Dansomanie : Ballet d'Europe : entretiens : Jean-Charles Gil
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Ballet d'Europe : entretiens : Jean-Charles Gil, directeur et chorégraphe

 

 

 

 

Questions à Jean-Charles Gil

 

 

  La compagnie

 

Comment est né le Ballet d’Europe?

Le Ballet d’Europe est né d’une volonté d’aller plus loin que le Ballet des Jeunes d’Europe (une compagnie formée chaque été par de jeunes danseurs issus d’écoles supérieures de 15 pays d’Europe, que j’ai fondée en 1999), et plus approfondi sur le statut du danseur, pendant 3 ans. Mais aussi sur une volonté de se servir de cette base classique pour faire un travail de fond, pour pouvoir être un outil d’excellence.

 

Qu’est ce qui distingue le Ballet d’Europe des autres compagnies ? Comment définiriez-vous sa «politique artistique»?

La Cie est comme l’Europe, elle travaille sur les rapports et les équilibres entre le groupe et l’individualité, dans un aller et retour permanent, en gardant et en affirmant ce travail sur cette technique classique, jusqu’à l’épure, pour pouvoir donner cette dimension contemporaine et humaine proche de l’universalité. Epure pour laisser place à l’émotion de l’être d’où un travail axé sur le ressenti du danseur, et non sur le geste copié par le danseur.

 

Le Ballet d’Europe est il une compagnie – au moins en partie – de « répertoire », ou est-elle exclusivement dédiée à la création?

La compagnie effectue en priorité des créations sauf dans quelques rares cas.

 

Beaucoup de compagnies se consacrent principalement, voire uniquement, à l’exécution des ouvrages composés par leur directeur artistique. Le Ballet d’Europe s’ouvre aussi à d’autres chorégraphes. Pourquoi ce choix, que l’on peut presque considérer comme «original»?

Aujourd’hui beaucoup de compagnies ou sont dirigés par des chorégraphes-directeurs, ou par des directeurs qui ne font que rassembler des chorégraphes en vogue. La particularité du Ballet d’Europe peut se situer dans ces échanges qui, pendant 3ans, ont pu être menés avec 7 chorégraphes. Leur esthétique et leurs techniques ont ainsi pu être confrontées et nourrir les danseurs faisant partie de la troupe. Moi-même j’ai assumé 5 pièces chorégraphiques touchant à chaque fois un axe différent de ma création, ainsi qu’un univers musical varié. La diversité comme outil pour aller peu à peu vers l’essentiel. Cette recherche permet aujourd’hui de démarrer une phase nouvelle et d’accentuer ce travail de l’individu, de l’humain confronté au groupe et tour à tour leader du groupe, avec une plus grande visibilité.

 

Quelle est la place du Ballet d’Europe aux côtés d’autres acteurs majeurs de la danse dans la région marseillaise : Ballet National de Marseille, CCN d’Aix-en-Provence?

Elle s’affirme comme un travail de fond, encore une fois sur une base technique classique, en évolution, en création permanente et en lien avec la liberté du mouvement contemporain, la relation du poids du corps et de l’apesanteur. Tout cela dans une recherche d’esthétique de pureté et non dans un esprit de conservatisme.

Tout ce travail est complété par celui des chorégraphes invités, sans oublier un point primordial, ce travail partagé avec un public de plus en plus large. Nous menons tout au long de l’année des actions de sensibilisation variées, que ce soit par le biais de visites ou de portes ouvertes sur notre travail à la compagnie ou bien par des ateliers, auprès des scolaires ou d’un public plus varié.

 

Le Ballet d’Europe a-t-il des missions et un public spécifiques?

La mission, c’est avant tout d’être cohérent et intègre dans sa démarche ; celle du Ballet est artistique et humaine, comme l’art se doit d’être à son public.  C’est pourquoi le langage employé se doit d’être un travail non seulement d’excellence mais accessible, par sa dimension intellectuellement reliée à l’émotionnel, car l’émotionnel n’est pas un mot de pacotille, mais peut être cet outil extraordinaire qui permet l’ouverture de portes qui semblaient ne pas nous concerner.

 

 De quel budget dispose la compagnie pour mener à bien ses missions? Quels sont vos principaux soutiens financiers, publics ou privés? Quels moyens pouvez-vous investir dans une production?

Budget global : 1,1 million, comprenant le fonctionnement, les actions de sensibilisation, les créations, et l’équipe de 20 personnes dont 14 danseurs permanents (10 CDI et 4 CDD). Environ 80% sont financés par des subventions. Nos principaux partenaires publics sont le conseil Général des Bouches du Rhône, la Région Provence alpes Côte d’Azur, la Drac PACA et l’Union Européenne. Le reste est constitué de fonds propres, ventes de spectacles et partenariats privés.

 

Effectuer une tournée en Syrie est une aventure peu banale. Qu’est-ce qui a motivé ce projet?

Cela fait partie des missions de la Compagnie : aller sur des territoires difficiles. C’est aussi une question d’éthique : faire découvrir notre culture sur des territoires nouveaux, créer des liens avec ces populations, et créer ensemble un processus d’échanges et de création. Dans ces moments tendus et difficiles, montrer que le dialogue est possible et que la construction ne tient qu’à la volonté des personnes.

 

Et l’avenir? De nouvelles idées sont-elles en gestation?

L’avenir fait partie presque du présent. Dans la création, on est toujours propulsé vers l’avant. L’avenir c’est l’implantation de la Compagnie dans cette ancienne usine EDF à Allauch, commune limitrophe de Marseille. C’est cette nouvelle rencontre avec Jean Michel Bruyère, plasticien scénographe qui va accompagner non seulement mes créations mais aussi l’installation du lieu, s’implanter dans ce lieu, avec ses multiples démarches artistiques et faire de ce lieu, encore une fois, un lieu de vie en permanence, de création, de pensée et de réalisations ouvert à tous. D’un point de vue plus personnel, me lancer dans mon Echos Méditerranée, ma prochaine création, qui, je l’espère, verra le jour sur l’île de Malte.

 

 

Les danseurs

 

Sur quels critères recrutez-vous les danseurs ? Quelles qualités attendez-vous d’eux?

Les qualités premières que je recherche sont humaines. J’attends des danseurs qu’ils puissent être à l’écoute de l’autre ; des qualités de développement aussi, ayant acquis un minimum de base technique qui me permette de travailler dans la voie artistique de la Compagnie.

 

Quel type de formation recherchez-vous? Classique? Contemporaine?

 Les deux. Pour moi, l’une sans l’autre ne peut exister. J’ai besoin d’arriver à la netteté du geste et pour cela la base classique est indispensable, pour mieux l’oublier, ne pas en être prisonnier.

 

Avez-vous cherché à obtenir un équilibre entre danseurs de sexe masculin et féminin, ou la répartition s’est-elle faite naturellement, au gré des opportunités de recrutement?

C’est une des seules choses pour lesquelles je me bats, c’est l’équilibre entre les deux. Ca ne me dérangerait de faire une Compagnie avec seulement des filles ou seulement des garçons si cela avait été mon choix dès le début. Je cherche aussi à défendre un chemin difficile, celui d’ouvrir la danse à la gente masculine, de plus en plus, et de faire tomber idées préconçues et a priori.

 

Peut-on parler d’«acculturation» des danseurs à la compagnie? Y a-t-il un style, ou du moins des éléments de style et de technique qui portent la marque spécifique du Ballet d’Europe?

C’est un processus d’identification à la compagnie mais où chaque personne reste elle-même, dans son intégrité. Ce phénomène est lié à une particularité de la Compagnie : mon travail sur la différence de chaque danseur tout en l’intégrant dans le groupe comme nous l’avons déjà dit, jusqu’à l’exaltation de la personnalité propre de chacun. Tout cela canalisé dans une même pensée.

 

 Les danseurs sont ils fidèles à la compagnie, ou vont-il tenter leur chance ailleurs après quelque temps passé dans la troupe?

L’individu quel qu’il soit a besoin de se comparer/confronter et de se tester. Je pense que si certains se sont prêtés à cet exercice cela leur permettra eux-mêmes de juger et de se sentir plus investis, plus concernés et sûrement plus épanouis au sein de la structure que s’ils ne l’avaient pas fait. D’autres, par contre, plus rares, ont tout de suite compris et se donc immédiatement investis dans la démarche particulière du Ballet d’Europe.

 

Certains danseurs de la compagnie ont auparavant  exercé leur art dans des institutions prestigieuses. Qu’est-ce qui les a décidé, selon vous, à s’engager dans une compagnie qui a priori n’est pas en mesure de leur assurer des conditions de carrière et de rémunération aussi avantageuses? Ou plus simplement, qu’est ce qui fait l’attrait du Ballet d’Europe pour des artistes chorégraphiques?

Je pense avant tout qu’un artiste n’est pas un fonctionnaire. Les richesses de cœur, de connaissance, les dons de tous les jours qui ne se monnaient pas sont ceux qui valent le plus. Peut-être est-ce là l’attrait particulier du Ballet d’Europe.

 

 

 Le directeur

 

Jean-Charles Gil, vous définiriez-vous comme administrateur, chorégraphe, pédagogue, danseur? Les quatre à la fois?

Danseur, je l’ai été et le resterai. Pédagogue je le suis devenu. Administrateur, aujourd’hui, dans des fonctions de directeur, nous sommes obligés d’avoir des connaissances dans ce domaine pour accompagner nos équipes. Chorégraphe, on ne le devient pas, je pense que c’était ma vocation première depuis mon plus jeune âge, qui aujourd’hui peut enfin se matérialiser et commencer à s’exprimer.

 

Quelle part représente chacune de ces activités dans votre emploi du temps?

Je ne calcule pas les parts, car je n’ai jamais rien calculé dans ma vie ni dans ma carrière ; je me donne tout simplement. Je suis ce que je suis, comme tout artiste qui porte ce nom.

 

Le travail administratif et les obligations en matière de relation publiques inhérentes aux fonctions de directeur de compagnie vous laissent-ils le temps nécessaire pour vous consacrer aux activités purement artistiques du Ballet d’Europe?

Je pense que cette question va dans le même sens que la précédente. Il y a des moments pour tout, mais aujourd’hui nous sommes dévorés de tous les côtés. Si ce n’était qu’une question de projet très personnel, je serai sûrement plus égoïste ; aujourd’hui je me dois d’être au service de mon projet, donc des autres.

 

Qu’est ce qui vous a motivé, après une brillante carrière internationale, pour créer votre propre compagnie, aventure qui présente toujours des risques au lieu de choisir une voie plus confortable?

C’est de voir à quel point les compagnies, aujourd’hui, sont dirigées non sur un travail de connaissance du danseur à sa relation personnelle en tant qu’être, son potentiel humain et artistique, mais seulement sur une image dégagée d’un corps en mouvement qui permet de l’étiqueter sur telle ou telle technique ou mouvance de chorégraphes. Je voulais retrouver ce lien avec le danseur, ce lien qui pour moi ne devrait jamais disparaître. Ne croyez pas que c’est si facile car c’est un travail exigeant, et d’autant que plus ardu qu’on ne se cache pas derrière une étiquette.

 

Retour en arrière : à la lecture de votre biographie, il ressort que les deux chorégraphes qui ont le plus marqué votre parcours de danseur sont Roland Petit et Maurice Béjart, deux maîtres pourtant connus pour leur antagonisme. Que vous ont-il apporté?

Je pense que ces deux noms qui ressortent sont en fait deux personnes parmi beaucoup d’autres. Roland Petit m’a permis de me révéler, m’a donné le sens de la théâtralité, a permis mon développement en tant que danseur et m’a propulsé sur les plus grandes scènes du monde.

Après cela j’ai voulu me confronter aux ballets du répertoire classique, que je n’avais jamais abordés jusque-là. Ce ne fut pas une mince affaire car mes premiers pas dans ce domaine furent tout de suite sur des scènes prestigieuses intégrant en «guest star » de compagnies telles que l’American Ballet Théâtre dirigé par Barychnikov ou l’Opéra de Paris durant l’ère Noureev pour ne citer que cela. Ce fut un passage obligé pour moi, retourner aux sources de la danse classique pour mieux s’en détacher. J’ai travaillé du Balanchine, du Jérôme Robbins, du Forsythe etc. Ma rencontre avec Maurice Béjart se concrétisa pour la 1ère fois avec l’Oiseau de Feu. Je voulais rencontrer ce grand nom de la chorégraphie, être l’instrument de son travail pour mieux le comprendre et la boucle fut bouclée. Après cela, moult essais avec d’autres chorégraphes (comme C. Armitage, par exemple,) et tant d’autres. Je compris très vite que mon destin n’était pas celui-là. Je voulais laisser s’exprimer cette force première qui m’interpellait depuis mon plus jeune âge, au fond de moi, cette volonté de créer par moi-même qui m’a toujours habité.

 

Et demain, comment voyez-vous l’avenir de la danse classique, alors que l’horizon semble s’obscurcir, y compris dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, avec la disparition annoncée du Ballet de Nice?

 La danse classique, je la vis au quotidien au sein du Ballet d’Europe, je la porte sur scène. Pas une danse classique éthérée, pas une danse classique-cliché, de musée. Oui, la danse classique est en danger, mais je crois en la danse classique vivante, c’est pour celle-ci que je me bats ; une danse en création, en mouvement, en lien avec nos contemporains.

 

 

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