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Biennale de la danse 2008 à Lyon (1)
06 septembre
2008 : Good morning Mr. Gershwin - J. Montalvo - D. Hervieu
Après Porgy and Bess
à l'Opéra de Lyon en juin, le duo Montalvo-Hervieu
revient à Lyon avec la seconde partie de ce qui ressemble
à un diptyque : Good morning, Mr. Gershwin,
hommage chorégraphique à l'immense oeuvre du compositeur américain. Un
extraordinaire éventail de danseurs donne vie à cette oeuvre-mosaïque,
qui passe de l'insouciance des années 1920 à la conscience sociale
amenée par la Grande Dépression.
C'est avec le Gershwin des années folles que
José Montalvo et Dominique Hervieu montrent les plus évidentes
affinités ; la jouissance du rythme et du mouvement qui leur est
naturelle fait écho à la liberté insouciante des compositions de cette
époque. L'imagerie des comédies musicales, des films muets ou du twist
se fond avec bonheur dans le style exubérant et fantaisiste des deux
chorégraphes. Fait rare en France, le duo se joue à merveille de l'entertainment
à l'américaine ; la troupe, composée de personnalités extrêmement
charismatiques, est au service d'un show capable de s'amuser du parfum
des années 1920 avec des techniques résolument contemporaines. Mansour
« Pitch » Abdessadok, danseur formé au hip-hop, articule ainsi la
musique à la manière (jubilatoire) d'un mime, lumineux et fluide ; à
l'autre extrêmité du spectre, Katia Charmeaux porte des sketchs entiers
sur ses épaules, naïve sirène à l'ancienne qui découvre ses bourrelets,
quand elle ne nage pas sur son énorme ballon rose, bonnet de bain
compris. La généreuse ingéniosité de l'ensemble fait honneur au
compositeur, et l'excellent passage qui vient mêler hip-hop et
claquettes évoque assez la réussite de l'innutrition – une création qui
a compris ses sources et les tourne à sa propre sauce, danse africaine,
pointes et chant compris.
L'eau sert de fil directeur au spectacle, entre
châteaux de sable et vagues de la Grande Dépression, danseurs qui
plongent et cabines de plage à l'ancienne. Les deux nouveaux directeurs
du Palais de Chaillot intègrent au passage une pratique de la vidéo qui
ne se contente pas d'être illustrative (les projections tenant souvent
en danse de l'effet de mode). Pour ce Good morning, Mr. Gershwin,
la scène est divisée verticalement sur deux niveaux, le second se
déployant sur le toit de la case qui sert d'unique décor, au centre ;
le tout accorde une place essentielle aux écrans, souvent utilisés pour
projeter de gigantesques doubles des danseurs nageant vers le public ou
se promenant dans l'espace. Les effets d'écho sont nombreux avec la
scène, malgré les quelques problèmes de synchronisation qu'a connu la
première, et ajoutent au patchwork de Montalvo-Hervieu ; on pense
notamment à l'astucieuse utilisation d'une photo en noir et blanc
d'immeubles pauvres dans les années 30, envahie par les danseurs
s'invitant aux balcons. Les projections tombent cependant de temps à
autre dans la facilité - utiliser un long plan fixe sur un bébé noir en
train de pleurer pour illustrer la Grande Dépression a quelque chose de
gauchement littéral, tout comme les photos de visages marqués qui
défilent.
La dernière partie du spectacle rassemble des éléments de Porgy and Bess
(1935), opéra que Gershwin consacra à l'envers de la société
américaine, et expose au passage les défauts de cohérence de
l'ensemble. La transition que constituent les Trois préludes
du compositeur, plus abstraits, exigeait déjà une rigueur
chorégraphique nouvelle, mais il n'est pas certain que José Montalvo et
Dominique Hervieu aient tout à fait trouvé ce qui ferait de cette
création une oeuvre complètement aboutie ; ils ré-utilisent d'ailleurs
des « tours » déjà éprouvés dans leurs précédents spectacles, la
chanson à base de gargarismes, par exemple. L'effet de mosaïque
représente ici une limite qu'on voudrait dépassée.
Les images sont
belles, mais le tout dépasse-t-il leur juxtaposition ? Quinze danseurs
d'horizons différents dansent côte à côte, presque frénétiquement ;
mettre en scène leur rencontre, extraire celle-ci du tourbillon
d'entrées et de sorties pourrait donner une dimension différente à
l'ensemble. On cherche une éventuelle prolongation en filigrane du
sketch qui suit The man I love,
dans lequel Sabine Novel, une autre interprète de haut vol, s'égosille
à reprendre sur tous les tons les paroles de Gershwin. Les duos sont
rares qui lient véritablement les techniques, à l'exception de la toute
fin de l'oeuvre, devant la case où la troupe s'est réunie – sur un
rythme apaisé, les danseurs semblent alors se nourrir de leurs
différences, et on leur souhaite à cet instant une narration.
L'opportunité d'explorer et de laisser évoluer ces relations
balbutiantes se trouvait déjà en germe dans les références aux films
muets des années folles. Cette création suggère que les deux
chorégraphes ont peut-être tout, aujourd'hui, pour donner ses lettres
de noblesse à une forme d'entertainment à la française, nourrie de la mosaïque sociale qu'ils peignent.
Azulynn © 2008,
Dansomanie
Good morning, Mr. Gershwin
Création mondiale
Chorégraphie : José Montalvo et Dominique Hervieu
Biennale de la danse de Lyon
Samedi 6 septembre 2008, Maison de la danse, Lyon
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