Chair à canon?

[haydn]

Les accidents à répétition qui touchent le corps de ballet de l'Opéra de Paris ces derniers temps ne sont pas sans susciter un certain nombre d'interrogations. Pour ne retenir que les plus marquants :

Décembre 2003 :
- blessure de Karin Averty, forfait sur Concerto Barocco

Janvier-Février 2004 :
- blessure d'Isabelle Ciaravola, forfait sur le gala de Lausanne
- blessure de Marie-Agnès Gillot, forfait - au moins sur les premières représentations - de Giselle (Myrtha)
- blessure d'Alexandra Cardinale, forfait sur le gala de Puteaux et sur Giselle
- blessure de Sandrine Marache, forfait sur Giselle
- blessure en scène de Nathalie Aubin, selon toute probabilité forfait pour la suite des représentation de Giselle

Chez les messieurs, le tableau n'est guère plus brillant. Dans la grande majorité des cas, ce sont les chevilles qui sont touchées. Et il sest symptômatique de constater que cette série de coups du sort a frappé de manière quasi-exclusive les "anciennes" du corps de ballet, approchant ou dépassant la trentaine.

Ne paye-t-on pas ici les conséquence de cette dérive que nous avons ici maintes fois dénoncée, vers une danse toujours plus athlétique, toujours plus exigeante sur le plan physique - au détriment de l'expression artistique - et qui brise les corps en quelques années?

La mise en avant de "jeunes premières", de "petites bombes" (pardon à elles, la métaphore ne se veut nullement péjorative) correspond certes à des impératifs d'image, a des impératifs de "marketing" dans une guerre médiatique que se livrent quelques grandes compagnies. Mais n'est-ce pas également un impératif "techinque", car seul des danseuse dans la fleur de leur jeunesse sont peut-être encore capables de satisfaire aux défis physiques invraisemblables qu'on leur impose?

Au rythme où évoluent les choses, la carrière d'une ballerine s'apparentera bientôt à celle d'une joueuse de tennis ou d'une gymnaste : en piste à quinze ans, et au rencart à vingt-cinq.

Si des responsables de compagnies nous lisent : Mesdames, Messieurs, faites que la danse redevienne un ART et non plus un SPORT!

[shylock]

Il y a un monde entre ce que perçoit le spectateur d'un ballet et ce que ressentent les ballerines qui l'éxécutent. Mais on peut en dire autant des musiciens d'orchestre. L'aisance, la facilité apparente, l'art de la ballerine sont le résultat d'un trés long travail et le fruit d'un effort permanent. Beaucoup de ballerines témoignent des souffrances provoquées par les chaussons de danse, ces instruments de torture, mais les nombreuses blessures endurées par ces vaillants petits soldats semblent en effet un phénomène plus récent. Les témoignages des grandes danseuses du passé (Yvette Chauviré, Odette Joyeux, Tchérina, etc) ne font pas état de blessures en série. Faut-il mettre en cause le surbookage des meilleurs éléments du CDB?

[Katharine Kanter]

Un article du grand professeur hongrois Maria Fay

publié il y a quatre ou cinq ans dans le Dancing Times

http://www.geocities.com/zijin/magic.html

sur ce sujet

"Has the Magic Gone ?"

[haydn]

Shylock, il y a peut être le surbookage de certains artistes, mais ce n'est sans doute pas la raison essentielle, d'autant que là, ils revenaient de quelques jours de vacances et auraient normalement du être reposés.

Comme je l'ai dit, le motif essentiel me semble être les exigeances physiques déraisonnables que l'on a envers les danseurs, et où seuls les plus jeunes peuvent encore tenir le coup. On est dans la même logique que pour le sport professionnel.

L'article que Mme Kanter a mis en lien est fort intéressant, et pointe bien cette dérive assez générale (elle ne touche pas seulement l'Opéra de Paris, loin s'en faut) vers une danse plus sportive et spectaculaire, où seule la performance athlétique compte. Et l'on va malheureusement vers une large internationalisation du phénomène, et une uniformisation des styles de danse. Je discutais il y a quelque jours avec une ballerine formée à l'étranger, qui me disait très justement que les méthodes d'enseignement, qui, lorsqu'elle était elle-même élève il y a une dizaine d'années (ce qui n'est pas si lointain, vous en conviendrez), étaient encore assez différentes selon les pays, et qu'à présent, tout se nivelle à une vitesse effrayante.

La chute du bloc communiste a accéleré les choses, et malheureusement, même à l'Est, les pratiques commencent à s'américaniser et à s'aligner sur les détestables modèles venus d'outre-atlantique.


On pourrait établir un parallèle avec ce qui s'est passé depuis vingt ans pour les orchestres, qui perdent tous peu à peu leur caractère propre, au profit d'un clinquant à l'américaine. Il n'y a qu'a voir ce qu'est devenue la Philharmonie de Berlin depuis la mort de Karajan, ou même l'orchestre du Kirov depuis que Gerghiev y sévit. C'est bien en place, techniquement excellent, mais sans âme. Itou à la Philharmonie tchèque, autrefois, grâce aux Talich, Ancerl et autres Neumann l'une des meilleures formations au Monde, et devenue, sous la direction notoirement incompétente de Vladimir Ashkenazy, un ensemble de second ordre...

En France aussi, les orchestre perdent de leur typicité ; seul le Capitole à Toulouse, les "verts" de l'Opéra de Paris, ou l'orchestre de l'Opéra de Marseille quand il est dans un bon jour sonnent encore vraiment Français. Quelques chefs, comme Plasson, ou en Espagne, Josep Pons, sont encore attentifs à préserver ces traditions. Mais ils sont de plus en plus rares, et tout sonne maintenant comme le Boston ou le Los Angeles Symphony. C'est bien triste.

[haydn]

P.S. un peu d'espoir du côté de la Hongrie, avec des chefs tels Béla Drahos ou Michael Halasz, qui préservent avec zèle le patrimoine que leur ont legué des artistes du calibre de Janos Ferencsik, et où l'orchestre de la Radio de Budapest ou le Nikolaus Esterhazy Chamber Orchestra sonnent encore véritablement "magyar"...
Malheureusement, le gouvernement hongrois ne fait pas vraiment grand cas de ces efforts, et l'arrivée de la gauche (!!!) au pouvoir s'est soldée par des réductions drastiques dans les budgets dévolus à la culture et une ouverture plus large aux influences occidentales, nord-américaines en particulier. Paradoxalement, la droite nationaliste avait, contrairement à ce qu'on pouvait craindre, fait de l'identité culturelle l'un de ses chevaux de bataille et y avait consacré des efforts financiers significatifs.

[haydn]

La série noire continue... Blessures de Céline Talon (pour le moment tout de même maintenue sur le spectacle Kylian) et de Marie-Isabelle Peracchi...

Ce n'est plus le ballet de l'Opéra, mais l'Hôtel-Dieu! De grâce, prennez un peu plus soin des danseuses qu'on aime...

[shylock]

Pourquoi l'Hôtel-Dieu? Puisqu'on emploie l'expression militaire "chair à canon", l'Hôtel des Invalides conviendrait probablement mieux à nos vaillants petits soldats du Corps de Ballet, non?

[haydn]

Eh bien parce qu'aux Invalides, cela fait belle lurette que l'on y soigne plus de blessés....

[Pierre]

Juste pour embêter un peu notre ami Haydn

L'Hôtel des Invalides est un très bel ensemble du... XVII siècle qui a posé les... canons du classicisme français puisqu'on va y trouver toutes les caractéristiques du Grand Style français. Une réalisation de Louvois. A ce propos, il est amusant de retrouver un "loup qui voit" dans la Cour...

Mais en plus du Musée de l'Armée, du tombeau de l'Empereur, l'Hôtel des Invalides remplit toujours sa fonction primaire telle que Louis XIV, le même qui aimait tant la Danse puisqu'il créa le Ballet de l'Opéra en 1669, le définit :

"Un hostel royal d'une grandeur et espace capables d'y recevoir et loger tous les officiers et soldats tant estropiés que vieux et caduques et d'y assurer un fonds suffisant pour leur subsistance et leur entretenement".

Aux beaux jours, vous pourrez croiser dans les jardins, côté Eglise, nos fiers soldats tombés au champ d'honneur des missions Onusiennes et humanitaires.

Louis XIV, le Ballet, les Invalides, chair à canon, la remarque de Shylock est ... valide ...

[Pierre]

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