Dansomanie : critiques : Soirée Sandroni - Van Manen - Schläpfer
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Soirée Sandroni - Van Manen - Schläpfer

04 mai 2008 : Cambio d'abito, Adagio Hammerklavier et Violakonzert/II au Nationaltheater, Munich (Bayerisches Staatsballett)

 

Le Ballet de Bavière avait déjà, il y a quelques années, eu l’idée de confier à un artiste décorateur le soin d’unifier une soirée contemporaine : Michael Simon, bien connu pour ses décors pour Forsythe et Kylian, avait pris en charge lui-même la pièce centrale et s’était entouré de deux jeunes chorégraphes, Davide Bombana et Jacopo Godani pour les deux autres pièces. Il en était résulté une soirée un peu étrange, assez sombre, qui n’était pas sans qualités mais était restée trop inaboutie pour véritablement trouver son public. Cette fois, c’est Martin Schläpfer, un des chorégraphes les plus en vue d’Allemagne, qui a demandé à retravailler avec la plasticienne Rosalie, à qui a été confiée également la charge de créer décors et costumes de l’autre création de la soirée.

Séverine Ferrolier et Tigran Mikayelyan dans Adagio Hammerklavier (chor. Hans van Manen)

La pièce centrale, néanmoins, n’est pas cette fois une création entre danse et arts plastiques comme l’avait fait Michael Simon, mais l’entrée au répertoire d’une pièce de 1973, Adagio Hammerklavier de Hans van Manen. Van Manen, peu connu en France, possède à Munich une réputation bien établie, ce qui se traduit notamment par l’existence de deux DVD*. À voir la pièce présentée dans cette soirée, il est difficile de comprendre ce qui peut tant séduire dans son travail, en dehors d’une rigueur formelle bien froide à laquelle manque tout le piquant des meilleurs ballets de son maître Balanchine. Seule la présence de Lucia Lacarra, plus que la partition chorégraphique qui lui est soumise, vient un peu sauver cette petite demi-heure conventionnelle.

Simone Sandroni, dont la pièce ouvre la soirée, est issu de la scène chorégraphique belge, dont la richesse n’est plus à démontrer : pour qui connaît un peu cette mouvance, la sensation de familiarité est immédiate. Mais on aurait tort de se croire embarqué dans une œuvre de routine simplement vitaminée par l’humour du chorégraphe et les couleurs vives de la décoratrice : la sensation de déjà-vu s’estompe vite et sous la vivacité de la danse et des costumes perce comme une sourde inquiétude. Les vêtements font les gens, dit-on en allemand : on dirait presque que les danseurs, ici, se demandent ce que les vêtements successifs qu’ils endossent peuvent bien faire d’eux. L’humour ici n’est que surface et l’ensemble, qui donne l’occasion à des danseurs loin des hauteurs de la hiérarchie de briller, fait montre à la fois de discipline et de fortes individualités.

Joana de Andrade et Vittorio Alberton dans Cambio d'abito (chor. Simone Sandroni)

Le sommet de la soirée reste cependant la pièce de Martin Schläpfer, chorégraphiée sur la demande du maître des lieux pour un grand ensemble. Martin Schläpfer souligne volontiers son amour pour la musique, et en particulier la musique contemporaine, à travers des compositeurs comme Ligeti, Kancheli ou Schnittke : tout en prenant bien soin de ne jamais illustrer de façon démonstrative le déroulement de la musique, il prouve ici une compréhension de l’essence d’une musique dense, complexe mais d’une expressivité poignante. Schläpfer, paraît-il, est un chorégraphe néoclassique, qui revendique la filiation de Balanchine, via justement Hans van Manen : de fait on reconnaît parfois, au détour d’une phrase, des éléments classiques dans le vocabulaire chorégraphique. Le reste du temps, on suit fasciné les recoins d’une structure qui ne se dévoile jamais clairement, mais dont la rigueur apparaît presque effrayante.

Zuzana Zahradnikova dans Violakonzert/II (chor. Martin Schläpfer)

Un des éléments admirables de cette pièce est que, loin de tomber dans la facilité d’une obscurité et d’une tonalité générale sinistre comme la musique aurait pu l’y inciter : dans des costumes blancs, aux déchirures multiples et imprévisibles qui soulignent leurs corps, bien éloignés de ceux que Rosalie avait conçu pour la première pièce de la soirée, les danseurs parmi lesquels se trouvent quelques-uns des meilleurs de la troupe, et à qui Schläpfer demande une vivacité et une attention de tous les instants, s’unissent en des ensembles toujours renouvelés, dans une atmosphère générale limpide et lumineuse : on n’est pas plus intelligent pour être plus sombre, et c’est bien le pari de l’intelligence que fait ici Martin Schläpfer, au prix d’une apparence d’austérité sous laquelle le regard chaleureux d’un véritable créateur perce à chaque instant.

Il est des soirées de danse plus immédiatement séduisantes, il en est aussi qui trouvent plus facilement le contact avec le grand public ; mais qui aura bien voulu faire une partie du chemin vers ces œuvres est amplement récompensé de son effort d’attention.

 

 

 Nabucco © 2008, Dansomanie

 

 

* Black Cake/Concertante, 1 DVD Arthaus.
Adagio Hammerklavier, dans Gala Hans van Manen, 2 DVD en instance de parution.




04 mai 2008

Cambio d’abito (création)
Chorégraphie : Simone Sandroni
Musique : Johann Sebastian Bach
Décors et costumes : Rosalie

Adagio Hammerklavier (entrée au répertoire)
Chorégraphie : Hans van Manen
Musique : Ludwig van Beethoven, Sonate Hammerklavier, 3e mouvement
Décors et costumes : Jean-Paul Vroom

Violakonzert/II (création)
Chorégraphie : Martin Schläpfer
Musique : Sofia Goubaidoulina
Décors et costumes : Rosalie