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critiques et comptes rendus
Royal Ballet (Londres)

14 novembre 2008 :
Voluntaries, The Lesson et Infra, au Royal Opera House


Avant le marathon de décembre et son incontournable Casse-noisette, le Royal Ballet présente actuellement pour cinq soirées une nouvelle triple affiche avec une création de son chorégraphe résident, Wayne McGregor, qui, depuis sa nomination, avait surtout produit ailleurs… Pour accompagner cet opus, la compagnie a choisi de remettre sur la scène Voluntaries (1973) de Glen Tetley et, afin de contraster sans doute, The Lesson (1963) de Flemming Flindt, inspiré de la pièce d’Eugène Ionesco.

La Leçon est un ballet difficile à insérer dans un programme et, coincé entre deux longs entractes, il fait fonction de grande pause qui permet de s’aérer du caractère obsessionnel des deux autres pièces. Ce n’est pas qu’on se détend avec le ballet de Flemming Flindt, car, dès l’apparition décalée d’Edward Watson, la tension monte. Il réalise en quelque vingt minutes, une phénoménale composition, arrachant les rires dès son arrivée ; d’abord agité de tics, il plonge dans l’angoisse au fur et à mesure de son escalade vers la folie meurtrière. Son visage émacié, ses cheveux rebelles, son regard perçant conviennent parfaitement à ce rôle de psychotique ; la manière dont il écrase la scène de sa présence est conforme à ses talents d’acteur maintes fois loués dans ce type de rôle. Il sait à la fois rendre l’aspect névrotique du personnage, mais aussi l’inscrire dans un esprit d’humour noir qui ne franchit jamais les limites du drame. Un grand travail d’acteur, soutenu par l’excellente Elizabeth McGorian en pianiste tout aussi névrosée et très présente. Les deux éclipsent un peu la jeune Yuhui Choe, tendre victime moins poison que certaines autres interprétes du rôle. De la danse "pure", il y en a peu pour servir l’aura des interprètes, des explosions du professeur soulignant quand même l’élévation du danseur, et la maîtrise de Yuhui Choe qui lui permet de rendre les passages les plus torturés où le professeur la martyrise de manière assez spectaculaire. C’est un peu cette tension entre le jeu de l’acteur et tout ce qui n’est pas habituel dans le ballet classique qui fait le charme de cette œuvre qui a le bon goût de ne pas être longue  ou redondante.


yuhui choe dans the lesson de flemming flindt au royal ballet 14 novembre 2008
Yuhui Choe (l'Elève) dans The Lesson (chor. Flemming Flindt)

Il y a maints points communs entre les deux autres ballets qui figurent au programme. Voluntaries, de Glen Tetley, ouvrait la soirée de manière très solennelle, sur le Concerto pour orgue en sol mineur de Francis Poulenc. L’ouvrage aspire à une certaine plastique, magnifiée notamment par des costumes simples mais saisissants : des justaucorps en lycra blanc parsemés de pois multicolores sur le haut du corps ou les jambes dans un cas, des tee-shirts et des slips tricolores, noirs, gris ou blancs (seule Lauren Cuthbertson porte une jupette et Eric Underwood, torse nu, un pantalon) dans l’autre. Cette mise en valeur des corps des danseurs aux lignes ascétiques tourne vers une certaine androgynie qui, mise à part les nombreux portés (à la russe dans Voluntaries, au niveau de la taille, et d’ailleurs plutôt manipulations, dans Infra) se retrouve dans une chorégraphie plutôt athlétique, même si les filles ont des pointes dans les deux œuvres. Les lignes effilées font alors partie intégrante de la chorégraphie de Glen Tetley qui utilise largement ces corps pour créer des dessins dans l’espace. Les pas de deux sont très divers et les couples sont aussi bien mixtes, féminins ou masculins. La répétition est aussi de mise, comme une obsession de la perfection du geste, comme un écho à la musique également. Evidemment, Max Richter n’est pas Francis Poulenc mais l'ambiance est tout aussi morose. On retrouve chez Wayne McGregor ce goût pour le mélange des musiques électroniques, très avant garde, et le classique pur, qui s’exhale dans la composition de Max Richter, des sons un peu venus d’ailleurs à la Mogwai, quelquefois mêlés à des bruits de voix, des saturations très «noisy» avant de reprendre le rythme des violons et violoncelles, le Max Richter Quintet assurant la représentation.

Le décor est également minimaliste, un cercle en relief au style pointilliste pastel rappelant la tenue des danseurs dans Voluntaries, une fine projection de dessins de personnages marchant au-dessus des danseurs dans Infra, composition minimaliste de l’artiste Julian Opie. Il y a aussi cette scénographie très poussée qui vit à côté de la chorégraphie comme un élément déterminant du visuel. Dans les deux oeuvres, on construit des lignes, on organise l’espace par des placements et des poses sur scène très déterminantes dans la réussite esthétique de ces ballets abstraits. Si Voluntaries construit une géométrie par addition des corps, Infra porte la marque des contorsions d’une chorégraphie où un seul corps suffit et plusieurs donnent le tournis. La principale différence se situe au point de vue du vocabulaire chorégraphique, même si, là encore, Glen Tetley s’inscrit dans son époque comme Wayne McGregor dans la sienne.


sergei polunin dans voluntaries de glen tetley au royal ballet 14 novembre 2008
Sergeï Polunin dans Voluntaries (chor. Glen Tetley)

Voluntaries est une ode aux portés et aux arabesques, aux pirouettes et aux grands jetés dont l’agencement semble uniquement préoccuper le chorégraphe. Les entrées de groupes sont souvent fracassantes et spectaculaires. Celles des couples plus douces et discrètes. Federico Bonnelli et Leanne Benjamin font à nouveau cause commune en alternance avec un trio, formé de Mara Galeazzi, Sergei Polunin et Thiago Soares, tous très en verve. Les deux premiers, souvent seuls, se déplacent lentement dans l’espace, comme pour y laisser des marques invisibles - les jambes de Leanne Benjamin développant de multiples arabesques -, qui les conduisent vers un retour au centre récurrent, devant le rond gigantesque qui constitue l’unique décor du ballet. Les tableaux sont rythmés par les différents groupes de danseurs et par les variations de lumière, mais la chorégraphie reste assez similaire et la musique de Francis Poulenc a du mal à maintenir l’attention.

Chez Wayne McGregor, l’utilisation de la répétition est tout autre car elle se fond dans la musique, elle-même répétitive, voire obsessionnelle. Elle est un écho aux mouvements du corps électrisés typiques du chorégraphe et qui sont presque per se son unique moyen d’expression. Avec Infra, Wayne McGregor apporte une pierre décisive à son style chorégraphique si particulier dont il instaure définitivement un vocabulaire que l’on retrouve de ballet en ballet. Si le chorégraphe a souvent dans la construction de ses oeuvres un propos très précis, celui-ci n’est pas toujours lisible dans les mouvements proposés par les danseurs. Dans Infra, contrairement à ses précédents opus, il s’affranchit du geste pur pour dire quelque chose de manière pas très évidente, mais qui le distingue de Qualia ou Chroma, ou encore de Genus et d'Entity, plus récents.

eric underwood et melissa hamilton dans infra de wayne mcgregor au royal ballet 14 novembre 2008
Eric Underwood et Melissa Hamilton dans Infra (chor. Wayne McGregor)

Le ballet s’ouvre sur Edward Watson, égérie du chorégraphe, danseur au corps 
«mcgregorien» par essence,  dont les mouvements de tête de dos montrent qu’il observe et réfléchit. Ce thème est repris notamment lors d’un long passage où il se confronte à lui même, réitère des gestes, presque de mime, compulsifs vers la fin du ballet, alors que Leanne Benjamin et Mara Galeazzi dansent en duo sur le devant de la scène. On peut voir à travers les couples qui se forment et se déforment l’écho de ces personnages qui marchent au-dessus de la scène, des rencontres qui commencent ou se terminent : Ricardo Cervera et Lauren Cuthbertson devisant au milieu de la scène, en visible désaccord, puis se tenant par la main, Edward Watson passant de Leanne Benjamin à Marianela Nuñez, paroxysme du couple androgyne, où la silhouette diaphane d’Edward Watson se confond avec celle de l’athlétique danseuse. Un passage très structuré voit les six couples du ballet prendre place tour à tour dans des rectangles blancs dessinés sur scène pour une chorégraphie endiablée, asynchrone et terriblement envoûtante. Lorsque l’écran s’éteint, la scène se remplit de personnages qui semblent en être descendus, des gens habillés en civil traversent la scène comme les bonshommes de Julian Opie précédemment, emmenant avec eux les danseurs.

Avec Infra, Wayne McGregor ouvre une porte vers une autre dimension de son œuvre, tout en établissant concrètement un vocabulaire qu’il est sans doute le seul à pouvoir utiliser de la sorte. Il construit en tout cas une œuvre qui, portée par le Royal Ballet mais s’étendant maintenant au-delà de la compagnie, prend forme et marquera distinctement ces années.




Maraxan © 2008, Dansomanie



Voluntaries
Chorégraphie : Glen Tetley
 

Leanne Benjamin, Federico Bonelli
Mara Galeazzi, Sergei Polunin, Thiago Soares
Helen Crawford, Melissa Hamilton, Hiraku Kobayashi, Emma Maguire, Sian Murphy, Samantha Raine
Ryochi Hirano, Kenta Kura, Brian Maloney, Ernst Meisner, Johannes Stepanek, Thomas Whitehead


The Lesson
Chorégraphie : Flemming Flindt

The Teacher :  Edward Watson
The Pupil : Yuhui Choe
The Pianist : Elizabeth McGorian


Infra
Chorégraphie : Wayne McGregor

Leanne Benjamin, Yuhui Choe, Lauren Cuthbertson, Mara Galeazzi, Melissa Hamilton, Marianela Nuñez
Ricardo Cervera, Ryochi Hirano, Paul Kay, Eric Underwood, Jonathan Watkins, Edward Watson



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