être plaint de son inaudibilité, on ne préférait finalement ne pas l’entendre… Mais à présent que l’histoire est intelligible, on réalise mieux qu’on assiste à une comédie musicale plutôt qu’à un ballet, et vu sous cet angle, cela fonctionne plutôt bien, grâce à une narration efficace et suffisamment courte pour ne pas lasser. On peut néanmoins demeurer perplexe quant à la présence de cette œuvre en un tel lieu. Les quatre autres chanteurs d’ailleurs, sans doute mieux dotés vocalement, profitent allégrement de cet artifice pour dynamiser l’ensemble et apporter richesse à la couche sonore qui égale celle visuelle peinte par le décor et les lumières. Quant à la chorégraphie? C’est un peu le problème…

martha wainwright et zenaida yanowsky dans the seven deadly sins
Martha Wainwright et Zenaida Yanowsky dans The Seven Deadly Sins, chor. Will Tuckett

La matinée voyait la prise de rôle de Kristen McNally qui, si elle n’a pas la précision de Zenaida Yanowsky, a un certain aplomb lui permettant de surfer sur tous les hommes du ballet avec un sourire ébahi, dans le style très naïf qui sied à la personnalité d’Anna II. Elle manque toutefois de l’autorité et de la présence de la créatrice du rôle, qui officiait le soir, même si celle-ci n’est pas encore très affûtée physiquement. Pour son retour sur scène après une absence de près d’une année, Zenaida Yanowsky confère au personnage une variété d’attitudes et donc de nuances avec une conviction que Kristen McNally a pour sa part un peu de mal à restituer.

The Seven Deadly Sins est donc à prendre pour ce qu’il est, une succession de performances de danseurs émérites, en premier lieu celle de Laura Morera, stupéfiante d’aisance, incarnant une strip-teaseuse en talons aiguilles qui ne la gênent pas pour faire des jetés à la hauteur de ses déhanchements provocateurs. C’est également le cas du diaphane Edward Watson, figure pâle de l’amoureux dans tout son clinquant, qui a peaufiné son personnage de l’amant en détresse - les rôles heureux ne lui conviennent pas et tout semble avec lui conduire à la même inexorable fin, ce qui le rend toujours éminemment sympathique.

Après quelque lutinage à trois en compagnie de Gary Avis, Anna finalement lui échappe et c’est l’occasion de montrer son art du drame, inégalé au Royal Ballet, à l’aide notamment de quelques extensions bien élégantes. Enfin un peu de danse! Thiago Soares, en homme maléfique, est le seul autre changement de distribution entre la matinée et la soirée et s’il semble mieux se délecter de son rôle de patron du strip-club que Bennet Gartside, c’est peut-être parce que celui-ci est déjà tout à son Escamillo... Seven deadly sins?


La différence entre Mats Ek et Will Tuckett, ou entre Carmen et The Seven Deadly Sins, se  marque d’emblée par le poids que le chorégraphe d’un Bizet un peu arrangé apporte aux mouvements. Si Will Tuckett raconte simplement une histoire - un peu désordonnée, sans véritable ligne chorégraphique, mais avec un visuel tape à l’œil -, Mats Ek fait du Mats Ek : une typologie reconnaissable - gestes, cris, mouvements de groupe familiers du chorégraphe se déclinent allégrement -, qui aide à trouver ses marques. Lorsqu’il dérive vers les gestes abstraits et le kitsch, il y a toujours un groupe de personnages qui surgit pour mettre en oeuvre quelques mouvements plus classiques qui recadrent l'ensemble - souvent des hommes en grands jetés traversent la scène, de manière simple, rapide, efficace.

tamara rojo et thomas whitehead dans carmen
Tamara Rojo et Thomas Whitehead dans Carmen, chor. Mats Ek

Au regard du précédent ballet et de la faible Anna II, Carmen apparaît comme la femme forte dans laquelle Tamara Rojo glisse sa splendeur et sa malice. La Carmen de Mats Ek ne roule pas les cigares, elle les fume !!! et Tamara Rojo passe son temps à tirer sur l’objet (qui semble dégoûter Viacheslas Samodurov) avec une joie immense, courant elle aussi de bras en bras mais pas en victime, en gardant toujours les commandes.

Les hommes ici sont faibles et les femmes dirigent. C’est la surprenante Lauren Cuthbertson qui porte Thomas Whitehead, son José, non le contraire, et les mouvements ne sont guère attribués en fonction des genres, ce sont plutôt les costumes qui désignent les sexes. Don José est donc un pauvre garçon, tout de gris vêtu face aux couleurs fluo des filles en robe et d’Escamillo, le matador doré. Mais celui-ci n’est pas un toréador resplendissant, c’est un bonbon absurde et ridicule, et Carmen lui tire  le sexe tout comme elle a arraché le cœur de José.

Les mouvements sont tendus, syncopés et caractérisent les personnages. M est carrée et s’immisce là où José ne l’attend pas, mais où il trouve très logiquement sa place. Lorsqu’ils dansent ensemble, ils sont synchrones, ils se ressemblent : la danse est tendue, sèche et pleine d’arrière-pensées. Alors pourquoi José est-il attiré par Carmen? Carmen brille de tous ses feux, c’est la tentation, la faille, le doigt planté dans la paume de la main qui fait mal et transforme Thomas Whitehead, habitué des rôles torturés, en maniaque sanguinaire. En face, Tamara Rojo n’est pas si insouciante, elle sait faire pleuvoir les injures grossières (on sait que les danseurs de Mats Ek parlent, voire hurlent, la vie n’est pas simple!), exhale son hispanité et son humanité face à la froideur de M, l’inquiétante non-rivale…


Avec DGV : Danse à Grande Vitesse, on pénètre dans un autre univers où l’imaginaire se laisse porter dans des vagabondages à l’infini. A l’opposé de Mats Ek, Christopher Wheeldon crée des œuvres dont l'art pour l’art est la finalité. Chaque mouvement, chaque pose pourraient se décomposer comme les images d’un film qu’on n’a pas encore assemblé, mais qui au son de la musique de Michael Nyman atteignent la fluidité du 25 images par seconde. Dans des justaucorps minimalistes aux teintes sobres, les corps disparaissent en silhouettes dans les tableaux, comme des touches d’un pinceau très fin.

nathalie harrison et garry avis dans danse a grande vitesse
Nathalie Harrison et Garry Avis dans DGV, chor. Christopher Wheeldon

DGV, créé en 2006, marquait une étape dans l'œuvre de Christopher Wheeldon qui prend alors une ligne directrice très précise et très reconnaissable. Elle s’oriente vers une fascination pour des mouvements dans l’espace et des constructions très architecturales de ses chorégraphies de groupe. L’œuvre de Christopher Wheeldon est une succession de scènes, comme si chaque attitude pouvait se figer à jamais, et pourtant, tout s’enchaîne et se lit dans une continuité étonnante. Avec douze couples étirant leur grandeur sur le plateau, DGV est une œuvre monumentale, comme la musique de Michael Nyman jouée merveilleusement par l’orchestre du Royal Ballet, comme le décor de Jean Marc Puissant - une bordure de métal aux pièces mal ajustées en fond de scène d’où apparaissent ou s’enfuient de temps en temps les danseurs -, monumental, sobre et surtout très efficace.

DGV, inspiré par le TGV et surtout la MGV, la "Musique à Grande Vitesse" de Michael Nyman, est justement l’antithèse de la grande vitesse, même s’il évoque des pertes de sensations et de notion du temps. La chorégraphie, toute en nuances, réitère constamment l’envol, la suspension, le décalage, comme le ballon, et se décline autour de quatre couples principaux virevoltant sur une incroyable musique obsessionnelle qui emporte tout avec elle. Quatre couples esquissent des pistes, des humeurs et des ambiances - le dynamisme, la lenteur, l’isolement… - et interagissent de manière asynchrone. Des assemblages fugitifs en fond de scène, derrière les parties basses du décor, et des démultiplications de gestes rendent les danseurs gigantesques, alors qu’ils sont presque à nu dans l’immensité de la scène. Christopher Wheeldon a le don, comme souvent les grands, de réaliser un art d’une esthétique sophistiquée dans un minimalisme surréel.



Maraxan © 2009, Dansomanie



The Seven Deadly Sins
Musique : Kurt Weill
Chorégraphie : Will Tuckett

Anna I : Martha Wainwright
Anna II : Kristen McNally (matinée) / Zenaida Yanovsky (soirée)
Strip club owner : Bennet Gartside (matinée )/ Thiago Soares (soirée)
Stripper : Laura Morera
Motel Man : José Martin
Director : Gary Avis
Fernando : Edward Watson
Edward : Eric Underwood



Carmen
Musique : Rodion Chédrine d'après Georges Bizet
Chorégraphie :
Mats Ek

Carmen : Tamara Rojo
José : Thomas Whitehead
Escamillo : Bennet Gartside
M : Lauren Cuthbertson
The Gypsy : Jonathan Howells (matinée) / Brian Maloney (soirée)
The Officer : Viacheslav Samodurov


DGV : Danse à Grande Vitesse
Musique : Michael Nyman
Chorégraphie : Christopher Wheeldon

Avec :
Cindy Jourdain – Ryochi Hirano
Laura Morera – Steven McRae
Melissa Hamilton – Rupert Pennefather
Mara Galeazzi – Sergei Polunin
(Matinée)

Lauren Cuthbertson- Eric Underwood
Leanne Benjamin – Edward Watson
Nathalie Harrison – Gary Avis
Mara Galeazzi – Sergei Polunin
(Soirée)


The Royal Ballet
Orchestra of  The Royal Opera House, Covent Garden
Dir. Daniel Capps

Samedi  31 janvier 2009,  Royal Opera House, Londres



http://www.forum-dansomanie.net
haut de page