|
Bayerisches Staatsballett (Munich)
07 octobre
2008 : A Cinderella Story - John Neumeier
Le
Ballet National de Bavière entretient une relation intense et
durable avec les ballets de John Neumeier, parfois depuis plusieurs
décennies : à l'époque où il était
encore le Ballet de l'Opéra National de Bavière,
dès 1973, il avait ainsi présenté au public
bavarois son Casse-Noisette, suivi dans les décennies suivantes du Songe d'une nuit d'été, d'un portrait composé de plusieurs courts ballets, ou encore de La Dame aux camélias,
dansée 67 fois depuis 1997 et donnée encore cette saison.
Rappeler cette histoire commune, ce n'est pas seulement faire
œuvre d'érudition : c'est expliquer, au moins en partie,
pourquoi la troupe donne une telle impression de fluidité,
d'absolue familiarité avec le style chorégraphique de
Neumeier. Un style qui est différent de celui du Ballet de
Hambourg que Neumeier dirige depuis 35 ans: un style plus classique
sans doute, moins âpre - et on n'imagine pas du tout la troupe de
Munich se jeter dans la folie douloureuse de Nijinski -, mais qui donne
aux chorégraphies que la troupe interprète des couleurs
moins vives peut-être, mais riches d'un véritable
trésor de nuances.
Lisa-Maree Cullum (Cendrillon) & Alen Bottaini (Le Prince)
A Cinderella Story,
le ballet qui a ouvert la saison 2008/2009 à Munich, est entré au
répertoire en 2000, pour y connaître 24 représentations jusqu'en 2002 ;
depuis, le ballet n'avait pas été donné, si bien que cette nouvelle
série de représentations constitue une première pour un grand nombre de
danseurs. A en voir la seconde représentation, on ne l’aurait
certainement pas deviné, tant l’évidence de la familiarité stylistique
était là.
John Neumeier, on le sait, a créé une œuvre extrêmement diverse,
mais les ballets narratifs y occupent une place de choix, tout autant
qu’ils occupent une place essentielle dans la continuité du ballet
narratif qui pouvait, à l’orée de sa carrière, paraître un genre promis
à disparaître. A Cinderella Story
s’inscrit parfaitement dans ce genre, et pourtant il est comme à la
marge : ballet narratif, bien sûr – mais avant tout ballet humain, où
le déroulement de l’histoire, sans être le moins du monde un prétexte,
est en arrière-plan par rapport à ce qui intéresse le plus le
chorégraphe, c’est-à-dire les personnages et leur humanité. Ce qui
intéresse Neumeier chez Cendrillon, ce n’est pas tant les contrastes de
son destin – de la misère au monde de la Cour, de l’ombre à la lumière
– que la force de son caractère, sa constance, qui ne la fait jamais
esclave de son destin.
Tigran Mikayelyan (L'Oiseau-esprit) & Lisa-Maree Cullum (Cendrillon)
A côté d’elle, les cousines, mangeant la
scène de leurs grandes jambes décidées,
portées par l’assurance que donne la bêtise, la
belle-mère vénéneuse de Cendrillon, toute en
courbes insinuantes, les membres de la Cour sont traités par
Neumeier dans un sens comique très efficace bien que toujours
teinté d’une forme de mélancolie – ces
gens-là, finalement, ne sont drôles que tant qu’on
n’a pas percé à jour leur vacuité ; le
père de Cendrillon, lui, devient une figure majeure : incapable
de protéger sa fille, de l’aider à affronter la
réalité autrement que par une fuite vers le rêve et
le jeu, il donne une image de faiblesse, de renoncement, et on est
saisi par la pitié de Cendrillon pour ce père tant
aimé dont elle découvre la faiblesse. Quant au prince, il
n’a sans doute jamais été aussi peu deus ex machina
que dans cette version du mythe de Cendrillon : s’il
délivre Cendrillon de son entourage, c'est au moins autant elle
qui est pour lui la clef de la délivrance, hors de cette cour
oppressante qui veut l’obliger à se marier.
Lisa-Maree Cullum (Cendrillon) & Alen Bottaini (Le Prince)
La distribution choisie par Ivan Liska, qui avait créé en
1992 le rôle du père auprès du Prince de Manuel
Legris, frappait surtout par ses qualités d’ensemble plus
que par des performances exceptionnelles de la part des
interprètes principaux. La vedette de la soirée
était Lisa-Maree Cullum, qui après une absence d’un
an pour cause de blessure avait fait son retour dans ce ballet le 3
octobre ; impliquée, rigoureuse, techniquement
irréprochable, elle ne manque peut-être que d’un peu
du charisme qui lui permettrait d’être véritablement
cette femme forte qu’est Cendrillon. Le Prince d'Alen Bottaini
est de ce point de vue à son image : lui aussi parfait
techniquement, il manque de spontanéité,
d'immédiateté - osera-t-on le dire ? de jeunesse.
Autour du couple central, c'est certainement Norbert Graf, un des
piliers de la troupe munichoise, qui impressionne le plus en
Père mélancolique ; Roberta Fernandes, elle, en
belle-mère vampirique, pourrait certainement aller plus loin
dans l'expressivité, voire tenter de nous faire comprendre,
même dans la caricature, qui est au fond cette femme au premier
abord déplaisante. Parmi les deux sœurs, il n'est pas
surprenant de constater que c'est la plus expérimentée
des deux qui frappe : les longues jambes de Daria Sukhorukova rendent
merveilleusement justice au rôle, et la danseuse a un humour
certain qui fait mouche. Sa jeune consœur Ilana Werner, encore
membre du corps de ballet mais choisie par Liska pour
interpréter Juliette dans le ballet de Cranko, suit avec encore
trop de timidité, mais la technique est prometteuse, et on
suivra avec plaisir la suite de sa carrière.
Ilana
Werner (La Belle sœur - 1), Roberta Fernandes (La
Belle-mère), Norbert Graf (Le Père) & Daria
Sukhorukova (La Belle sœur - 2)
Le bilan pourrait ici ne pas paraître aussi positif qu'on ne
l'avait annoncé : mais au-delà des qualités et des
défauts individuels, c'est à une véritable troupe
qu'on a affaire ici, et la cohésion de l'ensemble emporte
l'adhésion, dans une œuvre dont on espère qu'elle
restera cette fois pour longtemps au répertoire de la troupe. En
un temps où on parle tant de mondialisation de la danse, avec la
perte d'identité de troupes partout identiques, les liens qui
unissent le Ballet de Bavière au répertoire de Cranko et
Neumeier sont des liens précieux : puissent-il être encore
longtemps cultivés.
Dominique Adrian © 2008,
Dansomanie
A Cinderella Story
Musique : Serge Prokofiev
Chorégraphie et mise en scène : John Neumeier
Décors et costumes : Jürgen Rose
Lumières Max : Keller
Cendrillon : Lisa-Maree Cullum
Le Père : Norbert Graf
La Mère : Séverine Ferrolier
La tante / La Belle-mère : Roberta Fernandes
Les Deux belles filles : Daria Sukhorukova, Ilana Werner
Oiseaux-Esprits : Tigran Mikayelyan, Javier Amo Gonzalez, Maxim Chashchegorov, Nour El Desouki
Un Prince : Alen Bottaini
Bayerisches Staatsballett
Mardi 07 octobre
2008, Nationaltheater, Munich
|
|