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: Cendrillon (Maguy Marin)
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Cendrillon ( Maguy Marin)
27 novembre 2007, 20h30 : Cendrillon, de Maguy Marin, à l'Opéra de Lyon
La relecture de Cendrillon que Maguy Marin a offerte à l'Opéra de Lyon en 1985 est devenue emblématique de la compagnie, avec près de 380 représentations en 20 ans. La chorégraphe transpose ici le conte de fées traditionnel dans un univers de jouets et de poupées, et dissimule le visage des danseurs derrière des masques stylisés, des têtes de bébés à l'expression innocente ou cruelle. La production n'utilise pas la partition de Prokofiev dans son entier, et évite ainsi l'écueil que rencontrent beaucoup de productions classiques, excessivement longues. L'ajout de transitions sonores de la main de Jean Schwartz (des bruits et rires d'enfants) n'est pas particulièrement heureux, mais cette version resserrée d'une heure et demie a beaucoup pour plaire, et sa grande cohérence est l'une de ses principales qualités. Théâtralement parlant, en effet, cette production est à peu près en tous points réussie. Les décors et costumes de Montserrat Casanova dessinent une maison de poupées naïve et inquiétante qui sert de décor à toute l'action, un rêve d'enfant pris dans un miroir déformant qui possède un réel pouvoir de fascination : que deviennent dès lors les sentiments humains? Une projection du public, sans doute, à la fois spectateur et marionnettiste puisque les poupées ne prennent vie que sous nos yeux, le temps de la représentation, avant de retourner à leur demeure silencieuse. Ce procédé fonctionne particulièrement bien en ce qui concerne la belle-mère, les deux sœurs et les nobles parmi lesquels elles se fondent à l'occasion du bal, petit théâtre de la méchanceté humaine qui souligne l'aspect cruellement bouffon des caractères. Les transitions sont également pleines d'inventivité, que ce soit l'apparition du bal, qui intervient au premier étage de la maison de poupées (comme un rêve de la jeune fille confinée dans les pièces sombres du rez-de-chaussée), la petite voiture pour enfants qui emmène Cendrillon vers ce rêve, ou encore le cheval de manège que chevauche le prince au grenier, à la recherche de celle qui s'est évanouie aux douze coups de minuit. Tout un imaginaire de l'enfance préside aux relations entre les personnages : les héros partagent des bonbons, on saute à la corde pour se divertir, le prince est obligé d'arbitrer l'attribution de sucettes multicolores aux courtisans. Le principe du spectacle est soutenu de bout en bout avec intelligence, et souligne adroitement le grotesque de certains comportements humains. Malheureusement, la danse elle-même est aux abonnés absents dans cette Cendrillon. Les corps sont entravés par les costumes rembourrés, et la gestuelle est volontairement malhabile ; l'héroïne s'empêtre dans ses propres mouvements, comme une poupée de chiffon à l'équilibre incertain. Maguy Marin refuse avec ironie de se plier à l'emphase de la partition de Prokofiev, et le décalage ne manque pas de sens, mais les grandes valses du compositeur semblent par exemple exiger une chorégraphie que l'on cherche en vain. Les costumes et masques disent les caractères, l'hypocrisie de la cour par exemple, mais la danse se contente d'un rôle de parodie, au vocabulaire réduit. De manière symptomatique, d'ailleurs, les «trois ballerines» - personnages qui secondent d'abord la Fée en enseignant à Cendrillon comment danser, et apparaissent ensuite mêlés aux laquais et aux nobles – ne dansent jamais que comme des poupées, aux mouvements saccadés et limités. Le fait que la danse soit ainsi sacrifiée à la théâtralité a ses revers : en effet, quelle alternative au monde de poupées cruelles présenté par Maguy Marin? Tous les personnages sont des fantoches, naïfs mais à l'innocence toute factice – le prince notamment, pantin au milieu de sa cour, qui n'acquiert une consistance qu'aux côtés de l'héroïne. Manque l'échappatoire réelle, celle qui sauve métaphoriquement les héros traditionnels : la danse elle-même, forme d'incantation qui cherche le sublime. La maison de poupées de cette Cendrillon n'ouvre pas a priori l'espace d'une telle élévation, parce qu'elle se limite, à l'égard des personnages, à l'ironie ou à un attendrissement qui flirte avec la pitié. On lit dans le programme cette citation de la chorégraphe : «J'ai tendance à ne plus vouloir particulariser le danseur, parce qu'il a à représenter quelqu'un comme tout le monde. Il devient un corps anonyme, affecté par ce qui l'entoure». Projet qui a sa valeur, mais qui gomme la singularité des artistes que sont également les danseurs classiques, et l'originalité de ce qu'ils peuvent offrir au public – un don qui n'est ni commun, ni anodin. Le moment le plus émouvant de cette production est peut-être alors celui où les danseurs, venus saluer, enlèvent leurs masques et retrouvent soudain toute leur singulière expressivité. Malgré ces masques, ou peut-être grâce au défi qu'ils constituent, les danseurs offrent un très beau travail au service de cette version du conte de Perrault. Si la danse est peu développée, il reste nécessaire de raconter l'histoire, et les moyens utilisés sont d'une ingéniosité réelle, entre mime classique et langage corporel approprié. Le pas de deux du bal est particulièrement réussi, une réelle émotion se dégageant soudain de la rencontre entre Cendrillon (Ruth Miro Salvador) et son prince (Victor Jimenez Alvarez) ; ceux-ci semblent tisser petit à petit un monde intime, enfantin mais touchant, qui tranche avec le bal des nobles par son humanité sans apprêts. Malheureusement, les masques et la chorégraphie tendent par ailleurs à fondre le couple central dans l'ensemble ricanant du corps de ballet. L'ensemble ne manque toutefois pas de beaux moments, notamment la scène où les nobles font tomber Cendrillon qui jouait à la corde à sauter ; son humiliation est mise en scène de manière extrêmement éloquente, ainsi que la réaction du prince, mimée avec clarté. L'Andalouse (Eneka Bordato) et l'Orientale (Coralie Levieux), que le prince croise lors de son odyssée finale, offrent de petits bijoux de scènes, à la manière des poupées d'un Casse-Noisette. Le seul rôle dont le traitement laisse perplexe est celui de la Fée, ou plutôt de la « Fée-robot » (Francesca Mattavelli), transformée ici en un chevalier Jedi molletonné qui bénit Cendrillon avec ce qui ressemble fort à une épée laser. Si son introduction est très réussie (elle sort d'un cocon animé, sorte d'extra-terrestre de la boîte à jouets), la symbolique du rôle disparaît dans cette incarnation mécanique. Symptôme du spectacle, en un sens, car si le merveilleux survit dans la Cendrillon de Maguy Marin, ce n'est plus qu'un merveilleux un peu sinistre, fascinant – mais dépourvu d'enchantement.
Azulynn © 2007, Dansomanie
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