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Biennale de la danse 2008 à Lyon (3)
17 septembre
2008 : D'un soir un jour - Anna Teresa de Keersmaeker / Cie Rosas
Si
Anne Teresa de Keersmaeker ne propose pas de nouvelle oeuvre à
Lyon cette année, sa présence n'en est pas moins
naturelle, aussi légère sur la scène de
l'Opéra qu'une nuit d'été. Son succès ne se
dément pas, moins confidentiel que celui de beaucoup de ses
contemporains, nourri par sa collaboration avec Steve Reich ; plus de
vingt-cinq ans après les débuts de la chorégraphe
flamande, D'un soir un jour poursuit sur de nouveaux terrains sa quête d'une poésie austère et musicale.
Sa tâche n'est
pas facilitée par la construction extrêmement lâche
de l'oeuvre, qui juxtapose Debussy, Stravinsky et le compositeur
contemporain George Benjamin. Cette disparité est sensible dans
la première partie, l'idée d'une journée qui
s'étire ne suffisant pas tout à fait à
créer et à intégrer la relecture de L'après-midi d'un faune.
Anne Teresa de Keersmaeker a travaillé avec Simon Hecquet sur
l'oeuvre de Nijinski, dont on retrouve les poses de profil,
sculpturales quoique très littérales ; des danseurs
traversent par ailleurs en courant le plateau, le faune se fait femme
aux seins nus poursuivie par un homme-nymphe. Du talc est joliment
utilisé comme terre de jouissance, mais l'inversion exige plus
de matériau. La chorégraphe s'attaque ensuite
immédiatement aux Symphonies d'instruments à vent
de Stravinsky, avec une danseuse sur une table, portée et
doublée sous des néons dont la hauteur se met à
varier. On est loin, malheureusement, de la symbiose entre
chorégraphie et musique ressentie en voyant le New York City
Ballet interpréter Balanchine ; là où chaque
articulation de la partition semblait prendre sens, Anne Teresa de
Keersmaeker n'aborde Stravinsky que par petites touches, moins
habilement tissées que dans le reste de cette nocturne diffuse.
Une interprétation extrêmement abstraite de Dance Figures,
commandé au compositeur George Benjamin pour l'occasion,
achève une première partie qui manque du charme
léger suggéré par le titre.
Le visage de l'oeuvre change de manière étonnante
après l'entracte, en revenant à rebours vers les trois
compositeurs, comme s'il s'agissait d'une redécouverte. Ringed by the Flat Horizon,
une autre pièce de George Benjamin, se transforme en tourbillon
pour l'ensemble des danseurs, traversé par un vent de
décadence ; d'excellentes lumières ajoutent aux effets de
canon. La transition vers Stravinsky est ensuite assurée par une
série de solos, dansés au coeur de néons descendus
au sol. On a enfin l'impression, à cet instant, qu'Anne Teresa
de Keersmaeker tire parti de la singularité de ses danseurs ;
l'un des motifs centraux de la soirée, le profil grec du faune
et l'en-dedans qui va avec, est ici travaillé et drapé
sur chaque corps pour lui appartenir. C'est une réussite avec
les interprètes de D'un soir un jour,
de formation contemporaine, qui semble s'ajuster à un
classicisme à la fois d'allure plus ancienne que celui que nous
connaissons (proche de frises antiques) et moins formalisé. La
fragilité de leurs équilibres en-dedans, un souffle,
suspend l'incrédulité. Tout finit par une fête
débridée sur les tables et entre les portés, qui
n'évite pas les lieux communs mais joue de son extrême
musicalité.
La
chorégraphe a évoqué la «lumineuse
évidence» de Debussy, à l'origine de cette
création de 2006, et bien plus que dans L'après-midi d'un faune, c'est en travaillant sur les Jeux
du compositeur qu'elle intègre cette lumière à son
écriture chorégraphique. Une balle de tennis traverse la
scène et des personnages apparaissent, qui jouent, flirtent, se
retrouvent avec la fluidité d'un soir d'été.
Keersmaeker tisse ici des liens à la fois abstraits et limpides
entre les danseurs, dont le langage fait toujours écho aux
précédents morceaux. Les passants finiront les jambes
entrelacées tandis qu'un dandy passe, rattrape et jette à
la salle une balle de tennis imaginaire, chargée de rompre le
charme, comme elle le faisait dans l'oeuvre de Nijinski. On
découvre une polyphonie qui semble s'ajuster sans cesse à
la musique. L'harmonie est là, et Anne Teresa de Keersmaeker l'a
de toute évidence compris.
Azulynn © 2008,
Dansomanie
D'un soir un jour
Chorégraphie : Anna Teresa de Keersmaeker
Biennale de la danse de Lyon
Mercredi 17 septembre 2008, Opéra de Lyon
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