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Ballet de l'Opéra National de Bordeaux
03 novembre 2008 : Quatre tendances au Grand Théâtre de Bordeaux
C’est
par un programme tout à la fois éclectique et ambitieux,
proposant des œuvres de quatre éminents
chorégraphes d’aujourd’hui, que le Ballet de
l’Opéra de Bordeaux ouvrait en cette fin d’octobre
sa nouvelle saison. Des pièces célèbres de
Jiří Kylián, Claude Brumachon, William Forsythe, ainsi
qu’une création de Thierry Malandain, composaient ainsi
l’affiche d’un spectacle intitulé «Quatre
tendances», se voulant comme un condensé de ce que la
création chorégraphique contemporaine peut offrir de
meilleur.
Valse[s], chor. Thierry Malandain
Valse[s], de
Thierry Malandain, créé spécifiquement pour le
Ballet de Bordeaux et ce programme mixte, ouvrait la soirée.
Oscillant entre singulier et pluriel, le titre de l’œuvre
nous ramène d’abord à deux pièces de Maurice
Ravel, les Valses nobles et sentimentales et La Valse,
que le chorégraphe a réunies, comme l’avait fait du
reste avant lui George Balanchine, pour servir d’écrin
musical à son ballet. Si le choix de la partition de Ravel
s’inscrit dans une tradition chorégraphique, il en est de
même pour l’argument, inspiré du livret de Gemma,
ballet de Théophile Gautier, sur une chorégraphie de
Fanny Cerrito, monté à l’Académie
Impériale de Musique en 1854.
Toutefois, cet argument complexe, qui met en scène un trio de
protagonistes (pour résumer, le personnage éponyme, la
Comtesse Gemma, amoureuse du peintre Massimo, se retrouve sous la coupe
d’un adepte du magnétisme, le Marquis de Santa-Croce, qui
l’hypnotise), est rapidement détourné au profit
d’un ballet d’essence plus abstraite, ou du moins plus
symbolique, dans lequel les trois solistes initiaux se retrouvent peu
à peu submergés par les mouvements du corps de ballet,
qui s’impose finalement comme l’élément
central autour duquel se développe la chorégraphie de
Malandain. Celle-ci est comme partagée, dans une ambivalence
très romantique, entre une attirance vers le sol, que symbolise
la récurrence du grand plié à la seconde, et un
élan vers le ciel, que marque l’abondance des sauts et des
portés valsés, qui culminent dans le tournoiement du
mouvement final. Le corps de ballet évolue ainsi à la
manière d’un chœur autour des solistes, se pliant et
se dépliant au rythme de la musique et des mouvements complexes
que lui imprime une chorégraphie qui prend successivement des
accents de Sacre du Printemps ou de Valse Fantastique.
Valse[s], chor. Thierry Malandain
A cet égard, la scénographie, d’un
esthétisme délibéré et appuyé, comme
toujours chez Malandain, et notamment les costumes, illustrent
idéalement la dichotomie portée par le texte
chorégraphique tout en traduisant bien le charme précieux
de la musique de Ravel. Les danseurs se retrouvent vêtus tour
à tour de justaucorps de couleur chair, à l’aspect
végétal, comme pour symboliser un retour à la
nature et à la liberté, ou de robes de bal
corsetées, à la beauté sombre et
vénéneuse, aptes à suggérer le pouvoir
d’enfermement des hommes sur les femmes, qu’illustre la
fable de Gemma, point de départ de la chorégraphie.
Valse[s], chor. Thierry Malandain
Si les danseurs bordelais savent se montrer à la hauteur de ce
ballet envoûtant – dans tous les sens du terme - qui, une
fois n’est pas coutume, met particulièrement en valeur le
corps de ballet, on aurait cependant aimé voir un peu plus de
synchronisme dans les ensembles, auxquels manque surtout une certaine
ampleur dans les portés et les mouvements valsés. Si
l’exécution peut pour sa part mûrir encore, sur le
plan chorégraphique, on aura simplement regretté que les
pointes n’aient pas été utilisées pour les
danseuses, dans la perspective de recréer, au travers de la
musique de la valse, une danse d’envol, à la fois
hypnotique et irréelle, en phase avec le propos
développé par le ballet.
En parfait contrepoint à la sophistication de Valse[s], Click-Pause-Silence
impose au spectateur une forme d’épure
chorégraphique et musicale absolue qui confine à la
fascination. Créée en 2000 pour le Nederlands Dans
Theater, cette œuvre de Jiří Kylián,
réglée pour trois danseurs et une danseuse, fait
littéralement corps avec une âpre composition musicale de
Dirk Haubrich, qui se présente comme une patiente
déconstruction, suivie d’une reconstruction, du
Prélude n°24 extrait du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach.
Click - Pause - Silence, chor. Jiří Kylián
Click,
ou une danse à l’état encore fragmentaire, en train
de s’ébaucher, des mouvements aux lignes brisés,
une gestuelle à l’état brut, des couples qui se
cherchent, s’étudient, sur fond d’accords
disséminés. Une sorte d’ «arrêt sur
image» réitéré, pour reprendre les termes de
Kylián. Pause, comme
ce flash violent qui plonge la scène dans
l’obscurité, laissant le spectateur sous le choc de
l’instant, comme désemparé. Silence
enfin, pour un retour à l’ordre et à un semblant
d’harmonie, au son d’un Bach retrouvé. Le miroir
fidèle est là, dans un coin de la scène,
associé à un écran vidéo montrant la danse
à l’œuvre, en train de naître sous nos
yeux… Le film - ou la pièce - peut alors s’achever.
Click - Pause - Silence, chor. Jiří Kylián
Des quatre danseurs engagés, on retiendra notamment
l’homogénéité d’un ensemble qui
évolue sans heurts majeurs, et plus encore la puissance et la
précision dans les placements manifestées par le trio
masculin, composé de Roman Mikhalev, Vladimir Ippolitov et
István Martin, dont la danse sans fioritures ni effets
d’aucune sorte, s’inscrit parfaitement dans l’esprit
et le style du chorégraphe tchèque.
Après une œuvre aussi forte et dense que celle de
Kylián, dont l’émotion reste constamment du domaine
du non-dit et de l’ineffable, Les Indomptés,
de Claude Brumachon, paraît bien anecdotique, sans que la
chorégraphie procure en soi un quelconque déplaisir. Ce
bref interlude pour deux interprètes masculins,
créé en 1997 sur une musique de Wim Mertens associant la
voix au piano, diffuse, à l’inverse de la pièce de
Kylian, une émotion très brute, très
extériorisée, dont on peut se demander si elle
n’est pas traitée un peu trop au premier degré,
à l’instar de la chanson qui l’accompagne, de
la pop haut de gamme qui rappelle le John Cale néo-classique de
Paris 1919 en version plus aseptisée. Dans ce duo
métamorphosé en duel, les danseurs miment tous les
éclats de la passion, jusque dans son animalité la plus
extrême, comme le suggère la gestuelle taurine
qu’ils adoptent tour à tour.
Les Indomptés, chor. Claude Brumachon
Interprétée avec force, sensualité et conviction
par Ludovic Dussarps et István Martin, dont la relative
gémellité contribue à semer le trouble (peut-on
supposer qu’il en soit de même dans l’autre
distribution, formée de Roman Mikhalev et Vladimir Ippolitov?),
l’œuvre est sans conteste efficace, d’un accès
immédiat et apte à plaire au plus grand nombre, sur le
plan chorégraphique comme sur le plan musical. Cependant, seize
ans après sa création, on a comme l’impression
d’avoir vu répétée mille fois cette
gestuelle brute et énergique, mélange de lyrisme et de
sauvagerie, qui la caractérise de bout en bout.
L’affrontement chorégraphié par Preljocaj dans Un Trait d’Union
(qui date de 1990) vient à l’esprit, et la
chorégraphie de Brumachon le rappelle – consciemment ou
inconsciemment - à bien des égards, mais sans que
l’on y retrouve le second degré, le regard ironique et
grinçant porté sur la banalité du quotidien, qui
contribuait chez Preljocaj à transcender le caractère
quelque peu stéréotypé et artificiel du duo
amoureux.
In The Middle Somewhat Elevated,
qui achevait la soirée, faisait son entrée au
répertoire du Ballet de l’Opéra de Bordeaux
à l’occasion de ce programme. Confrontés à
la pièce la plus fameuse de Forsythe, dansée dans le
monde par les plus grands, de l’Opéra de Paris au
Théâtre Mariinsky, et devenue l’emblème
d’un style resté inégalé, les danseurs
bordelais relèvent là un défi de taille, et qui
leur fait honneur, en reprenant ce monument chorégraphique. Bien
sûr, le «déjà-vu» est là,
insistant dans les esprits, et il est difficile d’y
échapper. On s’empresse alors d’oublier Guillem,
d’oublier Hilaire, d’oublier Kondaurova et le corps de
ballet électrisant du Mariinsky au Châtelet en 2005, pour
ne parler que de l’ «ici et maintenant».
In The Middle Somewhat Elevated, chor. William Forsythe
Du côté des solistes principaux, la distribution
bordelaise est sans conteste dominée par Oksana Kucheruk et
Roman Mikhalev, respectivement étoile et soliste de la
compagnie. Le Ballet de l’Opéra de Bordeaux possède
là deux artistes d’envergure internationale, qui se sont
révélés proprement éblouissants dans leurs
parties respectives, y déployant toutes les qualités
exigées par la gestuelle d’un chorégraphe qui ne
cesse de jouer avec l’extrême, celui du mouvement et celui
du vocabulaire académique, retravaillé ici de
manière paroxystique. Souplesse, précision technique et
musicale, fluidité des lignes, énergie électrique,
mais aussi sens de l’accélération et de la retenue,
de la concentration et du relâchement, rien ne manque aux deux
danseurs, pas même le charme, sous des dehors pourtant
relativement ordinaires.
In The Middle Somewhat Elevated, chor. William Forsythe
Vanessa
Feuillatte et Diane Le Floc’h, deux talents prometteurs de la
compagnie, se distinguent également par leur dynamisme et leur
présence au sein de ce huis-clos urbain qu’est In the Middle.
On soulignera enfin la qualité générale des
ensembles qui dégagent une belle unité, montrant
là que la réussite dans l’interprétation de
l’ouvrage réside aussi, au-delà des divers soli et
pas de deux, à l’exécution parfois inégale,
dans l’expression d’une même énergie
collective.
In The Middle Somewhat Elevated, chor. William Forsythe
Au
travers de quatre œuvres chorégraphiques, le programme
mixte proposé en ouverture de la nouvelle saison de
l’Opéra de Bordeaux aura ainsi permis de diffuser
auprès du public bordelais, un autre visage de la danse
contemporaine, dépassant les vains clivages entre tenants
d’un classicisme étroit au risque de
l’assèchement et disciples d’une modernité
débridée et oublieuse de toute histoire. Des œuvres
de notre temps certes, mais dont l’intérêt, la
richesse et la pérennité ne font guère de doute.
B. Jarrasse © 2008,
Dansomanie
In The Middle Somewhat Elevated, chor. William Forsythe
Valse[s]
Chorégraphie : Thierry Malandain, assisté de Françoise Dubuc
Musique : Maurice Ravel
Décors & costumes : Jorge Gallardo
Eclairages : Jean-Claude Asquié
Roman Mikhalev / István Martin
Ludovic Dussarps / Marc-Emmanuel Zanoli
Juliane Bubl / Yumi Aisawa
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Yumi Aisawa / Marie-Lys Navarro
Stéphanie Gravouille
Corinne Lanssens
Laure Lavisse
Suzanne Limbrunner
Mika Yoneyama
Emilie Cerruti
Vladimir Ippolitov / Ludovic Dussarps
Marc-Emmanuel Zanoli /
Felice Barra
Pier-Paolo Gobbo
Vladimir Korec
Alvaro Rodriguez
Guido Sarno
Click - Pause - Silence
Chorégraphie, décors & lumières : Jiří Kylián
Musique : Dirk Haubrich - Jean-Sébastien Bach
Costumes : Joke Visser
Juliane Bubl / Yumi Aisawa
Roman Mikhalev, Vladimir Ippolitov, István Martin / Roman Mikhalev, Guido Sarno, Ludovic Dussarps
Les Indomptés
Chorégraphie : Claude Brumachon, assisté de Benjamin Lamarche
Musique : Wim Mertens
Ludovic Dussarps, István Martin / Roman Mikhalev, Vladimir Ippolitov
In The Middle Somewhat Elevated (version de Francfort, 1988)
Chorégraphie, mise en scène, lumières et costumes : William Forsythe
Musique : Thom Willems, en collaboration avec Leslie Stuck
Costumes : Joke Visser
Oksana Kucheruk, Laure Lavisse
Igor Yebra
Juliane Bubl
Roman Mikhalev / Vladimir Ippolitov
Vanessa Feuillatte, Marc-Emmanuel Zanoli
Diane Le Floc’h, Darélia Bolivar / Marina Guizien, Stéphanie Gravouille
Ballet de l'Opéra National de Bordeaux
Lundi 3 novembre 2008, 20h00, Grand Théâtre de Bordeaux
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