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critiques et comptes rendus
Royal Ballet

17 octobre 2008 :
Manon au Royal Opera House (Covent Garden)

Manon est à l’honneur sur les scènes anglaises puisque le Royal Ballet à Londres et l’English National Ballet, en tournée en province, l’ont inscrit à leur programme cet automne dans deux productions différentes. Le Royal Ballet ouvrait les débats cette semaine à la Royal Opera House.

Manon de Kenneth MacMillan est une œuvre à l’image du livre de l’Abbé Prévost, une histoire simple dont les rebondissements perdent de leur éclat au fur et à mesure que l’on avance dans la narration. La construction dramatique progresse lentement et l’intensité n’est vraiment à son comble que dans le dernier pas de deux qui décrit la mort de Manon. C’est un ballet qui parie sur le rythme des changements de tableaux pour raconter linéairement l’histoire. Il manque une caractérisation plus intense dans la chorégraphie des personnages et peut-être une trame plus simple. La musique de Massenet compilée pour l’occasion n’aide guère car elle n’a ni cohérence ni grandeur ; certains passages soulignent grossièrement l’action au lieu de porter l’intrigue. Le corps de ballet n’y est pas exploité en masse mais par petits groupes ; beaucoup de danseurs participent à un monde très vivant qui nourrit le ballet dans cette histoire très foisonnante et la relative brièveté des variations de la plupart des danseurs nuit un peu à l’intensité dramatique même si les pas de deux soulignent en trois étapes la progression des sentiments.

Manon est donc la vision de l’histoire tragique du chevalier Des Grieux et la manière dont il aborde et réagit aux différentes étapes de sa relation avec l'héroïne. Kenneth MacMillan a, en ce sens, très bien transposé l’histoire dont Manon est le centre, mais de manière passive. Le ballet plonge progressivement dans toute l’essence de l’art de MacMillan et Edward Watson sait sans doute mieux que tout autre exprimer les humeurs du chorégraphe. De l’amoureux insouciant du premier acte au Des Grieux désespéré du troisième en passant par les doutes et les humeurs du deuxième acte, Edward Watson aborde à sa manière le rôle pour la première fois à Londres après l’avoir dansé en Chine cet été. Il compose un Des Grieux très subtil, délicat dans ses rapports avec Manon et profond dans son interaction avec le monde.
 

Edward Watson et Mara Galeazzi dans Manon de Kenneth MacMillan 
Edward Watson (Des Grieux) et Mara Galeazzi  (Manon)

La chorégraphie sert à merveille les lignes exceptionnelles d’Edward Watson, qui ne sont pas sans rappeler celles du créateur du rôle, Antony Dowell, mais la flexibilité du danseur et son extrême contrôle lui permet une finition parfaite qui montre combien la danse a évolué. Seul peut-être aujourd’hui, César Moralès possède ce corps de Des Grieux au même titre qu’Edward Watson, même si on attend Friedemann Vogel dans la version de l’English National Ballet, un corps dont la pureté du geste s’exhale dans des lignes fines et flexibles à l’extrême. Lorsque Edward Watson déploie ses arabesques, c’est un peu comme si le temps se suspendait. Cette silhouette très juvénile sert aussi le propos dramatique dans la construction d’un personnage jeune et spontané face aux premiers soucis de la vie. Le premier solo de la séduction est remarquable de contrôle du geste et de maîtrise des émotions : précision des lignes ainsi créées, réceptions nettes et silencieuses, nuances des sourires qui accompagnent l’opération de charme.

Edward Watson s'investit magistralement dans Des Grieux, un de ces rôles romantiques auxquels il n’est pas abonné, mais qu’au faîte de sa maturité artistique, on commence à lui confier. Ses talents d’acteur reconnus dans les personnages torturés de MacMillan (Woyzeck ou le prince Rudolf de Mayerling par exemple) montrent de nouvelles nuances dans les Roméo et autres Des Grieux. Ils font évidemment merveille ici dans le troisième acte, torturé et intense, de la mort dans le marais, mais se révèlent aussi très justes dans la scène du bordel où Manon passe de mains en mains sous ses yeux hagards puis profonds lorsqu’il commence à comprendre. Le pas de deux qui suit met en exergue cette prise de conscience ; la hargne dans ses arabesques, la danse très agressive soutient en mouvement le regard inquisiteur de Des Grieux. C’est aussi une richesse dans l’étendue des réactions lors du pas de deux du deuxième acte dans la chambre à coucher qui tourne autour d’une querelle au sujet du bracelet que monsieur G.M. a offert à Manon.

Edward Watson devait danser comme souvent avec Leanne Benjamin, la spécialiste de MacMillan au Royal Ballet, mais celle-ci, requise pour permettre à Johan Kobborg de danser cet automne, a laissé place, comme cet été en Chine, à Mara Galeazzi qui évolue également dans cette série avec David Makhateli. C’est toutefois une des partenaires habituelles d’Edward Watson et si le couple fusionnel qu’il forme avec Leanne Benjamin faisait rêver, celui-là n’a sans doute que très peu à lui rendre.

Mara Galeazzi a choisi de camper une Manon particulièrement simple, très naturelle et spontanée, peu calculatrice. Assez sûre d’elle-même dans sa danse, elle donne peu de relief au caractère de Manon mais travaille les nuances. Son personnage se dessine alors relativement lentement dans le premier acte. On ne peut pas douter de son amour pour Des Grieux et sa fraîcheur s’oppose, lors de leurs rencontres,  au personnage hautain, presque mondain, qu’elle affecte dans ses apparitions dans le monde : ainsi lorsqu’elle passe, impassible, dans les bras de tous les hommes présents sur scène ou qu’à regret, elle quite leur chambre quand monsieur G.M. lui offre ses richesses. Le sourire pour Des Grieux est sans malice alors que celui dans la scène du bordel n’est que façade. Son troisième acte est magnifique, en femme brisée, complètement décomposée et errant dans les bras de Des Grieux, loin de la jolie dame qui jouait posément avec monsieur G.M. dans le deuxième acte. La descente du bateau et le passage dans le bureau du geôlier sont symptomatiques de sa déchéance dont elle ne semble plus avoir conscience et le pas de deux final est d’un lyrisme expressionniste. La complicité des deux danseurs est alors très visible ; elle se manifeste dès les mimes du premier acte où leurs sentiments évoluent de concert, une synchronie des émotions dans le premier pas de deux de la chambre à coucher, très émouvant, mais aussi techniquement dans les nombreux portés qui ont fait la marque de Kenneth MacMillan. La chorégraphie souvent hectique paraît très lisible même dans les moments les plus exacerbés du pas de deux final.

Devant la simplicité et la subtilité des nuances apportées par les deux interprètes principaux, le Lescaut de Thiago Soares parait un peu trop outrancier : alors qu’il a le physique et l’autorité pour lui donner un peu d’épaisseur, il est ici un peu trop décalé avec la Manon de Mara Galeazzi et surtout le Des Grieux d’Edward Watson. C’est notamment un peu caricatural dans la scène violente qui le met aux prises avec le délicat Des Grieux dans la chambre à coucher à la fin du premier acte, où tout oppose les deux danseurs. Il est en revanche parfaitement à l’unisson avec Isabel McMeekan qui danse sa maîtresse. Will Tuckett est odieux à souhait en Monsieur G.M. alors que plusieurs petits rôles sont confiés à des danseurs prometteurs et la brillante intervention de James Wilkie en chef des voleurs au premier acte a très bien mis l'histoire en mouvement dans l’esprit de ce ballet qui se veut avant tout un spectacle très jouissif dans la danse. Nul doute que l’English National Ballet et sa troupe très compacte vont eux aussi y trouver matière à jubilation.
 




Maraxan © 2008, Dansomanie



Manon
Chorégraphie : Sir Kenneth MacMillan
Manon :  Mara Galeazzi
Des Grieux : Edward Watson
Lescaut : Thiago Soares
Vendredi 17 octobre 2008, Royal Opera House, Londres


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