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critiques et comptes rendus
Ballet de l'Opéra National de Lyon

08 novembre 2008, 20h30 :
Roméo et Juliette, d'Angelin Preljocaj, à l'Opéra de Lyon


Qu'advient-il de Roméo, Juliette et Prokofiev dans un monde totalitaire, chargés de porter un message politique? Angelin Preljocaj, dans cette création de 1990, les altère sans les perdre, dans la grande tradition de relecture des mythes. A défaut de lyrisme, ce ballet narratif moderne fait le choix de l'intégrité.

Une partie d'échecs politique va ainsi se jouer sur la partition de Prokofiev, resserrée autour d'une action d'une heure et demie. La narration est épurée par la disparition de bien des personnages secondaires, en partant du principe – très juste – que l'histoire est dans tous les esprits ; les parents des amants ne sont pas figurés, tandis que la nourrice est remplacée par deux femmes, deux pantins semblables chargés de surveiller Juliette. Avec cette dimension familiale, familière et nourricière, c'est l'architecture du conflit des deux clans qui s'effondre, au profit d'une lutte entre fascisme (l'entourage de Juliette et ses relents de milice fanatique) et liberté individuelle ; Enki Bilal souligne et amplifie à merveille cet imaginaire de l'anticipation avec un décor futuriste fixe, le balcon devenant une rampe métallique devant une tour pour le moins aérodynamique. Roméo y tuera un garde sur les premiers accords de la scène du balcon, illustrant à retardement les accents les plus grinçants de la partition.


romeo et juliette angelin preljocaj ballet opera de  lyon 08 11 2008

La noirceur de l'ensemble est à l'évidence le domaine de Preljocaj, qui montre plus d'affinités avec la puissance de Prokofiev qu'il n'en avait avec Mahler pour Blanche-Neige. Le défilé de Tybalt et ses acolytes, sur la Danse des Chevaliers, est d'une force mécanique qui s'oppose brutalement aux jeunes chiens fous, Roméo, Benvolio et Mercutio. Dans ce dernier rôle, la virtuosité désinvolte d'Alexis Bourbeau est parfaitement intégrée ; il mourra sous les matraques sans que cependant Roméo ne tue Tybalt, investi du pouvoir symbolique dans l'oeuvre et interprété avec une froideur idéale par Cédric Andrieux. Le corps de ballet masculin, d'une précision implacable, est à l'avenant, même si on peut regretter le manque de clarté des scènes impliquant Frère Laurent, vêtu de manière indifférenciée.

Si la profusion, comme dans Blanche-Neige, de courtisanes ou assimilées (dont Juliette fait d'ailleurs partie dans la scène du « bal », défilé féminin pour soldats) laisse perplexe, le rôle des deux nourrices est particulièrement bien relayé. Vêtues de pantalons bouffants noirs et blancs, miroir l'une de l'autre, Agalie Vandamme et Aurélie Gaillard incarnent un entêtement froid et désapprobateur dont la mécanique drôlerie fournit un sujet de parodie au peuple. Ce sont elles qui séparent les amants après leur nuit de noces ; sentinelles aux visages d'anges froids, elles profitent idéalement des accents ironiques de Prokofiev.


romeo et juliette angelin preljocaj ballet opera de  lyon 08 11 2008

Quant au couple central, c'est là que le bât blesse dans la première partie du spectacle. Le lyrisme n'est pas le territoire de Preljocaj ; chorégraphe charnel, mélancolique, oui, mais la simplicité de son écriture ne se prête pas aux envolées du coup de foudre. La scène du balcon met trop longtemps à s'accorder à la partition, trop de distance entre Roméo et Juliette, qui se jettent et rejettent l'un à l'autre avec hargne. Ce trait de Preljocaj qui consiste à ne travailler que très peu les expressions des danseurs rend certains passages monolithiques, et la distribution, qui place Roméo face à une Juliette d'une tête de plus que lui, ne rétablit pas l'équilibre. Leur mariage secret change cependant doucement la donne ; la chorégraphie, dont l'imaginaire sombre est nourri par le drame, culmine avec la nuit des amants et leur fin. La démultiplication du couple lors de son deuxième pas de deux, reproduit en miroir par d'autres danseurs derrière des écrans, est un artifice un peu superflu, mais l'ensemble offre surtout à Karline Marion, ancienne danseuse du Béjart Ballet Lausanne, une chance se révéler l'étendue de sa palette. La précision géométrique de chacun de ses mouvements, l'articulation expressive de ses pieds donnent un relief perçant à l'héroïne ; son suicide n'en a que plus d'impact, lorsqu'elle reproduit désespérément dans les bras de Roméo mort le cambré arqué qui avait été son premier geste face à lui. Sa rébellion se joue presque dans ce détachement sculptural à l'égard de son clan, relégué à deux dimensions.

On se prend à songer, une fois le spectacle achevé, que le message politique reste d'une platitude conventionnelle ; liberté personnelle contre fascisme généraliste et surveillance, cette vision se contente souvent de conforter le spectateur dans ses positions. Le mythe émerge pourtant, débarrassé de l'imagerie moyenâgeuse qui met à distance certaines versions – et Preljocaj chorégraphie son ampleur, en s'inclinant.




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