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critiques et comptes rendus
Ballet de l'Opéra National de Lyon

10 juin 2008, 20h30 :
One of a Kind, de Jiri Kylian, à l'Opéra de Lyon


Jiri Kylian semble depuis longtemps maintenant une présence familière en France, que ce soit à l'Opéra de Paris ou en tournée avec le Nederlands Dans Theater, et le Ballet de l'Opéra de Lyon fait partie des compagnies qui lui réservent une place d'honneur au sein de leur répertoire. Honneur mutuel, car le chorégraphe tchèque offre cette année à la troupe l'une de ses oeuvres les plus ambitieuses, One of a Kind, créée en 1998 pour commémorer officiellement le 150e anniversaire de la Constitution hollandaise, une méditation sur l'éternel duel entre liberté et violence. Si les trois parties qui la composent pèchent par excès d'uniformité, l'ensemble possède une cohérence qui tient, au-delà du style propre à Kylian, à la réussite de la scénographie créée par Atsushi Kitagawara, épurée à l'extrême, paysage aride et métallique des errances des danseurs.

Le premier volet s'ouvre sur un décor hérissé de sommets accidentés, l'envers en quelque sorte de l'Himalaya brumeux des bayadères classiques. Ici, une seule danseuse (Dorothée Delabie), qui monte de la fosse d'orchestre par des chemins détournés, de cubes lisses en zigzags de lumière ; figure dominante de l'oeuvre, elle restera sur scène du début à la fin, chargée d'incarner (nous dit-on) la liberté menacée. Elle est bientôt rejointe par quelques collègues dont les solos se fondent les uns dans les autres, avant de se fondre eux-mêmes dans d'innombrables pas de deux. Ceux-ci se révèlent particulièrement intéressants quand ils en viennent à confronter le style Kylian lui-même, cette apparente simplicité qui prolonge le mouvement du partenaire en s’en nourrissant ; le chorégraphe semble interroger par éclairs la violence potentielle de sa propre chorégraphie, une violence très intérieure qui naîtrait des lignes de fracture au sein de la précision des gestes. Cette dernière question est féconde s'il faut traiter de la liberté humaine, mais elle reste sans réponse, tandis que le premier « acte » s’achève sur la femme-symbole violentée par une vague d'hommes et laissée prostrée à l'avant-scène.

Jiri Kylian One of a Kind Ballet Opera de Lyon 10 06 2008

La scène se métamorphose pendant le premier intermède, nue, surplombée par un carreau stylisé et un immense cône en mouvement - peut-être l'un des éléments les plus signifiants du spectacle, qui va servir tour à tour à tracer des éclipses ou à menacer symboliquement la figure centrale. On perd cependant le compte des pas de deux quelque part entre la deuxième et la troisième partie, qui brodent sur les mêmes thèmes chorégraphiques (le couple, sa violence). De manière symptomatique, c'est la toute fin de la partie centrale qui possède le plus d'impact, car elle abandonne ces territoires familiers pour un crescendo qui vient refléter celui de la musique de Brett Dean, jouant tour à tour sur la folie de personnages enfermés dans un couloir de lumière et sur l'aliénation du groupe enfin constitué. Les entractes (qui n'en sont pas, toutes lumières allumées mais rideau ouvert sur les changements de décor et les danseurs qui semblent s'échauffer) prolongent le ton général du spectacle, très sombre, et le troisième volet ne déroge pas à cette ligne de force. Sa principale réussite est là encore esthétique, avec deux rideaux qui descendent sur la scène comme une pluie d'or, emprisonnant les danseurs dans leur lumière – la liberté allongée reçoit ainsi les traits sur son corps comme autant de poignards.

Intrinsèquement, One of a Kind manque de la variété nécessaire à la construction d'une soirée complète ; on connaît le goût et le talent de Jiri Kylian pour les pas de deux (mâtinés de quelques solos et pas de trois), toujours extrêmement fluides et réglés au millimètre, mais l'humanité et la simplicité qu'ils dégagent dans d'autres oeuvres semble ici écrasée sous le poids du thème politique. L'esthétique est là, mais elle finit par être dénuée d'émotion ; la musique paraît également particulièrement aride, loin de la symbiose avec la chorégraphie ressentie dans d'autres pièces du chorégraphe. Au-delà de la beauté des formes qu'ils créent, les danseurs tendent par conséquent à se confondre avec des figures anonymes, légèrement indifférentes (loin du titre, qui signifie notamment « unique en son genre »). Tout symbolise, en quelque sorte, mais rien ne parle, comme si l'alchimie ne venait jamais tout à fait, engluée dans une idée de violence obsédante.

Jiri Kylian One of a Kind Ballet Opera de Lyon 10 06 2008

Le Ballet de l'Opéra de Lyon danse du moins cette oeuvre nouvelle à son répertoire avec grand soin. L'ensemble manquait encore de la précision caractéristique des danseurs du Nederlands Dans Theater, interprètes privilégiés de Kylian, mais ce n'est peut-être qu'une question de temps ; les hommes de la compagnie se distinguent en tout cas dans une chorégraphie qui met en valeur leur rigueur et leurs qualités athlétiques. Outre Dorothée Delabie en maîtresse de cérémonie, impossible enfin de ne pas mentionner Alexis Bourbeau, qui dévorait la scène dans le second tableau, et Caelyn Knight, une présence lumineuse parmi les danseuses, transcrivant avec légèreté les rythmes changeants de Jiri Kylian.



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