menu - sommaire



critiques et comptes rendus
Ballet de l'Opéra National de Bordeaux

30 décembre 2008 : Casse-noisette (Charles Jude)


Le Ballet de l’Opéra National de Bordeaux  proposait,  pour la période des fêtes de Noël et de fin d’année 2008, une reprise de Casse-noisette. Cette version du ballet-féerie de Tchaïkovsky, chorégraphiée et mise en scène  par Charles Jude, avait été présentée pour la première fois par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux au Grand-Théâtre le 20 décembre 1997. On sait en effet que depuis sa nomination à la direction du Ballet de l’Opéra de Bordeaux en 1996, Charles Jude  s’est distingué dans la création chorégraphique et a revisité  les ballets les plus célèbres du répertoire, signant, outre cette version de Casse-noisette,  celles de Giselle (1998), de Coppélia (1999), de La Belle au bois dormant (2000), du Lac des cygnes (2002), du Prince de bois (2003) et de Don Quichotte (2006), ainsi qu’une récente chorégraphie du ballet de Faust de Gounod (mars 2008).


casse-noisette bordeaux 30 12 2008


La première représentation de Casse-noisette eut lieu  le 6 décembre 1892 au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg. Commandé par Marius Petipa et par le directeur des Théâtres Impériaux Ivan Vsevolojski, le ballet, qui devait être le dernier de Tchaïkovsky, fut présenté dans une chorégraphie de Lev Ivanov, l’assistant de Petipa. L’œuvre, en deux actes, trois tableaux et quinze scènes, reposait sur un livret de Petipa et Vsevolojskyi inspiré de l’
Histoire d’un Casse-noisette (1844), texte qu’Alexandre Dumas père avait lui-même adapté à du conte fantastique d’E.T.A. Hoffmann, Casse-noisette et le Roi des rats (1816).
 
Depuis la création,
l’ouvrage a suscité de  nombreuses relectures, toutes extrêmement différentes les unes des autres. Ainsi, la version de Rudolf Nouréev (créée à la demande d’Erik Bruhn et montée pour la première fois en novembre 1967 pour le Ballet royal suédois) propose pour l’œuvre, dans un très haut niveau d’exigence technique, une orientation psychanalytique, tandis que celle de John Neumeier (créée en octobre 1971 pour le Ballet de Francfort) s’éloigne considérablement de l’argument d’origine et peut être considérée, par son élégance et sa sophistication, comme un vibrant hommage à la danse académique. Ainsi,  plus récemment, la version de Thierry Malandain (créée en 1997 pour l’Opéra de Saint-Étienne) conférant au ballet une orientation psychologique, celle de la quête d’un bonheur personnel, s’oppose à celle  de Jean-Christophe Maillot, Casse-noisette Circus (créée en 1999 pour les Ballets de Monte-Carlo), transposant l’œuvre dans l’univers ludique et joyeux du cirque.

Mais laissons à Charles Jude le soin de préciser et d’assumer les choix qui ont été les siens lors de la conception de son Casse-Noisette. Le créateur déclare en effet :

Lorsque j’ai eu l’opportunité de créer ici, avec le Ballet de l’Opéra National de Bordeaux, une nouvelle chorégraphie et mise en scène de
Casse-noisette, j’ai souhaité m’éloigner du livret d’Alexandre Dumas, fidèlement suivie par les versions traditionnelles telles que celle de Marius Petipa, au profit de l’univers plus fantastique et psychologique d’Hoffmann. L’enjeu était bien sûr de maintenir l’univers féerique propre au conte, magnifiquement servi par la musique de Tchaïkovsky, mais aussi d’utiliser les facilités narratives qu’autorise le conte pour tracer le parcours initiatique d’une jeune fille qui, à partir d’un cadeau reçu à Noël, le «Casse-noisette», change et entre dans le monde du rêve qui lui est offert pour s’éveiller à la vie et découvrir sa sexualité. L’intérêt du conte est de laisser croire que tout est possible, mais pour lui donner une valeur psychologique, il faut habiter les personnages – Drosselmeier prend une importance inattendue, Marie n’est pas une enfant mais une jeune fille amoureuse… - et trouver des clés d’accès qui assurent la lisibilité du ballet : c’est là qu’intervient par exemple l’univers de la bande dessinée, en particulier les Aventures de Tintin. Dans les versions russes de Casse-noisette, les danses de caractère du deuxième acte sont présentées dans des décors lourds, sans rapport avec la danse exécutée, à tel point que l’on est parfois tenté de s’interroger sur leur utilité dans le déroulement du conte. Je voulais qu’elles illustrent le voyage de Marie et son «Casse-noisette», leur tour du monde, et les Aventures de Tintin me sont apparues comme le meilleur moyen de voyager : la danse chinoise, c’est Le Lotus bleu, la danse arabe Tintin au pays de l’or noir, la danse russe, Tintin chez les Soviets…Et cet apport de la bande dessinée, familier  à tous, facilite probablement le regard du public sur le langage classique de la chorégraphie
.

La structure du ballet, dans la version de Charles Jude, est en deux actes et dix tableaux (Acte I, 1. Prologue, 2. La Rue, 3. Le soir de Noël dans le salon du Président et de la Présidente Silberhaus, 4. Le Rêve de Marie, 5. Pas de deux, 6. Le Royaume des Neiges ; Acte II, 7. Le Voyage, 8. Le Cauchemar, 9. Le Tour du Monde, 10. Retour dans le salon des Silberhaus).  Les personnages principaux sont Marie, le Prince et Drosselmeier.

Cette version situe le ballet dans les années 1930. La transposition affecte principalement les tableaux qui rendent compte de la réalité (Acte I, tableaux ., 2 et 3 ;  Acte II, tableau 10). C'est ainsi que le tableau 3 évoque une réception mondaine ; la chorégraphie des personnages principaux, tracée à grands traits,  y est complétée par de multiples saynètes  de caractère burlesque, mimées par des danseurs ou des figurants (cocktail mondain, baisemain ridicule, cortège maniéré, enfants insupportables, duo piano et chant plein d’emphase…), si bien que l’attention du spectateur, amusé, se trouve très sollicitée et parfois même distraite. Ainsi, l’épisode charmant des Poupées animées (Arlequin, Colombine, un Cosaque) passe presque inaperçu tandis que, peu après, l’accent est mis sur une scène dansée par un groupe de danseuses en robes du soir, exécutant une danse de salon très enlevée, chorégraphiée sur la musique - citée par Tchaïkovsky - de la chanson satirique composée  par M.-A. Désaugiers en 1816, Bon voyage, Monsieur Dumollet, A Saint-Malo débarquez sans naufrage. En revanche, la transposition n’affecte pas les tableaux qui correspondent à des évocations oniriques : traités dans un registre poétique pour le rêve, dans une atmosphère fantastique pour le cauchemar, les tableaux 4 à 8 adoptent un style beaucoup plus classique. Le tableau 9, consacré au Voyage, comporte quant à lui un grand nombre de scènes  à caractère descriptif.

casse-noisette bordeaux 30 12 2008


Le 30 décembre, c'est Emmanuelle Grizot, qui incarnait Marie. Elle s’est montrée une artiste d’une très grande sûreté technique, élégante et gracieuse à la fois, d’une rigueur imperturbable. aussi souveraine dans le Pas de deux du I, que d’une précision raffinée dans la Danse de la Fée Dragée. Son incarnation de Marie  rendait  parfaitement compte de l’évolution  psychologique du personnage tout au long de l’action. Ses développés étaient d’une grande maîtrise et d’un très bel équilibre. Vêtue d’un ravissant tutu doré scintillant, elle a été particulièrement applaudie dans les fouettés ronds de jambe en tournant de la coda du Grand Pas de deux du II .
 
Roman Mikhalev était le Prince. D’un physique robuste, le danseur russe  a manifesté une technique très sûre dans les grandes pirouettes et les grands jetés. Pourtant, dès le début du spectacle, il a paru quelque peu tendu. Après s’être beaucoup investi dans le quatrième tableau (où il incarnait Casse-noisette capitaine des soldats luttant contre le Roi des rats et ses troupes) et surtout dans la Tarentelle, variation virtuose du Grand Pas de deux du II,  le soliste a été pris d’un malaise. Il a soudain disparu dans les coulisses côté jardin, au début de la coda finale. Le spectacle se poursuivit cependant  avec l’entrée d’Emmanuelle Grizot qui a danser sans partenaire. Roman Mikhalev fut alors remplacé par Vladimir Ippolitov, jeune artiste russe du Corps de Ballet, qui, toujours vêtu du costume du danseur espagnol qu’il venait d’incarner, s'est précipité sur scène pour sauver la situation. Il conclut brillamment le Grand Pas de deux, participa à l’Apothéose finale et fut ovationné par le public.

D’une grande présence scénique, 
Ludovic Dussarps campait un Drosselmeier particulièrement inquiétant. Son mime complexe, sa rapidité et le relief de ses attitudes sont celles d’un authentique comédien.

Les artistes, solistes, membres du Corps de ballet, danseurs supplémentaires ou grandes élèves du Conservatoire de Bordeaux,  tous très engagés et faisant montre de belles qualités, étaient pour la Danse espagnole Juliane Bubl et Vladimir Ippolitov, pour la Danse arabe Marie-Lys Navarro et Frédéric Vinclair auxquels s’ajoutaient J. Prud’homme et X. Juyon (Le Chameau), pour la Danse chinoise Vanessa Feuillatte et Kadir Okurer, pour la Danse russe Istvan Martin, Vladimir Korec et Guido Sarno, pour la Danse des Mirlitons (dite ici "Pastorale") Pier Paolo Gobbo accompagné de Laure Le Bris et d’Emma Pollo. Une mention particulière à Pier Paolo Gobbo pour sa grâce, son maintien et sa belle technique classique dans ce pas de trois ravissant mais redoutable!

Les Rats du 4ème tableau étaient incarnés avec bonheur par douze enfants, élèves du Conservatoire de Bordeaux, tandis que les invités du 3ème tableau, les soldats et les chevaux-jupons du 4ème, les flocons du 6ème et les chauves-souris du 8ème étaient interprétés avec professionnalisme par les artistes du Corps de ballet.

Ce fut enfin une grande joie de voir l’ensemble parfaitement réglé de la Valse des Fleurs, auquel participaient dans une belle harmonie six danseuses et six couples issus eux aussi du Corps de Ballet. 

casse noisette bordeaux 30 12 2008


Dans cette  production, on pouvait admirer la  beauté et la grande variété des costumes dessinés par Philippe Binot. Certains ne manquaient pas d’originalité : la robe des Flocons, d’une coupe inédite et gracieuse, soulignée de fourrure, était d’un blanc immaculé et scintillant, tandis que le costume des Fleurs (bustier vert amande et jupon  rouge corail) et de leurs partenaires réalisait  un accord de teintes des plus réussis.

Directeur technique à l’Opéra de Bordeaux depuis 1996,  Giulio Achilli  a créé une vingtaine de décors  remarquables pour Casse-noisette. Le décor chinois,  sur fond rose fuchsia avec pousse-pousse et grand dragon noir en papier survolant la scène, a beaucoup plu. Quant au grand disque d’inspiration japonaise, évocateur de la fleur de pommier, devant lequel évoluaient les danseurs de la Valse des Fleurs, il était splendide.

Les lumières de Marc Pinaud étaient tamisées dans les scènes d’intérieur, sombres et mystérieuses dans les scènes fantastiques ou de cauchemar, voilées dans les scènes de rêve,  lumineuses ou éclatantes dans  le Voyage et l’Apothéose finale. L’apparition terrifiante du Roi des rats dans la pénombre du 4ème tableau était soulignée d’un éclairage rouge incandescent très impressionnant.

L’Orchestre National Bordeaux Aquitaine était placé sous la baguette de Fabien Gabel. Le jeune chef d’orchestre français a fait preuve d’une direction précise et la phalange bordelaise est toujours demeurée en phase avec le plateau. On a pu regretter cependant que l’Ouverture miniature et la charmante Marche, au début de l’ouvrage, n’aient pas été traitées avec plus de légèreté, que certaines sonorités instrumentales aient parfois pu paraître sèches et peu poétiques (en particulier au début de la Valse des Flocons de neige), et qu’enfin la progression des nuances et le jeu des contrastes n’aient pas été plus élaborés dans quelques passages (en particulier dans la musique ample et passionnée qui soutient le Grand Pas de deux du II).

Le chœur d’enfants de la Maîtrise du Conservatoire de Bordeaux a
quant à lui donné une couleur féerique très pure  à  la partie vocale introduite par Tchaïkovsky à la fin de la Valse des flocons de neige.

Il faut souhaiter que le Ballet de l’Opéra National de Bordeaux retrouve au plus vite son soliste Roman Mikhalev et que le malaise de l’artiste, dû à la fatigue des représentations, n’ait été que passager.





Cécile Tarot © 2009, Dansomanie


Casse-noisette
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovsky
Chorégraphie : Charles Jude
Décors : Giulio Achilli
Costumes :  Philippe Binot

Marie :
Emmanuelle Grizot
Le Prince : Roman Mikhalev - Vladimir Ippolitov
Drosselmeier : Ludovic Dussarps



Ballet National de Bordeaux
Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine, dir. Fabien Gabel
Mardi 30 décembre 2008,  Grand Théâtre, Bordeaux


http://www.forum-dansomanie.net
haut de page