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Bayerisches Staatsballett (Munich)
07 décembre
2008 : Les Cent ans des Ballets Russes
Que
reste-t-il des Ballets Russes? Après avoir interrogé
l'héritage de Petipa, puis celui de John Cranko la saison
passée, c'est au tour des Ballets Russes, la
célèbre compagnie qui fit les beaux soirs de la vie
artistique et mondaine des grandes villes européennes au
début du siècle dernier de retenir l'attention du Ballet
National de Bavière.
Lucia Lacarra (Zobeide) & Lukas Slavicky (L'Esclave doré) dans Schéhérazade
La
soirée s'ouvre avec un coup d'éclat de la première
période de la compagnie, avec la célèbre Schéhérazade
de Mikhail Fokine. Féerie des décors et costumes,
"sauvagerie" exotique de la gestuelle, sensualité orientale: on
comprend bien, un siècle plus tard, ce qui a pu divertir
jusqu'à l'enthousiasme le public d'alors ; on comprend
même fort bien que cela ait pu paraître étincelant
de nouveauté dans un paysage chorégraphique plutôt
endormi en Europe de l'Ouest ; mais, au-delà de cet effet de
nouveauté, l'apport artistique de ce ballet paraît
aujourd'hui moins évident, beaucoup moins par exemple que celui
de l'Oiseau de feu contemporain.
Lucia Lacarra (Zobeide) & Cyril Pierre (Shahriar) dans Schéhérazade
L'interprétation
du Ballet de Bavière, à vrai, dire, est trop timide pour
venir lutter contrer cette impression : solistes comme corps de ballet
se révèlent ainsi incapables de trouveer en eux la joie
fauve de l'orgie centrale et la pièce, réduite à
la lettrer de son mince argument, reste constamment anecdotique.
Le deuxième ballet de la soirée marque un saut dans le
temps, jusqu'en 1925 : habituée désormais aux
succès mondains, la compagnie livre avec Les Biches
de Bronislava Nijinska un produit parfaitement adaptée à
sa clientèle, avec une touche d'élégance francaise
pour l'exportation et une dose de bien conventionnelle provocation pour
épicer le tout.
Séverine Ferrolier (La Dame en bleu) dans Les Biches
Le résultat, sur une musique de Poulenc jamais jouée en
concert - ce qui n'est pas étonnant -, n'est donc pas plus
profond que le précédent, mais la danse y règne du
moins constamment : ce néo-classicisme élégant et
un peu fade est visiblement plus naturel pour le Ballet de
Bavière qui, faute de parvenir à en faire un
chef-d'oeuvre, offre au public un moment plaisant.
Lisa-Maree Cullum (L'Hotesse) dans Les Biches
Cette fois, les solistes sont à l'honneur : plutôt que
Lisa-Maree Cullum en maîtresse de maison, ce sont d'abord les
trois messieurs en maillot de bain, notamment le très expressif
et très prometteur Javier Amo Gonzaler, qui mènent le jeu
; du côté féminin, le triomphe de la soirée
va à Séverine Ferrolier, qui parvient à donner de
la présence à des solos un peu convenus.
Mais une telle soirée d'hommage ne saurait s'achever sans une
création qui vienne réfléchir sur la nature de cet
héritage. Après Graeme Murphy, qui, avait produit une
très pâle Rose d'argent,
c'est à nouveau à un chorégraphe australien que le
ballet a fait appel, en la personne du très jeune Terence
Kohler, qui livrer avec Once Upon An Ever After,
la plus longue pièce de la soirée (quarante-cinq
minutes), sa première création pour une troupe majeure.
Once Upon An Ever After
Plutôt
que de s'intéresser aux Ballets Russes, c'est l'ensemble de
l'héritage du ballet classique, et rien de moins, que Kohler
veut ici embrasser, sur un choix de musique qui aurait difficilement pu
êtrer moins original : on croise donc ici Giselle, Myrtha, Odette
ou Aurore, confiés aux grands solistes de la compagnie. Ces
évocations, cependant, ne sont pas des citations, mais des
concentrés de ce qui, pour Kohler, fait l'essentiel de ces
ballets, avec l'ambition de donner plus de poids à ces figures
que dans les versions originales : le manque d'invention de ses pas
laisse au contraire mieux encore ressortir l'actualité des
versions classiques, et même l'inspiration de l'artiste Rosalie,
qui avait signé de remarquables décors et costumes pour
une précédente soirée contemporaine, n'y
résiste pas. De même, un maladroit hommage à
Balanchine se lit comme un pâle succédané de Diamants.
Lucia Lacarra (Odile) & Vincent Loermans (Rotbart) dans Once Upon An Ever After
Cette fois encore, le
talent des solistes, dans lesquels on distinguera la puissance
magnétique de Tigran Mikayelyan, sont la plupart du temps
impuissants à faire oublier le manque de relief de la
pièce, et on en vient à se demander s'il était
bien raisonnable de confier une telle entreprise à un
chorégraphe aussi inexpérimenté.
Séverine Ferrolier (Aurore) & Nour El Desouki (Prince Désiré) dans Once Upon An Ever After
Que
reste-t-il des Ballets Russes? À une époque où le
Ballet de l'Opéra de Paris a cessé de danser ce
répertoire qu'il mettait encore régulièrement
à l'affiche dans les années 1990, la réponse que
donne le Ballet de Bavière à cette question paraît
bien peu convaincante, en partie à cause d'un évient
manque d'affinités stylistiques, en raison d'un choix d'oeuvres
qui aurait pu êtrer plus pertinent, mais peut-êtrer aussi
parce qu'une partie de cette épopée avait
été trop mondaine pour résister sans dommage aux
outrages du temps.
Dominique Adrian © 2008,
Dansomanie
Schéhérazade
Musique : Nicolai Rimski-Korsakov
Chorégraphie : Mikhail Fokine, remontée par Isabelle Fokine
Décors et costumes d'après Léon Bakst
Shahriar : Cyril Pierre
Zeman : Norbert Graf
Zobéide : Lucia Lacarra
L'Esclave doré : Lukáš Slavický
Odalisques : Daria Sukhorukova - Zuzana Zahradniková - Feline van Dijken
Les Biches
Musique : Francis Poulenc
Chorégraphie : Mikhail Fokine, remontée par Isabelle Fokine
Décors et costumes d'après Marie Laurencin
Lisa-Maree Cullum
Séverine Ferrolier
Cyril Pierre, Javier Amo Gonzalez, Maxim Chashchegorov
Maira Fontes, Ilana Werner
Once Upon an Ever After
Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovsky, Symphonie n° 6 Pathétique
Chorégraphie : Terence Kohler
Scénographie, costumes et lumières : Rosalie
Lisa-Maree Cullum
Alen Bottaini
Roberta Fernandes
Lucia Lacarra
Vincent Loermans
Séverine Ferrolier
Nour El Desouki
Tigran Mikayelyan
Ivy Amista
Gregory Mislin
Bayerisches Staatsballett
Dimanche 7 décembre
2008, Nationaltheater, Munich
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