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Biennale de la danse
2008 à Lyon (5)
28 septembre
2008 : Blanche-Neige - Angelin Preljocaj
Création mondiale d'un nouveau ballet narratif de Preljocaj :
l'étiquette a de quoi faire prospérer toute campagne de
publicité, et cette Blanche-Neige
a par conséquent été présentée comme
l'évènement de la Biennale de la Danse 2008. Relecture
d'un conte, costumes de Jean Paul Gaultier – tous les
ingrédients d'une fin de festival populaire et triomphale, et
Preljocaj semble en effet s'être donné pour mission, avec
cette Blanche-Neige, de
transposer la formule du grand ballet classique dans son propre
vocabulaire, sur une musique de Gustav Mahler. Un succès garanti
au box-office, sans doute, mais une aventure chorégraphique sans
saveur.
Le rideau
s'ouvre sur la mort en couches de la mère de Blanche-Neige. Un
roi, que l'évènement n'a pas l'air de perturber,
récupère le nourrisson, et par la magie de deux feuilles
de décor, celui-ci se transforme en petite fille puis en jeune
adulte - soit Blanche-Neige, vêtue comme toute princesse moderne
d'une robe drapée entre les jambes. Un grand ballet exigeant son
corps de ballet, le reste de la troupe ne tarde pas à
apparaître pour une folle danse de cour. La ressemblance avec La Belle au bois dormant
est jusque-là trompeuse, mais la chorégraphie ne retient
rien du génie formel de Tchaïkovski et Petipa, et trouve
son écueil dans sa répétitivité. Le bal, en
particulier, coule sans but ; Preljocaj cherche à mêler
géométrie et langage idiosyncratique, mais dans une
atmosphère compassée, au coeur de laquelle les danseurs
eux-mêmes semblent ignorer ce qu'ils symbolisent. Paix? Affection
pour le roi et sa fille, qui trônent inutilement? Ennui du
royaume? Un pas de trois surgit, comme un clin d'oeil aux plus
classiques des grands classiques, mais dénué de l'attrait
formel qui est un de leurs constituants essentiels.
Quant à la belle-mère de l'héroïne, la
comparaison avec Carabosse s'imposait (et les mignons félins du
personnage ne sont pas sans rappeler les suivants de la
sorcière), celle avec Madonna nettement moins, mais le
personnage a apparemment des affinités avec les justaucorps en
cuir et jambières d'amazone de la star - la tenue idéale
pour ruiner une fête à coups de grands battements dans
toutes les directions, en quelque sorte.
Le
conte, au fond, semble trop souvent traduit par une caricature de
lui-même, que les références avouées
à Bettelheim et à la psychanalyse du genre ne justifient
pas ; oui, Blanche-Neige a
bien des niveaux de signification, mais l'histoire n'est pas celle de
pantins englués dans un monde à l'improbable noirceur.
Pourquoi les paysans passent-ils leur temps à s'embrasser
lascivement, à la minute même où la
chorégraphie ne les requiert plus? Est-il bien nécessaire
que Blanche-Neige, après son empoisonnement, soit sauvée
par sa mère qui, transformée en ange ou en insecte,
traverse la scène en volant dans une douche de lumière
avant de soulever de quelques mètres le corps de sa fille et de
repartir sur ses fils géants ? Le symbolisme est partout
élémentaire, et la danse, au lieu de le nuancer et de le
filer délicatement, insiste lourdement sur chaque signification
supposée.
Là
où les gestes insistent, par ailleurs, l'expressivité
manque – une expressivité animée, douée
d'âme. Le visage, par exemple, est très peu
mobilisé. Impossible de déchiffrer, au bout de deux
heures de spectacle, ce qu'a bien pu penser Blanche-Neige de tout cela
– elle semble avoir intégré sa dimension de
personnage lisse et connu, loin d'une femme dont nous suivrions les
aventures au présent. Sa relation avec le Prince Charmant, terne
amant aux bretelles oranges que la belle-mère séduit
pendant le bal, ne facilite pas l'évolution narrative du ballet.
Preljocaj offre au couple l'un des passages obligés,
semble-t-il, de toute chorégraphie contemporaine, un pas de deux
de
découverte-de-sa-sensualité-et-de-la-vie-à-travers-les-débuts-de-l'amour
(souvenir du Parc, entre
autres), qui manque singulièrement de fraîcheur et de
musicalité. Face à une relation aussi sommaire, leur
mariage en tenue haute couture à la fin laisse vaguement
indifférent.
Cette
production travaille beaucoup sur le visuel, pourtant, et propose des
éléments soignés. Les décors sont
efficaces, notamment le rideau noir éclairé de
manière à créer un miroir et l'entrée des
mines. Les nains, attachés à des cordes dont la longueur
varie, sortent littéralement de la montagne pour un ballet
aérien à base de déplacements en araignée
sur les murs. Le numéro est réussi – manque
pourtant une réelle différenciation des personnages, qui
ne sont jamais constitués comme des individus, rappelant
à ce titre les jardiniers du Parc.
On retrouve cependant la même efficacité formelle lorsque
la belle-mère, déguisée en sorcière, force
Blanche-Neige à croquer dans la pomme, et la tient à sa
merci par l'intermédiaire du fruit, utilisé à la
perfection.
Le
grand vainqueur du conte, au fond, reste peut-être la mode ;
Blanche-Neige se mariera en robe extravagante signée Gaultier,
tandis que la belle-mère sera forcée à danser
jusqu'à la mort... Avec des crocs rouges aux pieds – de
quoi tuer, dans un univers d'apparences. Les montagnes hypes
n'accoucheraient-elles pas de temps en temps, au passage, de nains
chorégraphiques?
Azulynn © 2008,
Dansomanie
Blanche-Neige
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Biennale de la danse de
Lyon
Mercredi 28 septembre
2008, Maison de la Danse
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