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: Giselle (Charles Jude)
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Giselle (Charles Jude)
13 avril 2008, 15h00 : Giselle, de Charles Jude, d'après Jules Perrot et Jean Coralli, au Grand Théâtre de Bordeaux
Le Grand Théâtre de Bordeaux remettait cette saison à l’affiche Giselle, réglée par Charles Jude et créée dans la métropole girondine en janvier 1997. Que ce soit par la scénographie, les costumes et bien évidemment la chorégraphie elle-même, la Giselle aquitaine trahit une évidente proximité avec celle de l’Opéra de Paris, d’autant qu’outre Charles Jude, plusieurs autres «anciens» de la Grande boutique ont collaboré à sa réalisation, notamment le couturier Philippe Binot. Et pour la reprise de 2008, la direction de l’orchestre a été confiée à Paul Connelly, habitué de la fosse du Palais Garnier. Parmi les différences les plus significatives entre la Giselle parisienne et son homologue bordelaise, on notera le remplacement du «Pas de deux des paysans», dit également «Pas de deux des Vendangeurs», par un pas de six, Charles Jude renouant de la sorte avec un usage qui avait cours dans certaines compagnies (Pas de six dans la version de Nicolas Sergueïev au Royal Ballet, Pas de huit au Bolchoi dans la version de Vladimir Vassiliev...).
La production du Grand Théâtre de Bordeaux offre au public un spectacle de qualité, qui rend justice à l’ouvrage ; pour des raisons liées aux dimensions du plateau, le nombre des Wilis du second acte a dû être réduit à vingt (dix-huit danseuses de corps de ballet et deux solistes, outre Giselle et Myrtha) au lieu des vingt quatre interprètes habituelles, mais l’espace est occupé de manière optimale, et tout l’impact visuel du second acte est préservé ; les applaudissements qui saluent traditionnellement le croisement des Willis attestent de l’enchantement de l’assistance. Quelques autres effets retiennent plus particulièrement l’attention, telle l’entrée de Myrtha, qui semble flotter sans pesanteur sur une brume irréelle, ainsi que la sortie des dix-huit Wilis par un mouvement de piétinés en arrière, vers le lointain, affolées alors qu’Albrecht s’effondre d’épuisement et s’apprête à partager le sort funeste d’Hilarion. L’image est saisissante, d’une grande force évocatrice. Lors de la Première, qui avait lieu le 13 avril dernier, c’est Oksana Kucheruk, l’étoile ukrainienne du Ballet National de Bordeaux, qui défendait le rôle-titre. Nous avons affaire ici à une artiste de classe internationale qui, au premier acte, a parfaitement maîtrisé toutes les arcanes de la pantomime et qui, au second, a ébloui par la qualité de ses équilibres – les arabesques étaient magnifiques – et par la délicatesse de ses ports de bras. On reconnaît ici les traits qui caractérisent si bien l’école russe.
A ses côtés, l’Espagnol Igor Yebra, également étoile de la compagnie, incarnait un Albrecht de bonne facture, partenaire solide, auquel on pourra tout au plus reprocher un léger effacement du point de vue de l’engagement dramatique. Natalyia Shcherbakova est une Myrtha d’une stature impressionnante ; si elle a paru en peu hésitante au début de l’acte blanc, elle a ensuite trouvé ses marques, symbolisant une reine minérale, implacable et autoritaire. Dans les seconds rôles, on remarquait tout particulièrement l’excellent Ludovic Dussarps, Hilarion très théâtral, dont le jeu très soigné échappait à l’écueil du naturalisme. En revanche, on aurait aimé que Chantal Perpignan, incarnation de la Mère de Giselle, force un peu le trait afin de rendre le mime plus lisible. Autre motif de satisfaction, la prestation de la pétillante Vanessa Feuillatte dans le Pas de six des Vendangeurs, où se distinguait également Vladimir Ippolitov, danseur fin et musical, tandis que Xin Zhang faisait étalage d'une force physique un peu excessive et hors de propos. On retrouvait avec plaisir Mlle Feuillatte au second acte en Wili soliste, aux côtés de Darélia Bolivar.
Enfin, le corps de ballet a été fort bien préparé par Eric Quilleré, autre artiste venu de l’Opéra de Paris. Les rangs étaient toujours d’une rectitude parfaite, et la formation de la croix dans la scène des vendanges au 1er acte a été très bien réussie. De même, la célèbre scène du croisement des Wilis au II a été l’occasion de montrer l’impeccable discipline des danseuses du Ballet National de Bordeaux. Seule la diagonale formée dans la scène de la mort d’Hilarion laissait entrevoir quelques irrégularités. L’Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine a vaillamment défendu la partition d’Adolphe Adam, en dépit de quelques approximations des cuivres, et la remarquable acoustique du théâtre dessiné par Victor Louis a permis de (re)-découvrir quelques facettes oubliées d’une musique dont la qualité – inhabituelle pour un ballet – avait été louée dès la création de l’œuvre en 1841.
R. F. © 2008, Dansomanie
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avril 2008
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