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Royal Ballet (Londres)
29 novembre
2008 : Ondine, au Royal Opera House
Ondine
est un ouvrage qui marque une étape intéressante dans la
carrière de Frederick Ashton. Créé pour Margot
Fonteyn en 1958, le ballet, repris en 1988 et 2005, est une fantaisie
en trois actes sur une musique commandée pour l’occasion
à Hans Werner Henze inspirée de la nouvelle de Friedrich
de la Motte-Fouqué.
Même si Frederick Ashton ne semblait pas entièrement
satisfait de la musique de Henze, le travail de collaboration avec le
compositeur, à qui il avait donné un script
détaillé, se perçoit pleinement à travers
l’œuvre ; la musique raconte et enrichit une histoire dont
le propos détaillé est assez obscur et sans unité
apparente, à première vue. Elle contribue à donner
une atmosphère tour à tour mystérieuse,
angoissante et en quelque sorte merveilleuse qui rend très bien
l’existence irréelle d’Ondine et des
créatures nautiques et terrestres ; elle met en exergue la
présence fougueuse du seigneur de la mer, alors que les passages
réalistes entourant Berta et les courtisans sont beaucoup plus
clairs et soutenus par des tonalités plus faciles et plus
familières, en particulier la fête du mariage du
troisième acte où les divertissements se déroulent
au son d’un piano maniaque, à la Stravinsky.
Le discours narratif du ballet est donc assez opaque,
beaucoup de parties mimées plus ou moins réussies. Berta,
le personnage le plus "terrien" du récit,
interprétée par Genesia Rosato, artiste de
caractère au Royal Ballet, arrive bien mieux à sublimer
les rares mouvements dansés imposés au rôle que
Palemon et Ondine à expliciter l'histoire. En
conséquence, les liens entre les tableaux sont difficilement
lisibles, voire inexistants et il faut plonger dans la féerie
pour avaler les trois actes, assez inégalement répartis,
sans se poser de questions sur la motivation des personnages. Le mime
n’apporte pas grand chose, sinon parfois une certaine
perplexité ; les raccourcis sont trop nombreux pour faire
avancer l’histoire autrement que par bonds cloisonnés et
chaotiques (le passage sur le bateau, la tempête, le soudain
mariage de Berta et Palemon après celui d’Ondine et
Palemon notamment).
Pour l’essentiel, l'ouvrage repose sur le charisme de la
ballerine, beaucoup sollicitée dans des mouvements
répétitifs des bras, avec des évolutions bien
souvent originales, ondulatoires et horizontales des gestes soutenus
par la musique qui décrit bien une atmosphère aquatique.
Tamara Rojo excelle à rendre la naïveté et la
fraîcheur d’Ondine à la découverte du monde
terrestre, de son ombre, du battement du cœur de Palemon, la
spontanéité et la générosité face
à Berta qui veut sa perte… Elle incarne la gentillesse,
l’ouverture sur une autre vision de la vie qui va se noircir au
fur et à mesure du ballet et jusqu’à la fin
où elle refuse presque de donner le fatal baiser que Palemon lui
arrache pour se donner la mort. Un superbe solo où elle nage,
fort bien rendu dans un moment inspiré alors qu’elle ne
pose pas les pieds à terre, surfant sur les vagues (et les mains
cachées des porteurs), crée parfaitement l’illusion
de sa légèreté, et de son jeu sur les flots.

Edward Watson (Palemon) et Tamara Rojo (Ondine)
Edward
Watson dépeint un Palemon insouciant et inconséquent qui,
à l'image d'Ondine finalement, prend les choses comme elles
viennent, sans vraiment y penser. C’est un personnage beaucoup
moins réfléchi que Siegfried ou Albrecht, et même
son profil, dans l’histoire, est un peu similaire, Frederick
Ashton ne lui donne pas l’occasion d’éprouver des
remords face à l’inconséquence de ses actes ;
l'incarnation en semble plus difficile, même si, in fine, les
choix sont assumés. Edward Watson d’ailleurs est beaucoup
plus à l’aise lorsque se présentent les vraies
difficultés, et ses talents dramatiques se subliment dans la
conquête d’Ondine (qui n’a jamais vu d’homme
avant lui), lorsqu’il cherche à percer le mystère
ou bien lors de la lutte contre les éléments dans le
bateau, avec bien sûr sa fin tragique. Il s'inscrit alors dans un
moment de conscience où il revendique la mort, loin de
l’insouciance qui le caractérisait
précédemment. Par son jeu différencié, il
lie d’évidence le destin de Palemon à Ondine et les
passages de bonheur avec Berta ; sa cour du début et le mariage
à la fin, le laisse béatement souriant, impassible
à l’histoire. Il paraît plus convaincant avec
Ondine, mais peut-être est-ce parce qu’on connaît
Edward Watson, le tragédien, on connaît son destin. Ondine
et Palemon dépeignent, en quelque sorte, un drame presque
heureux, en tout cas sans histoire. Leurs pas de deux sont en symbiose,
les jambes du danseur doublant celle de la danseuse, une parfaite
homogénéité qui se lit dans les portés,
notamment très spectaculaires du pas de deux de la fin du
premier acte qui coulent comme si Ondine était encore dans
l’eau.
Le relief esd dès lors à chercher plutôt du
côté de Tirrenio, le seigneur de la
Méditerranée, oncle d’Ondine, qui manipule et lance
son courroux à travers une chorégraphie luxuriante.
Ricardo Cervera est exceptionnel de vivacité et de panache,
servant le rôle avec un ballon et une flexibilité
stupéfiante dans un costume vert et un maquillage très
prononcé qui capturent également l’attention. Un
peu à la Puck dans The Dream,
il se distingue du personnage principal par un festival de pyrotechnie
alors que le prince joue plutôt de la clarté, impressionne
par des attitudes, une certaine noblesse des mouvements. Palémon
là est très bien servi par la silhouette longiligne
d’Edward Watson qui n’est pas non plus dépourvu
d’une élévation pour le moins spectaculaire et qui
déploie ses jambes comme des lignes interminables dans
l’espace, comme au ralenti, en déclinant notamment le
jeté sous toutes ses formes avec élégance et
perfection.
Souvent tarabiscotée, la chorégraphie de Frederick Ashton
est ici assez claire et déconcertante - dans le bon sens du
terme - notamment en ce qui concerne Ondine et Palemon ; si le ballet
est construit de manière assez traditionnelle, il aspire
à quelque chose de "différent". Par exemple,
lorsqu’on retrouve au troisième acte, lors de la
cérémonie de mariage, les éléments des
danses de caractère, ce sont des personnages de la commedia
dell’arte qui apparaissent et livrent les divertissements, un
brillant trio mené par Mara Galeazzi (qu’on aimerait voir
en Ondine), mutine et vive, avec Brian Maloney et Sergei Polunin, ou le
duo qu’elle forme avec José Martin,
particulièrement endiablé alors que la musique
s’enflamme, comme un hommage à la période
napolitaine du compositeur, somme toute plutôt sombre le reste du
ballet. Le corps de ballet qui s’était illustré au
premier acte dans les portraits de créatures de la mer et de la
forêt, des ensembles très synchros et dynamiques, tout
comme dans la scène du bateau où le roulis de la mer est
simulé par les marins qui donnent presque le mal de mer par
leurs mouvements lents et enivrants.
Le ballet dans son intégralité est comme une
plongée dans les abîmes, avec des décors aux
teintes modérées et des lumières sombres, une
vision sur un autre monde qui n’est malheureusement pas vraiment
aboutie, mais cette sensation d’inachevé constitue
peut-être une invitation à la réflexion.
Maraxan © 2008,
Dansomanie
Ondine
Chorégraphie : Frederick Ashton
Ondine : Tamara Rojo
Palemon : Edward Watson
Berta : Genesia Rosato
Tirrenio, Lord of the Mediterranean Sea : Ricardo Cervera
The Royal Ballet
Samedi 29 novembre 2008, Royal Opera House, Londres
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