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critiques et comptes rendus
Bayerisches Staatsballett (Munich)

12 novembre 2008 : Romeo et Juliette
- John Cranko

De 1968 à 1972, en complément du ballet de Stuttgart, John Cranko a aussi dirigé – avec le titre plus modeste de «Chorégraphe en chef» - ce qui n’était alors encore que le Ballet de l’Opéra de Bavière : quarante ans après, le Ballet National de Bavière a consacré une bonne partie de l’année 2008 à célébrer l’influence considérable que celui-ci continue à avoir pour lui. Après une reprise d’Onéguine et un gala consacré à Cranko, c’est avec Roméo et Juliette que se clôt cet ambitieux hommage : la représentation du 12 novembre 2008 était la 228e à Munich ; plus encore, elle était le 40e anniversaire de l’entrée au répertoire de cette pièce que Cranko avait créé d’abord à Venise en 1958, puis, dans sa version actuelle, quatre ans plus tard pour sa troupe de Stuttgart. 

lucia lacarra et sunnyi melles dans romeo et juliette choregraphie john cranko
Sunnyi Melles (La comtesse Capulet) & Lucia Lacarra (Juliette)

Un anniversaire est l’occasion idéale pour un bilan : que reste-t-il, quarante ans plus tard, du bonheur communicatif avec lequel Cranko avait su faire renaître un répertoire entier de ballets narratifs, à une époque où, hors de Russie tout au moins, le genre menaçait ruine? Tout d’abord, certainement, le bonheur de raconter une histoire, et le talent pour le faire : à aucun moment Cranko ne cède à la danse-prétexte, au numéro obligé qui fait briller les étoiles et trébucher le récit. On pourrait commenter ici la fluidité des pas de deux, qui paraissent naître d’eux-mêmes et n’oublient jamais l’histoire qu’ils racontent ; mais il faut surtout souligner la perfection des scènes de foule : à aucun moment Cranko ne cède au pittoresque, pas plus qu’au vertige de la géométrie à la Petipa ou, parmi ses contemporains, à la Balanchine. Le récit n’est jamais prétexte : on le voit aussi dans son refus radical d’organiser la pièce en numéros clos : la narration donne ainsi une constante impression de fluidité, grâce aussi aux très beaux décors de Jürgen Rose.  

lucia lacarra et sunnyi melles dans romeo et juliette choregraphie john cranko
Sunnyi Melles (La comtesse Capulet) & Lucia Lacarra (Juliette)

La force de la narration tient aussi, bien entendu, au travail sur les personnages : tout Juliette est là en quelques secondes ; et Cranko sait donner une force minérale à Tybalt en quelques gestes, en une attitude, un regard. Cette vitalité qu’on a pu voir ce soir-là sur scène, outre qu’elle rappelle à satiété le talent du chorégraphe sud-africain, est aussi le résultat du travail de transmission qui, pendant plusieurs décennies, a permis à des générations de danseurs de se glisser dans la peau des personnages, solistes comme corps de ballet : la force du Ballet de Bavière est là, dans cette adéquation parfaite avec le style d’un grand chorégraphe. 

marlon dino ivan liska et lucia lacarra dans romeo et juliette choregraphie john cranko
Marlon Dino (Roméo), Ivan Liška (Lorenzo) & Lucia Lacarra (Juliette)

Pour fêter cet anniversaire, Ivan Liska avait choisi de recourir à un couple inédit : aux côtés de Lucia Lacarra, l’étoile incontestée de la compagnie, qui avait déjà interprété 6 fois le rôle à Munich aux côtés de Cyril Pierre et Vladimir Malakhov, c’est donc Marlon Dino, simple soliste, qui fait ses débuts à ses côtés dans le rôle de Roméo, après avoir interprété, aux côtés de Lucia Lacarra, le rôle titre de l’Onéguine de Cranko l’an passé. Dino, qui avec ses jambes immenses domine sa partenaire de presque une tête, se montre un excellent partenaire – le travail, n’en déplaise à certains, est bien plus important ici que la conformité physique. Le personnage, certainement, pourrait être encore plus fouillé, notamment dans le sens d’une plus grande différenciation par rapport à ses compagnons : la danse, elle, est impeccable et fougueuse.  


heino hallhuber dans romeo et juliette choregraphie john cranko
Heino Hallhuber (Le duc de Vérone)

Lucia Lacarra, elle, a amplement l’occasion de montrer avec ce rôle qui ne met pas outre mesure à contribution ses étonnantes qualités gymniques qu’au-delà de celles-ci, elle est une grande interprète chez qui la danse, si virtuose soit-elle, ne cesse jamais d’être expressive. On l’aurait peut-être moins attendue en Juliette qu’en Dame aux Camélias : la puissance d’une composition travaillée dans ses moindres détails sans jamais cesser d’être naturelle vient balayer ces doutes. Si Lucia Lacarra est une grande artiste, ce n’est pas parce qu’elle est une virtuose impeccable : c’est parce qu’elle sait constamment utiliser ses moyens pour construire un rôle et un style.

juergen wienert et sunnyi melles dans romeo et juliette choregraphie john cranko
Jürgen Wienert (Le comte Capulet) & Sunnyi Melles (La comtesse Capulet)

A leurs côtés, certains rôles de caractère méritaient particulièrement l’attention : la Comtesse Capulet était l'actrice de théâtre Sunnyi Melles, le Père Laurent n’était autre qu’Ivan Liska lui-même ; deux anciens danseurs de la compagnie étaient également revenus pour l’occasion : l'octogénaire Heino Hallhuber jouait le Prince de Vérone après avoir dansé plus de 50 fois Tybalt depuis 1968, et Jürgen Wienert, aujourd’hui retraité, tenait pour la 142e fois le rôle du Comte Capulet. Dans les rôles dansés, Tigran Mikayelyan est un remarquable Mercutio : il en a le brio et le mordant, auxquels il ajoute une intensité vitale qui montre que cette joie de vivre n'est pas simple légèreté. Plus impressionnant encore, Cyril Pierre fait de Tybalt un aristocrate fier et froid, dont le regard glace : cette interprétation qu’on n’oubliera pas est peut-être le plus grand événement de cette soirée de fête.



Dominique Adrian © 2008, Dansomanie


Roméo et Juliette
Musique : Serge Prokofiev
Chorégraphie : John Cranko
Décors et costumes : Jürgen Rose

Juliette : Lucia Lacarra
Roméo : Marlon Dino
Tybalt : Cyril Pierre
Mercutio : Tigran Mikayelyan
Benvolio : Lukáš Slavický
La comtesse Capulet : Sunnyi Melles
Le compte Capulet : Jürgen Wienert
Le comte Pâris : Maxim Chashchegorov
Le comte Montaigu : Peter Jolesch
La comtesse Montaigu : Feline van Dijken
Le duc de Vérone : Heino Hallhuber
Rosalinde : Séverine Ferrolier
Pater Lorenzo :  Ivan Liška

Bayerisches Staatsballett
Mercredi 12 novembre 2008,  Nationaltheater, Munich


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