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Etait-il
prévu initialement que vous soyez filmé aux
côtés de votre mère, autrement dit que
le portrait
soit double? Qu’avez-vous ressenti quand on vous a
proposé
de figurer aussi dans le film?
Au
départ, le projet était centré sur ma
mère.
Peu à peu, l’évocation de la filiation
s’est
plus ou moins imposée. Ma sœur et moi, nous jouons
un
rôle important dans sa vie, nous sommes tous les deux
danseurs,
et il apparaissait intéressant et logique de
développer
les parallèles entre nos destins.
Je
me trouve au
début de ma carrière et je ne suis pas
grand-chose
à côté de ma mère, alors,
c’est vrai,
je ne voulais pas que les gens jugent cela prétentieux de
faire
un film à ses côtés à mon
âge et avec
mon peu d’expérience… En même
temps,
j’ai été très heureux et
très fier de
figurer dans un film qui lui rend en quelque sorte hommage.
C’est
au fond un beau cadeau que m’a fait Marlène
Ionesco.
Dominique Khalfouni ne se définit pas comme un
«conseiller
artistique» auprès de vous. A vos yeux, quel
rôle
joue-t-elle dans votre carrière de danseur?
Le
regard
d’une mère est toujours important, qu’on
soit ou non
danseur. En tant qu’individu, je ne peux donc pas nier ce
regard.
Il se trouve que ma mère possède en plus un
regard
professionnel et averti qui peut éventuellement faire mal.
Je
sais que je ne peux pas tricher avec elle. Il est donc important pour
moi qu’elle supervise un peu les choses. Elle a le recul
nécessaire que je n’ai pas toujours quand je suis
amené à faire des choix et à prendre
des
décisions. Je dirais qu’elle est plutôt
un guide.
Elle n’est pas là au quotidien, elle est
là
ponctuellement et elle ne s’impose jamais
à moi. Au
contraire, c’est moi qui lui demande son avis. Elle est
très discrète, et je lui en suis
d’ailleurs
reconnaissant. Lorsque je la sollicite, c’est vraiment parce
que
j’en ai besoin. Je ne reçois alors pas ses avis
comme des
corrections ou comme des bons points qu’elle me
distribuerait.
Elle met simplement le doigt sur des aspects particuliers
qu’il
me faut travailler. Il ne s’agit pas de corrections
techniques du
type «ferme ta cinquième» ou
«fais attention
à tes pirouettes» - tout cela, elle sait bien que
je le
sais -, mais ce serait plutôt «travaille davantage
tes
bras» ou «dans tel rôle, tel sentiment
est à
creuser». Ce sont donc des remarques plus
générales
que les corrections que peuvent me procurer les professeurs ou les
répétiteurs de l’Opéra, qui
sont tout
à fait qualifiés pour cela.
Quel regard portez-vous sur votre mère en tant que
ballerine? L’avez-vous vue danser?
Je
l’ai
vue presque exclusivement dans les ballets de Roland Petit. Il
était d’ailleurs très
émouvant pour moi de
pouvoir avoir accès, grâce au film de
Marlène
Ionesco, à des témoignages et à des
vidéos
liés à la période
antérieure au Ballet de
Marseille. J’ai des souvenirs très
précis
d’elle dans certains ballets de Roland Petit comme Notre-Dame de Paris.
Ma Pavlova,
non… [ballet dans lequel Mathieu Ganio apparaissait tout
petit
auprès de sa mère] C’est
d’ailleurs
très bizarre pour moi de regarder cette vidéo, je
n’en ai pas de véritable souvenir en fait, ou
alors
c’est inconscient.
Je n’ai pas du tout un regard critique sur elle et sa
carrière. Mon regard est uniquement porté par le
souvenir. C’est difficile à expliquer, mais
lorsque je la
regarde, je ne vois pas vraiment une danseuse, donc ce n’est
très pas objectif… Au fond, elle reste toujours
ma
mère. C’est d’abord elle que je vois,
avec toute
l’émotion et l’exigence que cela
comporte de voir sa
mère sur scène.
Peut-on parler de filiation artistique entre vous deux?
C’est
vrai et cela nous amuse de voir les similitudes entre nous, ne
serait-ce que sur le plan extérieur, car ces ressemblances
ne
sont pas toujours des choix. Nous avons tous deux
été
nommés étoiles alors que nous
n’étions que
sujets. La Russie a beaucoup compté dans notre
enrichissement
artistique. Nous avons eu, jeunes, des accidents sérieux. On
partage aussi, plus ou moins, la même sensibilité
artistique.
A ce propos, Marlène Ionesco vous a longuement
filmé en
Russie, à Saint-Pétersbourg,
où vous avez
notamment dansé Giselle
avec Olesia Novikova dans le cadre du Festival du Mariinsky. Etait-ce
une volonté de Marlène Ionesco de vous filmer
là-bas?
Marlène
Ionesco avait besoin de me filmer. A partir du moment où il
a
été décidé que je figurerai
dans le
documentaire, elle m’a proposé de
l’appeler
dès que je le jugerai nécessaire, dès
que
l’envie s’en ferait sentir. Dans une
carrière de
danseur, soumise aux blessures et aux changements de distribution, il
est parfois difficile et délicat de prévoir les
choses
trop à l’avance. Dès que j’ai
su que
j’étais réinvité au Festival
du Mariinsky en
2007, j’ai pensé que ce serait une belle occasion
d’être filmé et qu’il aurait
été
dommage de ne pas en profiter. Je l’ai prévenue au
dernier
moment pour être certain que cela serait possible. Le fait
d’être avertie au dernier moment était
sûrement moins pratique pour elle que pour moi, qui suis
très angoissé, mais elle a tout de suite
accepté
et elle a finalement pu me rejoindre.
Quel rôle a joué cette expérience russe
dans votre carrière?
Cette
expérience m’a ouvert les yeux, en même
temps
qu’elle m’a permis de franchir un palier dans ma
carrière. Elle est de celles qui renforcent ou
ébranlent
certaines certitudes. Lorsqu’on revient chez soi, on a
peut-être une idée plus précise de ses
attentes et
de ses envies face à la danse et face à sa
carrière. Je ne suis pas revenu meilleur, au sens
où
j’aurais fait des progrès, mais j’ai
découvert en Russie une autre façon
d’envisager le
spectacle et le travail quotidien du danseur.
Là-bas,
les danseurs ont des «coachs» personnels. Autrement
dit,
ils n’ont pas un répétiteur qui les
ferait
travailler sur une production donnée, mais un
répétiteur qui les suit tout au long de la
journée
et sur tous les ballets qu’ils ont à travailler.
J’ai travaillé pour ma part avec Yuri Fateev,
l’actuel directeur du Mariinsky, et j’ai
adoré la
manière dont il m’a coaché. Il
m’a
donné confiance en moi et il a adapté la
chorégraphie de Giselle
à ma personnalité. A Paris – et ce
n’est pas
une critique du tout -, on est souvent tous très
fidèles
à une même chorégraphie
d’origine. En Russie,
bien que la tradition soit très forte, il existe en revanche
une
grande liberté dans l'exécution des petits
détails
de la chorégraphie, que ce soit dans les pantomines ou dans
les
variations : on privilégie donc un travail artistique qui
sera
davantage personnel.
A
Paris
également, il faut reconnaître que nous sommes
très
privilégiés pour ce qui est des conditions de
travail.
Elles sont plus difficiles à Saint-Pétersbourg,
ne
serait-ce que pour les disponibilités en matière
de
studios – je n’ai quasiment pas
répété
là-bas -, mais du coup, lorsque les danseurs se retrouvent
en
scène, ils assurent le spectacle et donnent tout pour que le
spectacle soit un instant vraiment magique. Peut-être est-ce
plus
difficile au quotidien, mais en tout cas, c’est comme cela
que
moi je l’ai vécu. Je me suis dit en rentrant
qu’il
fallait que je me serve de cette expérience pour ma danse et
pour l’Opéra.
Avec ma partenaire Olesia Novikova, tout s’est
très bien
passé. C’était une belle rencontre. Je
la
connaissais déjà, car j’avais
dansé
l’année précédente Don Quichotte
avec elle. C’était d’ailleurs un peu
curieux
d’avoir été invité une
première fois
pour danser le rôle de Basilio, car ce n’est quand
même pas celui qui me convient le mieux.
On vous voit également danser assez longuement dans un
extrait de Genus
de Wayne McGregor. Cette expérience a-t-elle
revêtu une importance particulière pour vous?
Marlène
Ionesco a choisi ces extraits, car ils correspondaient au moment du
tournage du film. Wayne McGregor était une rencontre
importante,
car c’est un chorégraphe avec qui il est
intéressant de travailler. Malheureusement, je me suis
blessé très vite (une double hernie), donc je
n’ai
pas vraiment eu le temps d’en profiter sur scène.
La
chorégraphie était très dure pour la
tête,
si je puis dire, car il y avait beaucoup de choses à
apprendre,
beaucoup de comptes. Par exemple, Wayne McGregor aimait nous apprendre
une phrase pour ensuite la déstructurer, ou bien nous la
faire
exécuter seulement avec les jambes ou seulement avec les
bras,
ou encore mélanger des phrases différentes
exécutées simultanément avec les bras
et avec les
jambes. Cette chorégraphie nous faisait donc beaucoup
travailler
le cerveau et plus encore la coordination. On abordait là
une
nouvelle façon de bouger, dont je n’avais pas
vraiment
l’habitude. On a d’ailleurs fait beaucoup
d’ateliers
avant d’aborder la chorégraphie proprement dite.
Le film est d’abord sorti au Japon. Est-ce lié
à votre popularité auprès du public
japonais?
Les
Japonais
ont été les premiers à avoir
été
intéressés par le DVD. Ils sont très
friands de
danse et c’est vrai, à chaque fois que
j’y retourne,
je reçois un très bon accueil. C’est
très
agréable d’aller là-bas, car ils ont
vraiment une
culture et une passion pour la danse. Quant à ma
popularité, c’est peut-être un bien
grand
mot… D’autres danseurs français
s’exportent
très bien au Japon… Mais peut-être
sont-ils
touchés par la filiation avec ma mère, Dominique
Khalfouni, qu’ils connaissent aussi. En tout cas,
j’aime et
j’admire beaucoup leur ferveur pour la danse. Au Japon,
j’ai toujours vécu des rencontres importantes,
à la
fois pour moi et pour ma carrière.
Entretien réalisé le 16 décembre 2008
Dansomanie
© 2009
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