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critiques et comptes rendus
Ballet National du Rhin (Mulhouse - Strasbourg - Colmar)

09 novembre 2008 :
Des Ordres / Désordres, au Théâtre Municipal de Strasbourg


Une valse à trois temps…toujours les mêmes et pourtant si différents, si singuliers. Cette année, Bertrand d’At, directeur de la danse du Ballet du Rhin, a choisi comme incipit de nous dévoiler un triptyque  de chorégraphes contemporains dont le travail s’inscrit parfaitement dans cette nouvelle mouvance à laquelle le Ballet du Rhin aspire. Ce spectacle intitulé Des Ordres / Désordres est composé de trois pièces (Retour à Dogville - Immanence - Flockwork) qui plongent le spectateur dans un univers parfois théâtralisé composé de mouvance, de langage gestuel, et d’une recherche de la pureté absolue du mouvement où le langage du corps reprend tout son sens.

Dans Retour à Dogville, Hervé Maigret nous propose une relecture chorégraphique du très surprenant opus cinématographique de Lars von Trier, Dogville. Ce jeune chorégraphe, accompagné de ses collaborateurs Nathalie Licastro et Stéphane Bourgeois avec lesquels il a travaillé de nombreuses  années au Centre Chorégraphique de Nantes et fondé sa compagnie nc25, tente de recréer par le biais de l’art chorégraphique l’atmosphère très particulière du film. Le ballet est une succession de scènes de la vie quotidienne dans les années 1960,  au sein d‘un village perdu aux confins des Etats-Unis vivant en complète autarcie et relié au monde au moyen d’un transistor. Le décor disposé en arc de cercle  évoque des tranches de vie, des espaces intérieurs, et représente successivement une salle de cinéma, une salle à manger, une salle de classe, une épicerie, un bar, une cuisine, une chambre à coucher dont les murs sont réels pour les acteurs et fictifs pour les spectateurs, offrant à ceux-ci, au moyen de la disposition panoramique, la possibilité de laisser errer le regard à leur gré. Ce kaléidoscope est pourtant rythmé par un fil conducteur qui est l’apparition du premier personnage, le balayeur : sous l’influence du transistor, il actionne la cloche au centre de la scène et là, commence la plongée dans l’inconscient, dans une sorte de quatrième dimension. La cloche sonne le glas, et l’on bascule alors dans un univers obscur de rêve où tout est possible, même le pire.


jonathan freches et virginie bigois dans retour a dogville de herve maigret ballet du rhin 09 novembre 2008
Jonathan Freches et Virginie Bigois dans Retour à Dogville (chor. Hervé Maigret)

Le spectateur assiste alors à la mise en place d’une étrange dualité : d’un côté, on a un couple en crise qui se dispute et de l’autre côté, un couple d’amoureux qui n’aura de cesse de s’enlacer et de s’embrasser tout au long du ballet. La scénographie du ballet fait alterner, par une savante alchimie, une danse théâtralisée et une focalisation - un plan rapproché sur un groupe de protagonistes -, notamment au moyen des éclairages. L’expression «mettre en lumière» prend ici tout son sens. Chaque groupe de danseurs semble vaquer à ses occupations sans porter intérêt de ce qui peut se passer autour de lui, jusqu’au moment où Miss Grey, actionnant la cloche à son tour lors de son très sensuel solo, réveille les autres danseurs qui la rejoignent et l’accompagnent dans une aliénation collective, une danse de Sabbat matérialisée par des mouvements robotisés et stéréotypés. La conséquence de ce retour des hommes à l’état primitif sera le viol de Miss Grey. La tension atteint alors son paroxysme, on bascule dans le «désordre», dans l’irréparable.  Malgré ce qui se passe sous leurs yeux, les autres protagonistes continuent leurs activités dans un décor à peine éclairé, comme pour matérialiser leur indifférence. Puis la cloche retentit à nouveau, comme pour espérer un retour à la normale. La frénésie est passée, mais peut-on en sortir indemne? Les parties dansées sont sublimées par le très bon jeu de scène, notamment lors du pas de deux adultérin entre le mari et l’institutrice qui rompt le cours du ballet et est d’une sensualité exacerbée. Cette délicieuse parenthèse faite dans un presque silence évoque toujours et encore cette échappée de la conscience humaine, cet espoir d’un au-delà meilleur, différent, comme ce puzzle musical qui compose la musique du ballet et dont le transistor est l’objet sacralisé. On soulignera la très belle interprétation d’Emilie Krieger dont les talents de danseuse sont à l’égal de ses talents de comédienne.

Le second ballet, Immanence, est une création d’Andonis Foniadakis. Il a lui aussi créé sa propre compagnie, intitulée Apotosoma, après avoir travaillé avec Béjart et Teshigawara, et développe une danse essentiellement dirigée vers la recherche du geste parfait, du geste pur. Par conséquent, il propose un ballet difficile où la virtuosité des danseurs est une réalité incontestable. Dans un premier temps, la chorégraphie présente un seul danseur accompagné par une musique composée de longs moments de silence. Il est ensuite rejoint par deux autres danseurs et finalement par trois danseuses. Le ballet est une succession de mouvements d’une fluidité extrême, avec une gestuelle langoureuse qui dépasse les limites du corps et des membres pour atteindre un infini. On entre dans un univers d’abstraction absolue où les mots sont insensés, inutiles. Comment expliciter l’inexplicable, le sensationnel?


immanence andonis foniadakis ballet du rhin 09 novembre 2008
Immanence (chor. Andonis Foniadakis)

On se retrouve à la genèse du mouvement, à la quintessence de toute création. Y a-t-il quelque chose à comprendre alors? Le décor - un simple éclairage qui souligne par contraste l’obscurité de la scène - et les costumes épurés nous laissent dans l’expectative. Dans les méandres de l’inconscient, de l’animalité, les mouvements  deviennent des impulsions électriques qui ne s’apaisent qu’une fois les corps réunis dans les différents pas de deux. Lorsque le rythme du ballet ralentit, le geste se décompose avec une langueur délibérée, en opposition avec une musique conceptuelle à la limite de l’audible. Tout au long du ballet la scansion du mouvement est en parfaite opposition avec la musique. En définitive, Immanence est une manifestation de la pensée à travers la perfection gestuelle.

Le dernier ballet, Flockwork, d’Alexander Ekman, est quant à lui une parenthèse humoristique où la danse est à la fois le moteur et l’accessoire de la pièce. Inspiré par Mats Ek et Jiri Kylian, ce chorégraphe a d’abord créé Flockwork pour le Nederlands Dans Theater II en 2006. Lorsque Bertrand d’At l’a invité à travailler avec le Ballet du Rhin, il a décidé de retravailler son ballet en réactualisant les différentes données symboliques enrichies par la personnalité des danseurs du Ballet du Rhin. La scénographie est composée d’un jeu d’ombres et de lumières, où le noir et le blanc aussi bien dans les décors que dans les costumes participent à la sobriété de l’ensemble et se révèlent d’une efficacité hors norme.

flockwork alexander ekman ballet du rhin 09 novembre 2008
Flockwork (chor. Alexander Erkman)

Dire que la danse en est l’élément moteur serait mentir, car c’est avant tout une mise en scène, une savante alchimie au sein d’un univers dans lequel le spectateur adhère sans conteste dès l’ouverture du ballet. Le caractère burlesque est relevé à la fois par le comique de situation, par l’incongruité des décors et par le jeu des interprètes qui, tout en étant d’une jeunesse remarquée, en devient remarquable par la qualité de leur appropriation de la pièce. Le public bascule du statut de spectateur à celui d’acteur, lorsque les danseurs l’apostrophent, le considèrent et l’intègrent à l’action. Les jeux de lumière, ceux des «dans’acteurs», et ceux des décors participent à cette communion qui, malgré l’omniprésence de l’opposition noir/blanc, opère une fusion où les corps mélangés se font objet de décor. Les corps-décors décorent, jouent avec les éléments de décor, entraînant le spectateur dans un tourbillon final qui surenchérit par l’ajout d’un ultime élément : l’image. De la chorégraphie initiale naît une graphie ultime et innovante des corps dans l’espace. Tout concourt à faire de cette pièce un bijou inestimable où le spectateur prend énormément de plaisir. On retrouve également une caractéristique, chère à Bertrand d’At, qui est de faire des danseurs des machinistes, des acteurs à part entière de la scénographie : on se souvient notamment de son Roméo et Juliette ou de son Mandarin Merveilleux où les danseurs interagissent sur les éléments de décor. Ce ballet exprime la parfaite corrélation entre plusieurs arts visuels, formant ainsi une pièce équilibrée et très plaisante qui  a enchanté le public. Cette pièce clôture un triptyque de très grande facture. L’interprétation à la fois dansée et jouée des artistes a été saisissante de qualité et le choix de Bertrand d’At de réunir trois pièces si divergentes, mais motivées par la seule notion de plaisir à partager avec le spectateur, est une réussite.




Isabelle Schermesser © 2008, Dansomanie



Retour à Dogville
Chorégraphie : Hervé Maigret
Assisté de Nathalie Licastro, Stéphane Bourgeois, Didier Merle
Conception sonore : Jérémie Morizeau
Scénographie : Cyrille Bretaud
Costumes : Hervé Maigret, Cyrille Bretaud
Lumières : Nathalie Ringeisen

Immanence
Chorégraphie : Andonis Foniadakis
Assisté de Claude Agrafeil
Musique : Julien Tarride
Costumes : Andonis Foniadakis
Assisté de Marion Schmid
Lumières : Nathalie Ringeisen

Flockwork
Chorégraphie, décors, vidéo musique et conception sonore : Alexander Ekman
Assistantes à la chorégraphie : Claude Agrafeil, Célia Amade
Costumes :  Alexander Ekman, Joke Visser
Lumières : Tom Visser

Ballet de l’Opéra national du Rhin

Théâtre Municipal de Strasbourg
Dimanche 09 novembre 2008, 15h00



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