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critiques et comptes rendus
Ballet du Capitole de Toulouse

01 novembre 2008 :
Coppélia au Théâtre du Capitole de Toulouse

Le Ballet du Capitole a ouvert  sa saison 2008-2009 par une reprise très attendue de Coppélia, présentée au Théâtre du Capitole de Toulouse les 30, 31 octobre et 1er novembre derniers.

Spectacle brillant placé à mi-chemin entre rêve et réalité, cette nouvelle chorégraphie du ballet, réalisée par Nanette Glushak d’après la version du chorégraphe cubain Enrique Martinez - créée à l’Académie de Musique de Brooklyn le 24 décembre 1968 et restée longtemps au répertoire de l’American Ballet de New York - avait été présentée pour la première fois par le Ballet du Capitole, à Toulouse, le 16 mai 1997. Pour ce qui est de l’actuelle reprise, Nanette Glushak associée à Michel Rahn avait souhaité mettre davantage en valeur le corps de ballet et renouveler le langage chorégraphique dans le sens d’une plus grande exigence technique : elle a pleinement atteint les objectifs qu’elle s’était fixé, offrant au public toulousain quatre représentations de très grande qualité.

brenno bittencourt franz et evelyne spagnol swanilda dans coppelia
Evelyne Spagnol (Swanilda) - Breno Bittencourt (Franz)

Depuis la première de Coppélia le 25 mai 1870 au Théâtre Impérial de l’Opéra, salle Le Peletier, jusqu’à nos jours, en passant par sa reconstitution par Pierre Lacotte le 18 décembre  1993 au Palais Garnier, le célèbre ballet n’a pratiquement connu aucune rupture dans la continuité de sa transmission. Toutefois, depuis quelques années, la beauté de la musique de Delibes, la qualité littéraire du conte d’Hoffmann, L’Homme au sable, le charme du livret de Charles Nuitter et Arthur Saint-Léon et l’exceptionnelle invention chorégraphique d’Arthur Saint-Léon, sur lesquels il se fonde, ont suscité de très nombreuses relectures de l’œuvre. Certains chorégraphes contemporains ont mis à jour et développé des thématiques sous-jacentes à l’intrigue (mythe de Pygmalion, par Roland Petit, à Marseille en 1975, image de la poupée Barbie, par Maguy Marin, à Lyon en 1993), modifié de manière significative la structure de l’œuvre et  accentué sa dimension fantastique (création d’un rôle fascinant  d’étoile, pour un Coppélius maléfique, par Patrice Bart, au Palais Garnier en 1996),  plus simplement transposé l’œuvre dans un tout autre contexte que celui du livret d’origine (une petite ville des États-Unis animée par des «marines», au début des années cinquante, par Charles Jude à Bordeaux en 1999)  ou encore, très récemment, au début de 2008, opté pour un parti pris de fantaisie tonique (tel Jo Strømgren avec le Ballet de l’Opéra national du Rhin à Strasbourg, ) ou de fantaisie débridée (tel Cisco Aznar avec le Ballet du Grand Théâtre de Genève, à Paris au Théâtre national de Chaillot, et à Lyon).

La chorégraphie d’Enrique Martinez, remaniée par Nanette Glushak et Michel Rahn, n’est pas, quant à elle, de cette veine audacieuse ou iconoclaste. Elle peut être qualifiée de classique et de conforme à la tradition, dans la mesure où l’argument n’a pas été modifié, où danse et pantomime s’équilibrent, où le caractère expressif du pas de deux et des variations est contrebalancé par la  vivacité et la couleur des ensembles et où les danses de caractère sont traitées avec le relief saisissant qu’elles exigent. L’originalité de la création du chorégraphe cubain réside dans  une vision sereine et optimiste de l’œuvre, devenue, sous sa signature, une amusante comédie, teintée d’esprit populaire, marquée d’étrangeté mais dénuée de toute implication dramatique ou fantastique -, en quelque sorte un hymne radieux à la jeunesse et à la vie.
 

pascale saurel dans la mazurka de coppelia 
Pascale Saurel dans la Mazurka

La structure du ballet, dans la version Martinez, est en trois actes. Après le prélude introductif  confié à l’orchestre, l’Acte I présentait successivement la Valse, la Mazurka, la Ballade de l’Épi, le Thème slave varié, la Czardas et le Final. On a pu regretter que les danses n’aient pas toujours été données dans leur intégralité : ainsi, le public a-t-il été privé de la quatrième variation pour clarinette soliste du Thème slave et n’a pu de ce fait apprécier cette musique pénétrante, de caractère alangui, sur laquelle se développe habituellement un magnifique solo où Franz, déjà amoureux, exprime la fascination et l’attrait qu’exerce sur lui la poupée Coppélia, assise immobile à la fenêtre de la maison de vieux magicien. Après l’entracte symphonique, l’acte II se composait de la Musique des automates, de la Chanson à boire, de la Valse de la Poupée, du Boléro, de la Gigue et des diverses scènes qui précèdent ou suivent ces pages célèbres. Quant au IIIème acte, il reprenait presque intégralement le IIIème acte d’origine [dont on se souvient qu’il avait été imaginé par Delibes, en conclusion à son œuvre, comme un somptueux spectacle de noce paysanne où les villageois figuraient des allégories des travaux et des jours, mais auquel le compositeur avait dû rapidement renoncer, car ce divertissement avait été jugé trop long et surtout dépourvu de ressort dramatique], faisant se succéder la Fête de la Cloche, la Danse des Heures, la Variation de l’Aube (ou l’Aurore), la Variation de la Prière, le grand Pas de deux (ou la Paix), la Danse de la Guerre (ou La Discorde et la Guerre), une variation - interpolée - de Franz, la variation de Swanilda et enfin le Final.

Pour les quatre représentations du ballet, deux distributions avaient été prévues. Malheureusement, dans la première distribution, le public toulousain ne put revoir en Swanilda la première soliste Maria Gutierrez à laquelle il est très attaché. Malencontreusement blessée dans un accident de la circulation, elle dut être remplacée. De plus, dans la seconde distribution, la demi-soliste Maria Lucia Segalin, malheureusement blessée au pied, ne put, elle non plus, être distribuée en Swanilda. Ces circonstances fâcheuses ont malgré tout connu une issue favorable puisqu’Evelyne Spagnol a pu sauver la situation, assumant à elle seule le rôle de Swanilda dans les quatre représentations. Les spectateurs ont ainsi pu retrouver celle qui avait été première soliste à Toulouse jusqu’en 2002 et qui vient de quitter le Ballet de Zurich. Elle s’est montrée une artiste d’une très grande sûreté technique, endurante et engagée, aussi souveraine dans le Pas de deux du III, que précise dans la Valse de la poupée ou brillante dans le Boléro et la Gigue du II. Son mime avait beaucoup de vivacité et elle campait une Swanilda pleine de détermination. Elle fit aussi merveille dans les déboulés du Final.

Breno Bittencourt, premier soliste, était Franz dans la première distribution. Sa maîtrise technique prodigieuse a, une nouvelle fois, ravi le public. Il campait un Franz plein de vitalité,  visiblement séducteur et plutôt décidé à en découdre avec Coppélius. Son élévation est étonnante. Ses tours en l’air (dont un, quatre) et ses grands jetés furent impressionnants, en particulier dans l’avant-dernière variation du Thème slave et dans la Variation interpolée du III. Il formait avec Evelyne Spagnol un couple équilibré, complice dans la Ballade de l’Épi. Il fut aussi, dans la Czardas, le partenaire fougueux de Gaëlle Riou, danseuse au talent prometteur à qui était également confiée  la Variation de l’Aube.

pascale saurel dans la mazurka de coppelia
Breno Bittencourt (Franz)Evelyne Spagnol (Swanilda)

Kazbek Akhmedyarov, premier soliste nouvellement engagé au Ballet du Capitole, était Franz dans la deuxième distribution. Merveilleusement doué, le jeune Kazakh s’est fait remarquer autant par sa technique impeccable que par son expression inspirée et sensible. Il campait un Franz juvénile, aimant s’amuser, quelque peu naïf, tantôt amoureux ou volage, tantôt viril mais sans agressivité. Son mime fut poétique (en particulier dans le I), et l’on pouvait lire, dans ses entrechats et ses brisés volés, la joie désinvolte de Franz au début de l’action. Il vola littéralement au dessus de l’établi de Coppélius (dans le II) et se montra d’une virtuosité spectaculaire dans le tour de force conclusif de la  Variation interpolée du III. Il fut aussi le partenaire énergique de Paola Pagano dans le couple soliste de la  Czardas de la deuxième distribution.

Michel Rahn, chorégraphe, professeur et assistant-directeur du Ballet du Capitole, était un Coppélius extraordinaire. Son mime complexe et très fouillé rendait compte de toutes les facettes du personnage, tour à tour vieillard fragile et pitoyable, être ridicule, fantasque, en butte aux moqueries et aux méchancetés de la jeunesse, inventeur impénitent amoureux de sa créature, bafoué, jaloux, dupé et trouvant pour finir une consolation dans l’argent qu’on lui donne… Paola Pagano, première soliste, dansait la Variation de la Prière. Très grande, vêtue d’une  vaporeuse robe bleu ciel,  l’artiste a impressionné et ému par sa concentration. La noblesse de ses ports de bras suscitait l’admiration.

Magali Guerry, soliste, dansait la Variation de l’Aube dans la deuxième distribution. Elle charma par la légèreté et la vivacité raffinées de sa prestation. Coppélia, la poupée immobile, habillée d’une robe rouge ou dénudée en maillot blanc, était remarquablement incarnée par Sonia Le Puil, jeune danseuse encore étudiante dans une école de l’agglomération toulousaine et servie par un physique des plus agréables. Les Amis de Franz, bons vivants, et les Amies de Swanilda, malicieuses ou effrayées, faisaient montre de belles qualités techniques et d’un réel engagement.

 paola pagano dans la variation de l'aube de coppelia
Paola Pagano dans la Variation de la Prière

Les Automates du II étaient incarnés par six artistes pleins d’entrain et de fantaisie appartenant au corps de ballet, différents d’une distribution à l’autre. Leur intervention dynamique sur la Musique des Automates était cependant de courte durée puisqu’Evelyne Spagnol (en Swanilda substituée à Coppélia) dansait elle-même, déguisée, le Boléro de l’Espagnole puis la Gigue de l’Écossaise. Ce fut enfin un réel plaisir de voir les ensembles bien réglés du III, la nature poétique de la Danse des Heures contrastant avec le caractère belliqueux de la Danse de la Guerre.

Dans cette  production, on pouvait admirer les ravissants costumes  dessinés par Bruno Schwengl. Inspirés du folklore, les costumes nationaux étaient d’un blanc éclatant rehaussé de rouge, de vert et aussi de jaune. Les tutus longs portés par les Heures nocturnes étaient d’un bleu nuit scintillant, d’un très bel effet. Les décors réalisés eux aussi par le décorateur autrichien, très réussis, évoquaient successivement la place du marché d’une petite ville de Galicie, l’atelier de Coppélius et une vaste esplanade de cette petite ville. Dans son travail, Bruno Swengl a eu recours à l’illusion plaisante du décor dans le décor et a utilisé de belles  images stylisées et symboliques de l’Horloge et de la Cloche. Les lumières d’Allain Vincent étaient vives dans le I, claires dans le III, sombres et mystérieuses dans le II, accompagnant parfois d’un éclat blafard le personnage fantasque de Coppélius.

Une formation orchestrale composée de musiciens appartenant à l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et de musiciens extérieurs (puisque la phalange toulousaine était en tournée), placés sous la baguette précise et vigoureuse du chef mexicain Enrique Carreón-Robledo, a magnifiquement servi la partition de Delibes, lui restituant ses rythmes variés, ses couleurs instrumentales contrastées, son élégance et son humour. Le tempo était en général rapide, même dans les pages purement symphoniques  (Prélude, Entracte) et, nécessité chorégraphique oblige,  laissait  très peu de place aux effets de rubato qui contribuent d’ordinaire à accentuer le «charme  slave» de cette musique de ballet. Une mention particulière doit être adressée à Blagoja Dimchevski, violon solo,  qui a conféré à la Ballade de l’Épi un caractère de simplicité émouvante,  à Charlotte Bletton et Cécile Robillard,  flûte et flûte piccolo, à Joseph-Marie Fillatreau, Florent Tisseyre et Gilles Rancitelli, percussions, qui, par leur  habileté virtuose, ont donné à de nombreux passages de l’œuvre et en particulier à la Musique des Automates et à la Valse des Heures, une poésie et un éclat incomparables.

evelyne spagnol swanilda dans coppelia
Evelyne Spagnol (Swanilda)

Signalons, pour conclure,  qu’un demi-soliste, Dmitry Leshchinskiy et cinq nouveaux danseurs dans le corps de ballet,  Isabelle Brusson, Ina Lesnakowski, Vladimir Bannikov, Thomas Bieszka et Julian Ims,  viennent d’être engagés par le Ballet du Capitole. Le renouvellement et le renforcement des éléments masculins laisse donc bien augurer de la qualité des prochaines représentations à Toulouse ou à l’extérieur. Il faut souhaiter que le Ballet du Capitole retrouve au plus vite ses soliste et demi-soliste, Maria Gutierrez, accidentée, et Maria Lucia Segalin, blessée, en profitant peut-être encore de la solide expérience d’Evelyne Spagnol et qu'il puisse voir s’épanouir, à côté des capacités exceptionnelles de Breno Bittencourt, les dons merveilleux de Kazbek Akhmedyarov.
 


Cécile Tarot © 2008, Dansomanie



Coppélia
Chorégraphie : Enrique Martinez, adaptée par Nanette Glushak et Michel Rahn
Musique : Léo Delibes
Décors & costumes :  Bruno Schwengl
Eclairages : Allain Vincent

Swanilda : Evelyne Spagnol (matinée / soirée)
Franz : Kazbek Akhmedyarov (matinée) / Breno Bittencourt (soirée)
Coppélius :  Minh Pham (matinée) / Michel Rahn (soirée)
Coppélia : Sonia Le Puil
(matinée / soirée)
La Poupée chinoise : Vladimir Bannikov (matinée) / Frédérik Sellier (soirée)
La Poupée arabe : Guillaume Ferran (matinée) / Fabien Cicoletta (soirée)
L'Arlequin : Raphaël Paratte (matinée) / Hugo Mbeng (soirée)
L'Espagnole : Darya Kojevnikova (matinée) / Leire Cabrera (soirée)
L'Ecossaise : Estelle Fournier (matinée) / Ina Lesnakowski (soirée)
Le Prêtre : Patrick Segot
(matinée / soirée)
Variation de l'Aube : Magali Guerry (matinée) / Gaëlle Riou (soirée)
Variation de la Prière : Lucille Robert (matinée) / Paola Pagano (soirée)
Mazurka : Nuria Arteaga - Raphaël Paratte (matinée) / Pascale Saurel - Davit Galstyan (soirée)
Czardas : Paola Pagano -
Kazbek Akhmedyarov (matinée) / Gaëlle Riou - Breno Bittencourt (soirée)
Danse des Heures : Nuria Arteaga
Danse de la Guerre : Vladimir Bannikov

Ballet du Capitole de Toulouse
Orchestre du Capitole de Toulouse
Direction musicale : Enrique Carreon-Robledo

Samedi 1er novembre 2008, 15h00 (matinée) et 20h00 (soirée),  Théâtre du Capitole, Toulouse


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