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Solistes du Ballet de l'Opéra National de Paris
25 janvier
2009 : Carte blanche à Agnès Letestu (Théâtre de Poissy)
C’est
un univers avec une palette d’expression exceptionnellement riche
que nous a présenté Agnès Letestu au cours de ce
premier volet «carte blanche». La danseuse étoile
nous a invités à découvrir une partie de son
univers artistique, «une partie de ma folie à moi»,
comme elle l’explique joliment.
Le pari fut tenu et le spectacle peut être
considéré comme un premier essai fort concluant : une
programmation qui allie grands classiques et créations ; une
recherche d’extrêmes savamment portée par une
distribution idéale. Le tout agrémenté par les
très beaux costumes imaginés par Agnès Letestu.
Le spectacle a été conçu en collaboration avec la compagnie 3ème Etage,
dirigée par le danseur Samuel Murez. Cette troupe est
composée de jeunes talents de l’Opéra de Paris
aussi dynamiques que talentueux. Onze extraits ou créations
furent ainsi présentés aux spectateurs du
théâtre de Poissy.
La première pièce, Cordiablement,
est une chorégraphie de R. Zeummes (alias Samuel Murez), sur une
musique de Rachmaninov. Il s’agit ici d’un pas de deux aux
accents forsythiens. Mathilde Froustey et Josua Hoffalt, vêtus de
noir et de violet, nous présentent une danse tour à tour
vive, nerveuse ou même lascive. Le duo fonctionne parfaitement ;
la pétulance de leurs caractères s’accorde à
merveille. Le danseur est dans une démarche de séduction
et de conquête ; la danseuse fait preuve au contraire d’une
très jolie retenue toute féminine. Leurs mouvements de
bras déstructurés s’opposent à une technique
académique parfaite. L’humour perceptible tout au
long de la chorégraphie dédramatise la si belle
musique du compositeur. La pose finale, avec sa touche
«cinématographique», clôt une composition au
langage tout à la fois traditionnel et
irrévérencieux.
Le deuxième extrait est le célèbre Pas de deux de l’acte II du Lac des Cygnes.
Un pur classique, un morceau de bravoure savamment
interprété par Laura Hecquet et Florian Magnenet. Ce
morceau présente la rare particularité de distiller une
magie sans cesse renouvelée au gré des
interprétations. Mlle Hecquet fut une Odette altière aux
équilibres sûrs. Son travail du bas de jambe est
précis, le cou de pied est fort joli à regarder. Florian
Magnenet est un prince Siegfried noble à souhait et à la
gestuelle fort élégante. Le duo manque sans doute un peu
de fluidité, le résultat esthétique n’en
reste pas moins extrêmement satisfaisant.

Agnès Letestu (Giselle) - Hervé Moreau (Albrecht)
C’est ensuite un extrait de Giselle
qui nous fut présenté. Agnès Letestu
interprète une Giselle tout en gravité, mue dans la
souffrance et auréolée d’un halo de
fatalité. Ses ports de bras stylisés démontrent
une parfaite compréhension de la gestuelle romantique. Les
équilibres sont maîtrisés et constituent une
gageure dans cette variation où le travail du buste est
essentiel. Hervé Moreau aux si belles lignes marquait ici son
grand retour sur scène. Son travail de mime est convaincant ;
sur son visage sont inscrits les stigmates de la culpabilité et
de la douleur. Sa danse est belle, les seules limites que l’on
pourra évoquer concernent les portés au cours desquels il
montra quelques problèmes de raccord avec sa partenaire.
L’harmonie reste cependant prépondérante au sein du
couple dont l’évidente complicité restitue à
merveille l’amour intemporel qui unit Giselle à Albrecht.
Quatre est une
création pleine d’autodérision
élaborée par Raul Zeummes. Sur un thème vif et
léger de Paganini, quatre danseurs détournent
l’habituel Pas de quatre, s’affrontent et se confrontent,
chacun cherchant avec humour à attirer les regards. Ces joutes
techniques sont prétexte à un travail de mime
désopilant de la part de Florian Magnenet, Audric Bezard, Stéphane Bullion et
Josua Hoffalt. L’intérêt de la pièce
réside dans le rapport qu’entretiennent les artistes avec
les difficultés techniques et la manière de surmonter ces
dernières, chacun relevant le défi avec une
sensibilité et un humour différents. La symétrie
du début laisse place à une incohérence
jubilatoire à la fin du ballet. On félicitera Florian Magnenet
pour ses tours impeccables, ainsi qu’Audric Bezard pour sa
démonstration de séduction. Rires et brio furent donc au
rendez-vous de cette création atypique au cours de laquelle les
danseurs s’en donnèrent à cœur joie : la
danse devient démonstration, un « spectacle » au
sens fort du terme.
La Troisième Partie est
une réflexion sur les interactions pouvant
s’établir au sein d’un groupe de danseurs. Chacun
des interprètes apporte un esprit particulier à la
chorégraphie : Charline Giezendanner est précise et
lumineuse ; Mathilde Froustey met en avant son indéniable
charisme et sa félinité naturelle ; quant au quatuor de
danseur, il oppose à cette grâce une virilité
extravertie. Les danseuses usent de mouvements amples et souples
empruntés à Forsythe. La pantomime est réussie ;
la légèreté est au rendez-vous. On
appréciera au passage combien les tenues créées
par Mlle Letestu sont seyantes sur ces demoiselles !
La seconde partie du spectacle s’ouvre sur une chorégraphie de Patrick de Bana : Marie-Antoinette.
Cette pièce est une résurgence de moments
emblématiques dans la vie du couple royal. La première
partie est teintée de méfiance et de retenue entre les
deux partenaires ; leur union «arrangée» ne semble
pas encore s’être éveillée à
l’amour. Cette dualité est marquée par de nombreux
demi-pliés qui symbolisent le repli sur soi des deux
époux. Le deuxième temps nous présente au
contraire l’éclosion d’une complicité
touchante entre la Reine et son époux ; le Petit Trianon et les
bosquets de Versailles sont presque perceptibles sur la scène
bercée de jeux amoureux. L’ultime scénographie nous
dépeint la douleur de Marie-Antoinette dans les derniers
instants de sa vie. Elle est soutenue par le fantôme de Louis qui
l’aide à aller au supplice avec résignation et
dignité. Les visages se marquent des stigmates de
l’incompréhension et de la révolte, puis de la
résignation. Les adages se font douloureux et poignants. Le roi
assassiné accompagne son épouse jusqu’à
l’échafaud, matérialisé par un halo rouge.
Rideau.
Patrick de Bana et Agnès Letestu dans Marie-Antoinette (chor. Patrick de Bana)
C’est ici une pièce marquante et stylisée
qu’ont exécutée Agnès Letestu et Patrick de Bana. Mlle
Letestu est très à l’aise avec le maniérisme
propre au Siècle des Lumières ; elle joue à
merveille de la préciosité inhérente au
personnage. Elle sait montrer avec finesse les différents
états d’âme de la souveraine aux différents
stades de sa vie. Son partenaire tout en muscles s’oppose
à sa pâleur et à sa fragilité. On notera que
certains portés font preuve d’une grande
inventivité (le danseur soulève par exemple la danseuse
posée sur ses pieds) et que l’ensemble de la pièce
mêle habilement mouvements purement académiques et
gestuelle empruntée à la danse contemporaine. Musique
baroque de Vivaldi et costumes en dentelles et jabots : tout concourt
d’une manière convaincante à faire de cette
œuvre un voyage émotionnel particulièrement
réussi.
Prélude pour deux danseuses
est une composition de Raul Zeummes. Sur une musique de Teddy Leong-She, les
danseuses empruntent leur gestuelle au registre classique, modern-jazz
et contemporain. Charline Giezendanner et Laura Hecquet sont très
à l’aise avec ces changements de rythme. La danse se fait
parfois lascive, parfois violente avec des pas
déstructurés. La musique se fait oppressante tandis que
les danseuses se meuvent au rythme des percussions. L’opposition
physique qui caractérise les deux danseuses rend encore plus
intrigant cet effet de miroir subtilement détourné.
Lorsque l’on demande à Nicolas Paul, sujet de l’Opéra National de Paris,
de présenter l’œuvre qu’il a
chorégraphiée, il se «dérobe» avec une
définition du Larousse
: «Akathisie : difficulté à rester assis».
C’est en effet une véritable frénésie qui
habite Stéphane Bullion, un état de transe et de folie
qui le pousse à se démener sur la scène, dans une
quête désespérée et mystérieuse. Sa
gestuelle, extrêmement virile, est marquée d’une
animalité puissante. Certains mouvements sont empruntés
à la gymnastique (roues, roulades) et accentuent
l’idée d’une danse dynamique et athlétique.
La gestuelle prend la forme d’une imprécation sans cesse
renouvelée. Souffrance et folie sont portées avec
justesse par Stéphane Bullion qui nous démontre une fois encore
qu’il est très à l’aise dans les compositions
« non académiques ».
Me2 part
d’une idée ingénieuse : une chorégraphie
virtuose basée sur une voix, ou plutôt un monologue
« infernal ». La voix dicte la gestuelle du danseur
à un rythme effarant : c’est ici un morceau de bravoure
qu’ont interprété Florian Magnenet et Josua
Hoffalt.
L’orateur scande le poème d’abord en anglais, puis
en français. Les corps semblent se
«déconstruire» à chaque instant. Puis la voix
se tait ; le disque semble rayé : le corps de l’un sert
à façonner les mouvements de l’autre. Cette
fois-ci, les corps sont en «construction». Aux jeux de
mains
succède la gestuelle qui reprend à un rythme
effréné. On soulignera le travail de mime clownesque
– pas évident – des deux interprètes. En
définitive, Me2 est apparu comme une sorte d'En attendant Godot
dansé ; les thèmes qui y sont analysés
(l’identité, le dédoublement, la
schizophrénie, la confusion) ont tout du drame existentiel
abordé sur le thème de l’autodérision.
C’est une chorégraphie aux inspirations multiples que nous a proposée Patrick de Bana dans son Queen of the night.
L’interprète-chorégraphe est accompagné
d’Aida Badia, une danseuse nerveuse et sensuelle dont les
qualités se prêtent à merveille à
l’orientalisme présent dans la première partie du
ballet. Un peu brusquement peut-être, nous changeons
d’univers musical avec une aria de Mozart. La voix
flûtée de la soprano sert d’appui à une
parade amoureuse dans un style cette fois néo-classique.
L’adage met en valeur la parfaite osmose des deux
interprètes, ainsi que la cohérence de leur univers
artistique.
Hervé Moreau (Armand Duval) - Agnès Letestu (Marguerite Gautier) -
C’est le très beau Pas de deux extrait de l’acte III de La Dame aux Camélias
que nous ont interprété Agnès Letestu et Hervé
Moreau. La magie de Neumeier fut savamment restituée : Mlle
Letestu a campé une Marguerite Gautier pleine de finesse et de
retenue ; elle «spiritualise» son héroïne.
L’élégance de sa composition est rehaussée
par la grande sensibilité que l’on perçoit chez son
partenaire. L’amour et la mort semblent planer à
l’unisson sur le couple mythique. Seules quelques fausses notes
distillées par l’orchestre jetèrent une ombre sur
ce moment de passion fulgurante.
Agnès Letestu s’impose comme une artiste complète :
étoile unanimement respectée de l’Opéra National de Paris, elle a
également concrétisé sa passion pour les costumes
de scène en collaborant à de nombreuses créations.
Elle nous a offert aujourd’hui « sa vision » de la
danse, sans jamais tomber dans la complaisance. Une promenade
artistique négociée avec une belle intelligence et
beaucoup de sensibilité.
Marie-Astrid Gauthier © 2009,
Dansomanie
Cordiablement
Musique : Sergueï Rachmaninov
Chorégraphie : Raul Zeummes
Avec : Mathilde Froustey - Josua Hoffalt
Le Lac des cygnes
(Pas de deux, Acte II)
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovsky
Chorégraphie : d'après Marius Petipa
Odette : Laura Hecquet
Siegfried : Florian Magnenet
Giselle
(Pas de deux, Acte II)
Musique : Adolphe Adam
Chorégraphie : Marius Petipa, d'après Jean Coralli et Jules Perrot
Giselle : Agnès Letestu
Albrecht : Hervé Moreau
Quatre
Musique : Johannes Brahms, d'arpès Niccolo Paganini
Chorégraphie : Raul Zeummes
Un : Florian Magnenet
Deux : Audric Bezard
Trois : Stéphane Bullion
Quatre : Josua Hoffalt
La Troisième partie
Musique : Sergueï Rachmaninov
Chorégraphie : Raul Zeummes
Avec : Charline Giezendanner - Amandine Albisson - Laura Hecquet - Mathilde Froustey
Florian Magnenet - Audric Bezard - Stéphane Bullion - Josua Hoffalt
Marie-Antoinette
Musique : Antonio Vivaldi
Chorégraphie : Patrick de Bana
Avec : Agnès Letestu - Patrick de Bana
Prélude pour deux danseuses
Musique : Teddy Leong-She
Chorégraphie : Raul Zeummes
Avec : Charline Giezendanner - Laura Hecquet
Akathisie
Musique : Jean-Sébastien Bach
Chorégraphie : Nicolas Paul
Avec : Stéphane Bullion
Me2
Musique : The Misters
Chorégraphie : Samuel Murez
Avec : Florian Magnenet - Josua Hoffalt
Queen of the Night
Musique : Wolfgang Amadeus Mozart / musiques traditionnelles
Chorégraphie : Raul Zeummes
Avec : Aïda Badia - Patrick de Bana
La Dame aux camélias
(Pas de deux, Acte III)
Musique : Frédéric Chopin
Chorégraphie : John Neumeier
Marguerite Gautier : Agnès Letestu
Armand Duval : Hervé Moreau
Vessela Pelovska, piano
Guillaume Fontanarosa - Frédéric Dessus, violons
Bertrand Causse, alto
Anne Causse, violoncelle
Dimanche 25 janvier
2009, Théâtre municipal, Poissy
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