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critiques et comptes rendus
Tokyo Ballet - Sylvie Guillem - Nuits de Fourvière 2008, Lyon

22 juin 2008 : soirée Maurice
Béjart, au Théâtre romain de Fourvière

Maurice Béjart, le Ballet de Tokyo, Sylvie Guillem : rayez deux noms, le troisième restera probablement alléchant en soi pour les amateurs. La réunion des trois autour de pièces mythiques du chorégraphe annonçait une soirée de haut vol, et ce programme-hommage a tenu ses promesses à Lyon, dans le cadre antique du site de Fourvière, pris d'assaut pour l'occasion.

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La soirée s'ouvrait au coucher du soleil avec Le sacre du printemps, une des oeuvres les plus emblématiques de Béjart, créée en 1959 à Bruxelles. Cette relecture a été l'un de ses premiers coups d'éclat, et celui qui lui a permis de créer l'année suivante sa propre compagnie. Le Ballet de Tokyo en fait ici l'une des grandes réussites de la soirée ; la rencontre entre le style de Béjart et le Japon s'incarne à merveille dans cette version à la fois sauvage et profondément rituelle, qui vient prouver que Le sacre n'a nul besoin de costumes folkloriques et de représentation de collines sacrées pour exister. La musique appelle à se débarrasser de toute fioriture, visuelle ou chorégraphique, et Béjart le fait avec la manière ; parmi les danseurs, vêtus de simples justaucorps beige, il y aura ici deux Elus, un homme et une femme, désignés pour célébrer un rite de sacrifice et de renaissance.

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Les hommes, qui interviennent en premier, se font l'image d'une puissance animale, qui émane ici toute entière du torse (comme le suggèrent les sauts, véritables démonstrations de force), et cette puissance vient se mêler chez les danseurs japonais à un profond sens du rituel, qui ira jusqu'à la folie. On pense aux samouraïs japonais, à leurs rites de mort ancestraux, la culture japonaise venant colorer l'interprétation sérieuse des danseurs. Naoyoshi Nagase est à ce titre parfait dans le rôle de l'Elu, à la fois complètement identifié au groupe et halluciné lorsque ce dernier fait de lui un corps complètement à part. Les femmes dansent quant à elles avec mesure une chorégraphie qui emprunte certaines images au kabuki, Yukie Iwaki se présentant comme une Elue sage, presque maternelle. Tout semble si viscéral dans la réponse de Béjart à la musique, jusqu'à la réunion des Elus, que la simplicité même de la chorégraphie fait ici la force de ce Sacre célébré à Lyon par le Japon.

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Le milieu du programme s'avère plus inégal, la simplicité revendiquée par Béjart confinant parfois à un léger manque de contenu. La Luna, solo créé pour Luciana Savignano dans les années 1980, est à ce titre loin de faire partie des meilleures oeuvres du chorégraphe. On y admire les extensions toujours étonnantes de facilité de Sylvie Guillem, sa manière de prendre la scène, comme si la ligne de sa jambe en développé pouvait décidément constituer l'essence d'une chorégraphie. La reine de la soirée est en blanc, belle dans sa maturité. Elle se joue de la pièce, du travail de pointes demandé, évidemment, mais cette Luna tient malgré tout de l'éclipse chorégraphique – mauvais jeu de mots compris.

Les choses sérieuses reprennent avec l'apparition dans la nuit de Laurent Hilaire et Manuel Legris, venus danser pour l'occasion Le chant du compagnon errant Cette interprétation de Gustav Mahler m'avait laissée singulièrement froide lors des adieux de Laurent Hilaire à l'Opéra de Paris, mais hors du cocon du Palais Garnier, sur une scène proche des spectateurs, elle prend sa pleine dimension, qui tient moins à la chorégraphie elle-même qu'à la liberté qu'elle offre à deux grands interprètes. Tout a été dit et écrit sur Hilaire et Legris, mais sur la scène de l'amphithéâtre romain ils étaient là, une fois de plus, pour célébrer avec bonheur quelque chose comme une fraternité. Manuel Legris s'amuse toujours de son rôle avec une fraîcheur stupéfiante, tandis que Laurent Hilaire a au contraire quelque chose de Faust dans la noirceur changeante dont il imbue ses mouvements, moins précis qu'auparavant mais dansés avec une autorité unique. Son double finit par l'emmener à contre-coeur vers les coulisses, comme si le désir de la scène persistait décidément chez les deux étoiles ; il va de pair avec la nostalgie du public à l'égard de compagnons que la génération actuelle n'a pas remplacés.

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La soirée s'achève sur le Boléro de Béjart, pour lequel Sylvie Guillem remonte sur la célèbre table ronde. Loin de l'interprétation sensuelle de Nicolas Le Riche à Paris, c'est à une véritable démonstration de pouvoir que le public est convié avec elle – le triomphe d'un corps en acier, la jouissance de le contrôler et d'exercer ainsi une telle fascination sur les danseurs et les spectateurs à ses pieds. Elle dévoile progressivement sa force ; il y a quelque chose de magnétique dans sa manière même de se tenir en grand écart sur la table, immobile, le menton dans une paume, observant les danseurs qui s'assemblent autour d'elle. Guillem est une icône comme on en voit peu aujourd'hui, qui donne sa pleine mesure à un Boléro conçu pour des personnalités sans limites – et celle-ci fait lever les trois mille spectateurs de l'amphithéâtre, achevant la nuit sous une pluie de coussins rouges, cet indispensable accessoire des nuits vécues à Fourvière.


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