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Danse en Bretagne

 
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haydn
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MessagePosté le: Ven Jan 08, 2016 12:54 pm    Sujet du message: Danse en Bretagne Répondre en citant

J'ouvre ce nouveau fil de discussion destiné à regrouper les informations concernant la danse en Bretagne :



    Le 12 janvier prochain, Olivier Dubois, actuel directeur du CCN de Roubaix, sera l'invité du Théâtre de Cornouaille à Quimper, pour une représentation unique de son ballet Les Mémoires d’un seigneur, qui fait appel à 60 danseurs amateurs, tous masculins :



    Les Mémoires d’un seigneur

    Création : Olivier Dubois
    Assistant à la création : Cyril Accorsi
    Interprètes : Sébastien Perrault et 60 danseurs amateurs masculins
    Musique : François Caffenne
    Direction technique : Robert Pereira
    Production : Béatrice Horn, Marion Gauvent
    ‐ ‐ ‐ ‐ ‐
    Production Ballet du Nord / CCN Roubaix
    Nord – Pas‐de‐Calais

      « C’est peut‐être l’histoire d’un homme, d’une immense solitude.
      Celle d’un roi triomphant. Il est l’homme disparu, dépossédé de son
      être par la nation.

      Trois époques :

      La Gloire
      Temps solaire : Le pouvoir, la vision, le savoir. Le monde, les
      hommes, l’Amour, la civilisation. Il sue, il brûle, il vit. Le héros. Il parle
      français, anglais, allemand et russe.

      La Chute
      Temps lunaire : La paranoïa, la barbarie, la terreur. La culpabilité et le
      jugement. De l’effroi et des tremblements, il meurt. Le tyran Il parle
      latin, grec, probablement araméen et le vieux‐norrois (vikings).

      L’Adieu
      C’est le chant du Cygne, l’abandon. C’est l’humanité réfugiée. Il est
      astre, mémoire, songe et disparition. Il chante.
      ‐ Un homme
      ‐ 60 hommes de 18 à 70 ans. Appelons‐le décor vivant ou bien états
      d’âmes, citations et qui sait civilisations. Il peut aussi être
      démultiplication comme une disparition de soi. Ce « décor »
      deviendra aussi forêt, méandre, tourment, champ de batailles, à
      moins que cela ne soit de la pure mégalomanie, ou pire encore de la
      tyrannie. C’est un voyage au long‐cours baigné de théâtre élisabéthain, des mémoires d’Hadrien, de Marc‐Aurèle à Caligula, d’Alexandre le Grand
      à Gengis Khan. Ce sont nos histoires, nos rêves, nos peurs et nos
      souvenirs. »

      Olivier Dubois




    Les Mémoires d’un seigneur

    THÉÂTRE DE CORNOUAILLE
    1 ESPLANADE FRANÇOIS MITTERRAND -29337 QUIMPER CEDEX
    ACCUEIL BILLETTERIE 02 98 55 98 55
    WWW.THEATRE-CORNOUAILLE.FR

    MARDI 12 JANVIER 2016 - 20H00
    DURÉE 1H // € 18 / 26 | PASS € 10 / 17









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Dernière édition par haydn le Mar Mar 08, 2016 4:22 pm; édité 1 fois
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juthri



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MessagePosté le: Ven Jan 15, 2016 12:59 am    Sujet du message: Répondre en citant

Escale à Quimper le mardi 12 Janvier 2016, au Théâtre de Cornouaille, pour y découvrir la nouvelle création d'Olivier Dubois, directeur du Ballet du Nord/CCN Roubaix, danseur atypique et chorégraphe à grand succès depuis le choc Tragédie du Festival d'Avignon en 2012.
Cette pièce a d'ailleurs été présentée l'année dernière dans ce même lieu, dans le cadre de la saison anniversaire des 20 ans du label "Scène nationale" (et Centre de Création Musicale), avec entre autres programmations : le Ballet du Grand Théâtre de Genève pour une soirée Millepied, la Batsheva Dance Company, Rosas (on se croirait cette saison à l'ONP...), ou encore la Hofesh Shechter Company.

Le théâtre moderne comprend 700 places, quasiment toutes occupées ce soir-là comme souvent, les sièges sont rouges, le cadre de scène noir, et les ouvreuses en marinières bleues apportent la touche de chic différent. L'accueil est chaleureux, d'autant que la façade est ornée d'une monumentale étoile végétale de centaines de tulipes rouges pour faire plaisir aux amateurs de danse (il s'agit en réalité de l'emblème du festival de cirque "Circonova" qui ouvre bientôt, avec, à la lisière de la danse, Belle d'hier de Phia Ménard ou la compagnie XY, mais le dansomaniaque est très pavlovien quand il voit une étoile ! Wink ).

Cette dernière pièce d'Olivier Dubois repose sur un projet humain et artistique ambitieux : mettre en scène un chœur d'interprètes amateurs, en résonance au Gala de Jérôme Bel mais sans prétention de danse technique, jusqu'à soixante, chaque soir différents au gré du voyage de la création. Des hommes uniquement, de tous âges et tous physiques, recrutés pour l'occasion donc, qui accompagneront après quelques jours de répétitions un unique, dans tous les sens du terme, danseur professionnel. Depuis Tragédie les corps se sont (à moitié) rhabillés, comme pour mieux déshabiller les âmes, et le collectif laisse place à un homme seul, car ce décor vivant profus qui l'entoure n'est qu'une mise en situation, par contraste ou par émanation, de l'isolement de l'interprète principal.
Ce dernier incarne une figure mythologique, mi-héros, mi-tyran, dont la destinée tragique apparaît d'emblée tant il semble isolé sur le rocher de sa propre folie et en décalage total avec l'humanité incarnée qui l'entoure parfois et qui figurera son châtiment. Cette création se veut un cheminement dans l'esprit plus que dans la mémoire de ce Seigneur, symbole d'un temps perdu, mais qui provoque l'empathie, à force d'exposition de ses tourments, et atteint ainsi une portée universelle de souffrance et d'errance, qui peut être propre à chacun.

L'interprétation qui en résulte est évidemment clivée : D'une part la solitude de l'homme, Seigneur de l'effroi et de l'oubli, magistralement incarné par Sébastien Perrault, danseur, chez Pietragalla notamment ou remarqué dans Tragédie, mais aussi chorégraphe ou directeur de compagnie, bref un explorateur de la danse. Arborant une barbe de Robinson, torse nu, hirsute, hagard, subissant son sort tantôt exilé dans sa thébaïde, tantôt assailli par le monde, luttant vainement contre cette foule qui finira par lui ravir sa vie, il donnera à merveille sens à son personnage et son inéluctable issue.
D'autre part les 52 (!) interprètes masculins du soir, apportant vaillamment leur corps, mais aussi leur souffle et leur engagement à cette création, et dont l'extravagante force du nombre ce soir-là (habituellement ils sont plutôt une trentaine) en drainera la moindre parcelle de substance afin d'offrir un spectacle immense.

Scène vide, lumières obscurcies, et en guise de premier accessoire une vaste table aux multiples usages : jouée comme une simulation de Thérémine, transformée en pavois du chef ou en calvaire (culture locale oblige, mais ici païen), figurant l'obstacle ou le mur, et qui fera même office de projectile offensif ou d'oppidum défensif. Second accessoire : une épée, arme que la chorégraphie transformera en sceptre ou en canne, voire en rame qu'un improbable passeur du Styx utilisera pour ratisser les corps autant que les âmes. Sébastien Perrault la détournera même, au gré de son interprétation baroque, en guitare électrique, sans doute en réminiscence de sa période d'accompagnement d'un groupe de rock britannique.

La composition musicale électronique de François Caffenne est abstraite, tantôt doucereuse, tantôt vrombissante, pulsations sans rythme ou cadencées en accélérations progressives, très souvent dans les graves, au volume sonore voulu élevé (de type concert amplifié). Musique tribale, qui s'écoute par le ventre pour aller toucher l'intime. Parfois l'Homme verbalisera en plusieurs langues des bribes de phrases incompréhensibles.

Les tableaux seront à l'unisson, portés par la dichotomie entre la solitude et le nombre. La première sera toujours lente, comme la longue entrée en scène silencieuse, telle une urgence à se poser dans la fuite du temps et troubler d'emblée le spectateur, puis quasi immobile, figure de la vanité vis-à-vis de l'Histoire, et dont la quiétude apparente n'est qu'un masque à la folie. La foule, elle, sera vivace, tumultueuse, fracassante, pour mettre en scène le combat, la fuite éperdue, les voix, la vie, donc la mort.

La force de cette oeuvre réside dans les scènes d'ensemble, simplement dantesques, comme celle du combat épuisant du Héros contre le flux perpétuel des hommes ordinaires, qui courent inlassablement de cour à jardin, mais sans jamais les atteindre, comme si l'espace, l'existence ou le temps n'était décidément pas les mêmes. Deuxième scène tout aussi grandiose : le siège oppressant d'insurgés contre le Tyran juché sur sa table et vainqueur à la Pyrrhus. Puis une scène figée, mi-radeau de la méduse, mi-charnier des illusions vaincues, dans lequel viendra se perdre le Tyran une première fois, avant qu'il ne rompe cette pyramide, lame brandie, soudain étincelante. Il guidera ensuite ces âmes perdues, qui s'écoulent comme du sable à ses pieds, pour qu'elles reprennent forme un peu plus loin en une Porte de l'enfer de Rodin, qui à son tour lui ravira son attribut et l'engloutira définitivement. Enfin l'allégorie de la mort sera mise en scène par la vision du calvaire évoqué, l'exilé immobile, déjà lointain et étranger, debout derrière la table, dont les pieds, le plateau et le sol en délimitent le socle : une cage emplie de corps grouillants, qui finira par se vider dans l'obscurité grandissante, comme s'écoule et s'éteint peu à peu la vie.

On y verra Caligula d'Albert Camus, Dante et ses neufs enfers, du théâtre élisabéthain ou antique, mais aussi Pasolini et son Œdipe-Roi pour le rythme, la folie, la tragédie. Point de danse au sens classique du terme, l'interprète principal sera souvent avare de geste dans les passages solitaires, sauf dans une transe initiale désincarnée, et seuls les virulents tableaux de masse laisseront place au mouvement, ce qui ne leur donnera que plus d'intensité.

Au final deux facettes, le moi et les autres, d'une même angoisse, laissant estimer qu'autrui n'est que simple projection de l'esprit d'un seul homme. Le pessimisme surprend, car la communauté si souvent transcendée par le chorégraphe, et imaginée salvatrice de la destinée de l'homme, l'accompagnera finalement dans son châtiment. C'est d'ailleurs l'idée du texte final nihiliste, lu par un narrateur absent, le Seigneur fixant le public, qui reprend l'incantation de Caligula face à son miroir juste avant sa mort, sauf qu'ici l'humanité s'est éteinte avant l'Homme. Subsisterait la Femme, absente majeure, mais qui par contraste se verrait renforcée en figure de la vie et du sens ?

Apre, puissante et exigeante, alternant temps cérébral et instants de tumulte, n'accordant aucun moment de répit au spectateur, cette pièce qui fait tant appel aux autres pour mieux parler à soi, poursuit la quête de son créateur, bien qu'abordée sous un autre angle, du trouble obsessionnel par le mouvement et d'une nécessaire conscience de la communauté humaine. Intègre.


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haydn
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MessagePosté le: Mar Jan 19, 2016 10:27 am    Sujet du message: Répondre en citant

La chronique de juthri, mise en forme et illustrée, est maintenant accessible sur le site de Dansomanie :


    [/url]

    12 janvier 2016 : Les Mémoires d'un seigneur (Olivier Dubois) à Quimper

      Escale à Quimper le mardi 12 Janvier 2016, au Théâtre de Cornouaille, pour y découvrir la nouvelle création d'Olivier Dubois, directeur du Ballet du Nord/CCN Roubaix, danseur atypique et chorégraphe à grand succès depuis le choc Tragédie du Festival d'Avignon en 2012. Cette pièce a d'ailleurs été présentée l'année dernière dans ce même lieu, dans le cadre de la saison anniversaire des 20 ans du label "Scène nationale" (et Centre de Création Musicale), avec entre autres programmations : le Ballet du Grand Théâtre de Genève pour une soirée Millepied, la Batsheva Dance Company, Rosas (on se croirait cette saison à l'Opéra National de Paris), ou encore la Hofesh Shechter Company.

      --> Lire la suite



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MessagePosté le: Mar Mar 08, 2016 4:20 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Les prochains spectacles de danse prévus au théâtre de Cornouaille sont tout d'abord Pixel, de Mourad Merzouki, le 21 et le 22 avril. Les deux représentations sont complètes, et il faut s'inscrire sur liste d'attente :

Tél au 02 98 55 98 55 ou mail à billetterie@theatre-cornouaille.fr

Suivra Lied Ballet de Thomas Brun, le 31 mai et le 1er juin 2016. Là, des places sont encore disponibles :

Résa : http://billetterie.theatre-cornouaille.fr/catalogue_spectacle?lng=1










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juthri



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MessagePosté le: Sam Juin 18, 2016 11:46 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Après Avant toutes disparitions sa dernière création à Chaillot, replongeons-nous dans le Lied Ballet de Thomas Lebrun, créé au Festival d'Avignon en 2014 et donné en cette fin mai au Théâtre de Cornouaille de Quimper. La pièce prévue à l'origine avec un ténor et un pianiste, un peu à l'image d'une de ses créations précédentes La Jeune Fille et la Mort pour un baryton et un quatuor à cordes, sera donnée ce soir-là pour la première fois en format concert, en raison de l'indisposition du chanteur. S'il est toujours plus appréciable de bénéficier de l'interprétation en direct, le passage à la musique enregistrée permet parfois de redécouvrir une pièce qui laisse ainsi plus d'espace à la danse.

Et d'espace il est fortement question dans le propos de cette pièce, qui s'interroge sur la dualité entre le populaire et l'élitisme, au travers du parcours divergent entre ces deux formes d'art, musical et chorégraphique, leur évolution dans la durée, le temps romantique et le temps actuel, et enfin la place accordée au classicisme dans l'art moderne. A cet effet le chorégraphe ne va pas hésiter à mélanger les genres en multipliant les références académiques ou à l'histoire de la danse, tout en scindant sa pièce en trois actes distincts chacun emprunt d'un époque et d'un style marqué.

L'espace scénique est très classique, où les voûtes en pierres du lieu de sa création laissent places à des tentures noires traditionnelles, mais le plateau central est mis en valeur par de longues colonnes cubiques qui l'entourent et lui redonnent l'aspect du Cloître des Carmes. Ce découpage de l'espace apporte un effet de sas aux entrées et sorties des interprètes parfaitement adapté au propos. Le jeu de lumière est lui aussi standard, avec une boucle de jardin à cour pour rythmer l'évolution du jour et quelques projecteurs verticaux pour figer les mouvements. Le tapis de danse est blanc pour accentuer encore plus le contraste entre clarté et obscurité.

Dans un ballet en trois actes, le premier laisse structurellement la part belle à la pantomime et à la présentation des personnages. Cette pièce reste dans cette veine, même si côté figuratif plus que narratif nous octroie une présentation des sentiments plus que de réels caractères. Sur une musique lancinante de Giacinto Sclesi Chukrum, se déploie une succession de photos de famille victorienne, prise dans des pose figées, en romantiques tenues noire, à dentelles fines et étoffes légères. L'essentiel du mouvement de cette première partie consiste à courir occuper une position sur le plateau et étirer une gestuelle excessivement lente et simpliste : bras qui se lève, corps qui se penche, bouche qui s'ouvre dans un long cri funèbre. Dans cette suite de tableaux picturaux et théâtraux, on décèle les thèmes principaux de l'art romantique tendance nervalienne : souffrance, folie et mort rodent sans cesse autour des membres de cette famille bourgeoise qui perd ses membres, en retrouve d'autres, mais aussi enferme, comme dans cette construction humaine mimant une maison de laquelle est effrayé de sortir une interprète, ou exclue, comme ces regards terribles portés à ceux qui prennent la liberté d'un chemin divergent. Le chorégraphe s'inspire d'une époque censément joyeuse, pour en extraire les failles, imperfections et douleurs. Révélées par les visages grimaçants, les corps torturés, mais aussi quelques détails des tenues : le caractère androgyne du short d'un interprète masculin, la dissymétrie des pans arrières de la petite robe noire d'une danseuse, comme si elle s'était trompée en la boutonnant. Ce détail qui cloche, cette noirceur, le caractère primaire de la gestuelle nous renvoie bien plus loin que l'époque victorienne figurée. Plus loin aussi qu'une réinterprétation de la nouvelle danse française, théâtrale et immobile, ou Brumachon pour l'aspect pictural, bien plus loin que certaines réminiscences sombres et strictes à la Cunningham, on pense à une forme de préhistoire, celle de la danse classique, et l'époque où le mouvement bouillonnait dans les corps et les âmes, mais n'avait pas encore été libéré par la codification. Pas l'once d'une virtuosité dans ce premier acte, mis à part dans l'engagement de l'interprétation tendue à l'extrême des danseurs, qui appelle un grand niveau d'écoute, et introduit efficacement l'acte suivant tout en accentuant le déséquilibre de l'essence du romantisme vers la morbidité au détriment du bonheur.

Mais après l'obscurantisme, viendra la lumière. Des tenues pour commencer, qui sans se départir de leur élégante légèreté virent au blanc ou au doré. L'homme vêtu en femme et la dissymétrie de la robe sont toujours présents pour rappeler la continuité, mais la transformation est radicale, comme dans cette reprise de la construction humaine du premier acte, de laquelle la danseuse sort cette fois mains tendues paumes ouvertes, vers une lumière profuse qui provient autant de la scénographie que des interprètes eux-mêmes. Radical changement aussi pour l'environnement musical, porté dorénavant par la douce beauté des orchestrations de Gustav Malher ou d'Alban Berg (les lieder du titre). Le passage à l'enregistrement permet de se concentrer sur la danse et sa musicalité et là encore la différence est radicale par rapport à la première partie. Reposant désormais sur des solos ou des pas de deux fondamentalement néo-classiques, le langage incorpore tout à ce qui a trait à l'académisme en danse : les positions, des jetés, des portés, des arabesques jusqu'à d'inattendus entrechats. Ces petites pastilles se télescopent avec une gestuelle plus contemporaine, pour un résultat qui fascine et qui enthousiaste évidemment tout amateur de danse. Mais la grande réussite de cette partie est d'avoir su créer une chorégraphie qui se suffit en elle-même, au-delà de ces bonbons sucrés qui finissent par interroger sur notre rapport au ballet classique aujourd'hui, qui se résume parfois à une vaine course à la virtuosité sportive ou à la perfection de lignes inertes. En choisissant d'ailleurs des compositeurs atonaux, comme Arnold Schönberg, Thomas Lebrun brise également la facilité d'un rendu juste joli pour appeler une réflexion sur les sources de plaisir et remettre au centre l'apport de l'individu, ici l'interprète. C'est effectivement en brisant la dés-harmonie familiale, et en choisissant la rupture avec le groupe qu'une danseuse initie cet acte, par un regard d'amour porté sur un danseur fascinant, poète à la tête totalement courbée sous le poids des maux, grande silhouette errante comme un cavalier sans tête et sans cheval, qui parcoure le plateau d'un pas digne de la créature de Frankenstein. Elle ne le rejoindra pas, mais un autre danseur pour un premier pas de deux émouvant, auquel succéderont trois autres couples pour une fluidité digne d'un ballet néo-classique, certes plus proche d'un Kylián pour la gestuelle des bras ou d'une Keersmaeker pour ces chutes à rebonds, quand elle chorégraphie, au hasard, sur Schönberg par exemple. Gracieux, aérien, et envoûtant, ce magnifique acte distille son plaisir intemporel, tout à la fois hors du temps et profondément en phase avec l'immédiateté du présent.

Las, notre marcheur noir aura beau écarter les bras et sourire à sa belle, elle se dérobera à lui, nous replongeant dans le noir absolu et le silence glacé. Une alcôve apparaîtra entre deux piliers du cloître, dans laquelle une danseuse abandonnera sa robe noire pour un surprenant justaucorps bleu canard. Puis rejointe par la meute des autres danseurs dans le même appareil, y compris les hommes pour imposer une vision d'uniformité absolue, ce groupe ordonné débutera une marche martiale et robotisée doublement tournante (l'ensemble et les danseurs sur eux-mêmes) assez hypnotique. Sur une composition musicale vrombissante de David François Moreau, très éloigné du lied romantique, cette scène finale offre un curieux mélange de vision futuriste et de pas ancestraux plus proches de la danse baroque électrifiée que des chorégraphies actuelles. En apparence répétitive la gestuelle et la progression évolue sans cesse, en accélération progressive, en dislocation pour essaimer sur tout le plateau ou en ruptures de direction. La couleur vive renvoie à notre société actuelle, portée par la publicité incitant au zapping incessant et de plus en plus rapide ne laissant plus le temps à l'art de s'inscrire dans la durée, pour finir par tourner en rond et n'aller nulle part. Référence assumée à Lucinda Childs, cet acte clôt brillamment ce parcours croisé dans le temps par une évocation d'une antique post-moderne qui n'a eu de cesse de dénoncer la société de consumérisme, qui altère les différences et nous enferme à nouveau dans de nouvelles prisons sociales.

L'interprétation des neufs danseurs est sans faille dans l'engagement et la précision. Même si leurs propositions gestuelles sont parfois très divergentes, elles oscillent toujours entre préservation de l'individualité et soin apporter à la transmission du langage originel du chorégraphe. L'interprétation du poète solitaire maudit de Matthieu Patarozzi est inoubliable, et on remarque également Maxime Camo ou Anne-Sophie Lancelin (la petite robe noire...), mais c'est Léa Scher qui symbolise le mieux ce ballet et en constitue le fil conducteur, en tant qu'interprète de la bascule entre les deux premiers actes, du premier solo et pas de deux du deuxième acte, du retour vers la noirceur en prenant la pose figée main sur l'œil (la photo de l'affiche du ballet) et enfin de la conduite du corps de ballet bleu électrique du troisième.

S'emparant de thèmes ambitieux, tant dans la forme que dans le fond, osant et harmonisant tous les mélanges, cette œuvre de Thomas Lebrun mérite amplement son succès avignonnais et de poursuivre depuis sa tournée. Plus qu'une pièce de danse moderne, un vrai ballet contemporain.


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haydn
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MessagePosté le: Dim Juin 26, 2016 10:28 pm    Sujet du message: Répondre en citant

La critique de Xavier Troisille est maintenant en ligne sur le site de Dansomanie :



    31 mai 2016 : Lied Ballet (Thomas Lebrun) à Quimper

      Après Avant toutes disparitions sa dernière création à Chaillot, replongeons-nous dans le Lied Ballet de Thomas Lebrun, créé au Festival d'Avignon en 2014 et donné en cette fin mai au Théâtre de Cornouaille de Quimper. La pièce prévue à l'origine avec un ténor et un pianiste, un peu à l'image d'une de ses créations précédentes La Jeune Fille et la Mort pour un baryton et un quatuor à cordes, sera donnée ce soir-là pour la première fois en format concert, en raison de l'indisposition du chanteur. S'il est toujours plus appréciable de bénéficier de l'interprétation en direct, le passage à la musique enregistrée permet parfois de redécouvrir une pièce qui laisse ainsi plus d'espace à la danse.

      Et d'espace il est fortement question dans le propos de cette pièce, qui s'interroge sur la dualité entre le populaire et l'élitisme, au travers du parcours divergent entre ces deux formes d'art, musical et chorégraphique, leur évolution dans la durée, le temps romantique et le temps actuel, et enfin la place accordée au classicisme dans l'art moderne. A cet effet le chorégraphe ne va pas hésiter à mélanger les genres en multipliant les références académiques ou à l'histoire de la danse, tout en scindant sa pièce en trois actes distincts chacun emprunt d'un époque et d'un style marqué.

      --> Lire la suite



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