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: Le Corsaire (Ivan Liška)
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Le Corsaire (Ivan Liška)
08 mai 2008 : Le Corsaire, d'Ivan Liška, au Nationaltheater, Munich (Bayerisches Staatsballett)
Le Corsaire, un des ballets les mieux documentés, mais aussi un des plus complexes de l’héritage de Marius Petipa, a connu tout au long du XIXe et du XXe siècle une existence mouvementée qui l’a maintenu sur les scènes, mais dans des versions souvent si défigurées qu’elles donnaient une fausse image de l’œuvre – la version du Kirov, disponible en DVD (Arthaus) en est un bon exemple. Depuis quelques années, grâce notamment à un travail approfondi sur les notations effectuées dans les années 1890 par Sergueiev lors d’une reprise de la version de Petipa, des versions plus fidèles commencent à voir le jour. Si la version de Munich, réalisée par Ivan Liška, n’a pas le faste de la version du Bolchoï créée quelques mois plus tard et présentée récemment à Paris, elle possède néanmoins de solides atouts pour séduire le public. L’intelligence de Liška, qui a accordé une grande importance à la cohérence musicale de ce patchwork parfois peu cohérent, a été de ne pas vouloir rivaliser avec un tel faste, mais de s’adapter aux moyens de sa compagnie, dans un décor sobrement classique. Le grand atout de sa version est certainement la reconstitution de nombreux passages notés, avec la volonté de se rapprocher le plus possible de ce qu’on peut connaître de Petipa, sans pour autant nier les évolutions stylistiques survenues en un siècle d’histoire de la danse : le hiatus entre la virtuosité gratuite de certains passages postérieurs avec la géométrie sensible de Petipa est d’une certaine façon gommé par la généralisation des pointes et les exigences physiques croissantes qui créent un fossé presque infranchissable par rapport aux origines de ce ballet.
Le sommet de la soirée est sans nul doute le tableau du Jardin animé, dont la clarté et la fluidité sont véritablement admirables et tranchent avec la surcharge maladroite de celle du Bolchoï : le résultat est un modèle de goût et de naturel, et on sent la fierté d’un corps de ballet stylé dans la qualité de l’exécution de ce tableau ; la place importante des enfants, dont une grand rigueur dans des déplacements complexes est exigée, est charmante : le résultat est d’autant plus intéressant que cette présence est très clairement notée dans la partition chorégraphique conservée. Cette scène époustouflante montre à quel point la démarche archéologique, loin d’être une manie de chercheur, est fructueuse aussi en matière de pur plaisir de spectateur : on espère que la leçon sera comprise et que cette aventure du Corsaire aura des continuateurs. On ne peut en revanche que regretter la suppression du dernier acte, qui conduit Liška à inventer une fin où Conrad enlève sa bien-aimée juste après la fin du Jardin animé : même presque rien de la main de Petipa n’en est conservé, et même si on comprend bien que les ressources limitées de la troupe justifient cette mesure, il faut reconnaître que le résultat est bien artificiel. La représentation du 8 mai 2008 marquait les débuts de la transfuge du Mariinsky Daria Sukhorukova en Medora, qui avait précédemment dansé une des trois odalisques. L’importance de l’enjeu est visible, et la tension qui en découle est visible pendant tout le premier acte et une bonne part du second, avec un pas de deux à oublier : ce n’est qu’à partir de la variation du Petit corsaire, particulièrement brillant et drôle, que la danseuse parvient à convaincre par l’intensité de son jeu, mais sans jamais vraiment parvenir à montrer l’étendue de ses possibilités techniques.
Face à elle, elle trouvait à vrai dire une équipe masculine particulièrement valeureuse : le Conrad de Lukáš Šlavický est solide et élégant, mais les suffrages du public vont plus encore vers le Birbanto d’Alen Bottaini, d’une aisance parfaite, et surtout vers Nour El-Desouki, qui signait ses débuts dans le rôle de l’esclave Ali : accueilli aux saluts finaux par une ovation particulièrement sonore, il fait montre d’une prestance et d’un brio technique qui en fait presque le personnage principal de nombreuses scènes. Les autres rôles masculins sont tenus par des piliers de la troupe, comme le soliste Norbert Graf en excellent Lankedem – rôle beaucoup plus dansant qu’au Bolchoï – ou Vincent Loermans en Pacha – sans oublier Ivan Liška lui-même, qui s’offre une apparition sur scène sous le turban et la barbe de l’Imam. Les autres rôles féminins, eux, sont tenus avec moins d’éclat. La Gulnara d’Ivy Amista est favorisée par une chorégraphie qui sait parfaitement faire ressortir les différences de caractère entre la fière et pudique Medora et l’extravertie Gulnara ; sa prestation est solide, mais gagnerait à un peu plus d’engagement scénique, pour que son rôle dans l’histoire apparaisse plus clairement. Plus que trois obélisques trop peu différenciées, on remarquera les deux amoureuses de Birbanto, Valentina Divina et Silvia Confalonieri, qui rivalisent d’énergie et d’audace. Le Corsaire, à Munich comme à Paris ou Moscou, a conquis son public : un public, ce soir, bruyant et peu concentré, mais enthousiaste, qui remplissait sans mal le vaste Nationaltheater.
Nabucco © 2008, Dansomanie
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