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: The Dream & Dances at a Gathering
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The Dream & Dances at a Gathering
17 mai 2008 : The Dream, de Frederick Ashton et Dances at a Gathering de Jerome Robbins au Royal Ballet
Le
léger, mais acerbe, surréalisme du Songe d’une Nuit d’Eté version
Ashton a viré au cauchemar. Déjà perturbée par la blessure de Steven
McRae, qui devait débuter dans le rôle d’Oberon sur la scène
londonienne, la première de The
Dream (autrement dit Le Songe d’une Nuit d’Eté revu par Frederick
Ashton) a également été marquée par la défection de son Puck, Ludovic
Ondiviela, à quelques minutes de la fin, alors qu’il était de
loin l’interprète le plus à l’aise sur le plateau.
Mais, «the show must go on», et après dix minutes d’interruption, James Wilkie, non maquillé, arrivait à la fin de la scène où les deux couples querelleurs (Lysandre et Hermia s’aiment mais Hermia est promise à Demetrius qui est aimé d’Hélène…), dont les aléas ont permis d’apprécier les talents excessivement comiques de Rupert Pennefather en Lysandre, avaient dû terminer leur pugilat sans aucune aide magique, dans un tourbillon assez surprenant et peu compréhensible… Plus que la transformation du paysan en âne, et sa prestation sur pointes – puisque Ashton aime mettre les hommes sur pointes -, c’est l’effet comique de l’infernal quatuor amoureux qui apporte un peu de détente dans la chorégraphie très ardue, sinon tordue, d’Ashton, et fait beaucoup rire le public britannique. Malgré l’infortune de cette blessure et bien que James Wilkie ait accompli un réel exploit en reprenant le rôle sur l’instant, Puck est un élément central du ballet, et l’interprétation de Ludovic Ondiviela était empreinte d’une justesse parfaite, techniquement et dramatiquement, avec un dynamisme et une élévation très spectaculaire au service d’un mime coquin et cependant plein de tact. Il est fort dommage que Ludovic Ondiviela n’ait pas pu conduire à son terme une performance très prometteuse. Très au point dans son dialogue avec Oberon, il s’y montrait à son avantage, ce qui ne fut pas le cas de Michael Stojko, Puck plus lisse le soir, face, il est vrai, à l’impérieux Oberon d’Edward Watson.
En effet, samedi soir, Edward Watson était animé - comme souvent il est vrai - d’une grâce exceptionnelle, alors qu’Ivan Putrov, pourtant remplaçant de choix en matinée, avait paru en difficulté à certains moments. Malgré sa grande virtuosité technique, il a eu du mal à gérer les changements de tempo dans les pas. Hésitant et visiblement pas vraiment "calé" dans les équilibres et les pirouettes, et ceci avant même l’accident de Ludovic Ondiviela, qui n’a pas dû arranger la concentration des danseurs, étant donné que le pas de deux très exigeant avec Titania se situe juste après. Il avait déjà, bien avant, lutté contre le petit voile de gaze fixé dans le dos de son costume qui se prenait dans ses bras et même sur son visage dans les pirouettes, ce qui visiblement l'a perturbé dans sa danse. Sa Titania, Roberta Marquez, affublée d’une perruque blonde qui la rendait méconnaissable, n’a pas paru plus à l’aise, et ce n’est pas là une question de partenariat, puisque les deux ont l’habitude de danser ensemble.
Leanne
Benjamin et Edward Watson, partenaires privilégiés également,
ont de toute manière livré le soir une danse d’une qualité extrême,
à faire oublier tout le reste. La chorégraphie est excessivement
compliquée et souvent les liaisons ne sont pas aisées à réaliser
pour que l’ensemble paraisse fluide. Mais avec Leanne Benjamin et Edward Watson, il ne s’agissait même pas de cela, en particulier dans un fantastique pas de deux d’anthologie d’une fluidité incroyable. Les deux danseurs sont il est vrai parmi les plus musicaux du Royal Ballet, et la partition de Mendelssohn les a apparemment tout autant inspirés que les pas "qui ne vont pas de soi" d’Ashton, pour se transposer dans un autre monde, dans un rêve justement, où les deux protagonistes semblaient, comme en apesanteur, défier toutes les préciosités pour rendre une esthétique parfaite. Il faut dire qu’Edward Watson est le danseur adéquat, avec des lignes parfaites, un corps incroyablement flexible qui lui autorise tout, accentuant les effets esthétiques tant des attitudes que des pirouettes et autres arabesques.
Les
passages lents en sont alors d’autant plus exaltés dans leur majesté,
avec des effets très impressionnants. Mais l’Oberon d’Edward
Watson est surtout exceptionnel du fait que le danseur met ses
talents d’acteur - qui ne sont plus à détailler - au service de
toutes les facéties du Roi des Elfes : un Oberon très précis
dans le mime avec de petits gestes, des regards, des attitudes qui
rendent à merveille l’effet comique nécessaire à la pièce, un
comique subtil et léger, qui convient à son rang de roi, - un comique
qu’Ivan Putrov semble plus réticent à déployer -, et qui
s’oppose à celui, plus appuyé, de Puck. Son registre expressif est peut-être un peu plus limité, et il manque un peu d’envergure dramatique dans les moments où d’un seul regard, il détermine la suite des événements. Au moins peut-on lui être reconnaissant de ne pas en avoir trop fait et de n’avoir pas rendu Oberon ridicule. Leanne Benjamin, pour sa part, est au sommet de sa maturité artistique et, même si le rôle de Titania est assez bref, ses apparitions, et plus encore son sens du placement et sa précision technique ont fait forte impression dans le pas de deux. Elle impose une Titania martiale, jamais outragée par le tour qui lui est joué, et sa danse est une pure merveille. Comme Edward Watson, elle transcende les difficultés en attitude et en rêve... un rêve qui nous prenait tout au long de la soirée...
Il est difficile de rentrer totalement dans Dances at a Gathering, car l’œuvre est un peu longue et la musique mélancolique de Frédéric Chopin, quoique honnêtement jouée par Philip Gammon, ne parvient pas à nous transporter dans un monde onirique, ni même, à défaut, de nous restituer un peu de l’âme du compositeur ; la lecture de Philipp Gammon demeure extérieure, faite d’humeurs et de mouvements saisis sur l’instant. La succession de dix-huit morceaux, principalement valses et mazurkas, est finalement trop parcellaire et, si le parti-pris de diversité s’étend, sur un plan visuel, aux costumes, avec des couleurs qu’on peut d’ailleurs ne pas apprécier, la variété de style des danseurs, les assortiments hétéroclites des couples, trios, etc…, donnent au bout du compte un sentiment de superficialité bavarde, et distillent un ennui certain au fur et à mesure que les danseurs entrent ou sortent de scène. De cette performance d’une heure, ne se distinguent vraiment que Federico Bonelli et Tamara Rojo, en particulier dans leur pas de deux sur la valse qui suit la mazurka introductive (d’ailleurs un peu massacrée par Johan Kobborg qu’on ne connaissait pas si bruyant) ainsi, que, occasionnellement, Martin Harvey, dont la justesse des attitudes - très musicales – nous aura ravis.
Federico Bonelli et Tamara Rojo semblent s’être véritablement appropriés la musique et son atmosphère, en une symbiose jamais égalée dans les autres mouvements. On retrouve d'ailleurs les deux artistes, vibrants, dans le quatuor qu’ils forment avec Sarah Lamb et Alina Cojocaru (matinée) ou Marianela Nuñez (soirée). Qu’on ne se méprenne pas : Dances at a Gathering n’est pas mal exécuté, il manque juste une petite étincelle, qui restituerait l’univers romantique du compositeur, ou, tout simplement, une interprétation à même de tracer un fil directeur intelligible au travers des évolutions des danseurs. Peut-être le Royal Ballet n’était-il pas tout à fait prêt, ainsi qu’en témoignent les réceptions un peu trop bruyantes de Johan Kobborg, les portés un peu justes de Sergei Polunin - mais on ne saurait blâmer ce jeune homme à qui on a confié l’exercice le plus périlleux du ballet - et ainsi que, lors de la représentation du soir, le remplacement impromptu, au milieu de l’ouvrage, d’Alina Cojocaru, souffrante, par Marianela Nuñez . Même si le changement s’est opéré avec discrétion, comme si tout avait été prévu et bien réglé, l’incident n’en fut pas moins assez perturbateur, d’autant qu’il faisait suite au drame de Puck lors de la matinée…
Bref, le spectacle était techniquement «sur le fil» et les danseurs ne semblaient pas avoir encore totalement problématisé leur interprétation : comme le piano produisait les sons, ils alignaient les pas... Le solo introductif de Johan Kobborg était cependant déjà mieux en place le soir, le badinage de Lauren Cuthbertson sur la valse opus 62(2) plus léger, et les portés de Sergei Polunin plus stables… A revoir peut-être…
Maraxan © 2008, Dansomanie
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