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Un Héros de notre temps - Première au Bolchoï le 22/07
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haydn
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MessagePosté le: Jeu Juil 23, 2015 7:06 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Petit intermède nécrologique pour aller rendre hommage à des héros d'un autre temps, au cimetière de Novodevitchi, qui abrite les sépultures d'un grand nombre de célébrités civiles, politiques et militaires russes.

















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sophia



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MessagePosté le: Ven Juil 24, 2015 9:53 am    Sujet du message: Répondre en citant

La première d'Un Héros de notre temps dans le FT : "une adaptation novatrice mais inégale du roman de Lermontov".


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haydn
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MessagePosté le: Ven Juil 24, 2015 11:52 am    Sujet du message: Répondre en citant

Quelques mots sur la première d'Un Héros de notre temps au Bolchoï, avant le compte-rendu plus "officiel" de Sophia.

Je vais tout de suite m'inscrire en faux par rapport à la chronique du
Financial Times, qui estime que la partie la plus forte de la chorégraphie est réservée aux femmes ("The strongest choreography is reserved for women in the cast"). Personnellement, j'ai surtout vu ici un "ballet d'hommes" - où les rôles masculins prédominent largement, alors que les femmes sont plus ou moins réduites à jouer les utilités, pour ne pas dire les potiches (c'est le cas d'Ondine, dans la seconde partie, qui n'a presque rien à danser, et dont la fonction est principalement "décorative").

N'étant pas un spécialiste de littérature russe, je me garderai bien de juger de la fidélité de la chorégraphie envers le texte de Lermontov. Toujours est-il que les adaptations au ballet d’œuvres romanesques, qu'elles soient signées Cranko, MacMillan, Neumeier ou Possokhov, se heurtent au même écueil : l'incapacité intrinsèque de la danse à rendre la complexité psychologique des personnages et les subtilités de la narration (dans le cas d'Un Héros de notre temps, la difficulté est encore plus grande du fait de la non-linéarité temporelle du récit et de la simultanéité d'actions différentes). Tout le talent de chorégraphes, aussi géniaux soient-ils, ne peut surmonter l'obstacle : on demande ici à la danse d'aller au-delà de ses possibilités expressives fondamentales.

Ceci étant dit, pour Un Héros de notre temps, le Bolchoï a mis les petits plats dans les grands, avec une scénographie aussi onéreuse que soignée, une musique pour grand orchestre symphonique et solistes vocaux commandée spécialement et une distribution de grand luxe pour la première.

Le héros principal, Pétchorine, est interprété par trois danseurs différents - un par acte ou partie -, tous excellents : Igor Tsvirko, Artem Ovcharenko et enfin Ruslan Skvortsov. Les formidables capacités d'acteur et la présence scénique de ce dernier emportent l'adhésion, même si Tsvirko et Ovcharenko possèdent actuellement une technique supérieure. On regrettera tout de même le manque d'intelligibilité des intentions du chorégraphe : le but est évidemment de montrer des aspects différents du caractère, de la psychologie de Pétchorine, mais les oppositions, les lignes de fracture ne sont pas tracés de manière suffisamment nettes pour être toujours compréhensibles.

Chez les dames, on se régale de la Véra époustouflante de Kristina Kretova. Elle vole quasiment la vedette à Svetlana Zakharova (qui cède d'entrée à son péché-mignon du Six O'Clock, histoire de nous rappeler que Sylvie Guillem n'est pas la seule à pouvoir se gratter l'oreille avec le plateau de son chausson) et à l'incandescente Ekaterina Shipulina, un peu sous-employée malheureusement.

Sur le plan de la scénographie, le ballet a des aspects de "collage", chaque acte/partie étant d'un style très différent : pièce de genre, avec danses de caractère empruntées au 19ème siècle, histoire de nous rappeler que nous sommes bien dans le Caucase au I, commandos New Age descendus d'un échafaudage et s'ébaubissant sur une jetée d'on ne sait quel port post-glaciation nucléaire au II, et, enfin, ambiance de caserne de la fin de l'époque impériale au III, le tout pimenté de quelques agrès de gymnastique décalés, créant une curieuse ambiance de sado-masochisme et de perversion, encore accrue par l'entrée des danseurs en fauteuil roulant. Il ne faut d'ailleurs pas se méprendre sur le sens de la présence de ces (authentiques) estropiés. Le propos n'est pas ici de "banaliser", de normaliser le "handicap" - la Russie ne s’embarrasse pas de "politiquement correct" de ce genre : il s'agit plutôt d'évoquer les meurtrissures de la guerre, et ces remarquables interprètes jouissent d'une grande popularité auprès du public, dans la mesure ou ils sont, eux, d'authentiques héros perpétuant la mémoire des soldats tombés en Afghanistan, en Tchétchénie, ou même lors de la "Grande guerre patriotique" de 1941-1945, encore dans toutes les mémoires du fait des souffrances inimaginables qu'avaient alors endurées les citoyens de feu l'URSS.

L'esprit du collage est aussi présent dans la partition musicale, qui n'a pas vraiment d'unité de style. On passe sans transition des slap tones de clarinette basse chers aux néosérialistes à une parodie de danses folkloriques d'Asie centrale. Dans la première partie - qui s'ouvre sur une quasi-citation de Boris Godounov -, la mezzo ("mezzo mezzo") Svetlana Shilova entonne une mélodie si russe qu'elle aurait pu être écrite par Tchaïkovski lui-même. Dans la seconde, un violoncelle solo (Boris Lifanovski) joue, sur scène, un motif qui rappelle de manière obsédante les premières mesures du 2ème concerto pour piano de Brahms, le tout sur fond de fracas d'orchestre dans le goût soviétique, époque Chédrine. Dans la troisième partie, c'est la Polonaise d'Eugnène Onéguine qui sert d’accompagnement à l'un des rares ensembles mixtes - et à grand effectif - de l'ouvrage, bal improbable dans un lieu qui l'est tout autant, caserne, hôpital psychiatrique, on ne sait plus trop. Comme au début, une place est faite au chant avec, pour moi, la découverte de la très belle soprano arménienne Nina Minasyan, toute fraîche émoulue du conservatoire, et à l'aube d'une prestigieuse carrière internationale qui la conduit déjà sur les plus grandes scènes lyriques depuis quatre ans.

Ilya Demutsky est un jeune compositeur de talent, très en vue actuellement en Russie, et son professionnalisme ne fait pas de doute. On a ici affaire à un vrai musicien, et non à l'un de ces trop nombreux imposteurs qui sévissent notamment dans la musique de ballet. Mais le caractère hétéroclite de la partition - il est vrai plus ou moins contrainte par l'argument - est aussi révélateur de la difficulté des compositeurs d'aujourd'hui - en Russie ou ailleurs - à se forger un style vraiment homogène. Depuis la seconde Ecole de Vienne, on exige des créateurs qu'ils inventent presque à chaque génération un nouveau langage, et cette course effrénée à l'inédit conduit finalement au tarissement, ou du moins à la dispersion de l'inspiration.



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sophia



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MessagePosté le: Ven Juil 24, 2015 5:10 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Je vous parlerai aussi dans mon compte-rendu de la seconde distribution, à mon avis globalement bien moins convaincante que la première, si ce n'est pour le couple Lopatin / Stashkevitch dans la dernière partie, "Princesse Marie". Ces deux-là n'ont certes pas tout à fait le charisme de la paire Skvortsov / Zakharova (même si, comme beaucoup, je préfère Kretova, remarquable et nettement plus expressive dans le rôle de Vera), mais se prêtent admirablement au style néo-classique de Possokhov, sans parler de la qualité de danse de Lopatin, proprement extraordinaire. Deux soirées et deux rôles (Yanko > Pétchorine) complètement différents, dans lesquels il se révèle tout aussi brillant. Pour le reste, un ballet qui, s'il laisse un certain nombre de questions en suspens (concernant le héros, et sa construction, en particulier), ne laisse certainement pas indifférent.


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sophia



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MessagePosté le: Ven Juil 31, 2015 11:23 am    Sujet du message: Répondre en citant

Un Héros de notre temps
Ballet du Bolchoï
Moscou, Théâtre Bolchoï
22 & 23 juillet 2015


Les sujets littéraires « nationaux » constituent une source d'inspiration pérenne pour le ballet russe, régulièrement en quête d'une identité propre. Un Héros de notre temps offre à cet égard un terrain d'exploration de choix pour un chorégraphe. Le roman de Lermontov, connu de tous, revêt une importance quasi-patrimoniale dans la culture russe et son personnage principal, Pétchorine, archétype du dandy romantique désabusé et cynique, possède a priori les qualités pour faire un héros de drambalet passionnant, a fortiori dans une compagnie comme le Bolchoï, qui ne manque pas de brillantes individualités masculines. Son donjuanisme constitutif – le désir pulsionnel de conquêtes féminines qui l'anime – semble ainsi particulièrement propice aux développements dramatiques et à la construction de caractères féminins bien trempés, aux contours variés, inspirés des figures forgées par le romantisme. Le cadre oriental du récit, ce Caucase obsessionnel qui sonne tout à la fois comme un rêve et un cauchemar pour les Russes, est par ailleurs riche de potentialités imaginaires, que l'histoire du ballet a su exploiter à maintes reprises - pensons seulement à La Fontaine de Bakhtchissaraï ou à la Légende d'amour pour l'époque soviétique.

Ce roman-culte n'en représente pas moins un défi en termes d'adaptation scénique et l'on peut au fond comprendre qu'un chorégraphe ne se soit pas saisi plus tôt du sujet. Youri Possokhov, à qui Serguei Filine avait passé commande du ballet il y a déjà plusieurs années de cela, avait d'ailleurs souhaité initialement adapter Guerre et Paix (un autre défi de taille!) avant que son choix ne se porte sur Un Héros de notre temps, roman préféré du metteur en scène Kirill Serebrennikov, dont le chorégraphe a voulu s'adjoindre les services pour l'occasion. Le récit de Lermontov, délibérément fragmentaire, échappe en effet à la linéarité classique et offre un portrait discontinu de Pétchorine, évoqué successivement par un narrateur extérieur, puis par lui-même, par le biais de son journal intime. La création de Possokhov et Serebrennikov, tout en proposant une vision actualisée du roman, ancrée dans une modernité indéniable mais à vrai dire bien tempérée (malgré l'image avant-gardiste de Serebrennikov, auteur de mises en scène d'opéra jugées sulfureuses par les autorités), ne cède pas pour autant au syndrome du ballet impressionniste, dépourvu de pittoresque ou déconnecté d'une narration.

Du roman, les deux compères retiennent, de manière plutôt fidèle, les trois « nouvelles » principales – « Bela », « Taman » et « Princesse Mary » -, chacune étant confiée à un interprète différent : trois Pétchorine pour le prix d'un, voilà un luxe que seul le Bolchoï peut se permettre! Introduites par un monologue parlé, puis dansé, du héros, les trois « actes » fonctionnent comme trois « moments » distincts de la vie de garnison de Pétchorine, qui pourraient presque s'envisager comme trois ballets autonomes, si l'épilogue ne réunissait finalement, dans un chœur étrange, les trois Pétchorine, avatars scéniques d'un même anti-héros. L'idée n'est ainsi pas tant de livrer un portrait exhaustif, voire de montrer une hypothétique évolution de Pétchorine, qui se construirait progressivement à travers les tableaux successifs, que de proposer trois lectures possibles du personnage dans sa confrontation compulsive et destructrice avec des femmes d'origines et de natures très différentes. La musique d'Ilya Demoutsky, faite d'un collage de références et de clins d’œil à la tradition symphonique et lyrique (la partition est à la fois orchestrale et vocale), joue du reste de cette discontinuité en conférant aux différents tableaux une atmosphère sonore particulière, emblématisé chacun par un instrument (la clarinette pour le I, le violoncelle pour le II, le piano et le hautbois pour le III). Si le ballet tend à évacuer quelque peu l'ambivalence et la profondeur trouble de Pétchorine, en se contentant de jouer, magnifiquement il est vrai, avec la virtuosité bondissante caractéristique des danseurs du Bolchoï, les figures féminines ont quant à elles droit à des partitions bien mieux individualisées. C'est là que réside peut-être le paradoxe du ballet et que se glisse cette ironie, essentielle au romantisme de Lermontov (le titre de l’œuvre n'est jamais qu'une antiphrase), que la danse n'a guère les moyens de traduire : apparemment centré autour d'une figure masculine, écrit en partie pour exalter l'énergie et la bravoure du corps de ballet masculin, ce sont les femmes, victimes de ce diable de Pétchorine, qui en apparaissent in fine comme les authentiques héroïnes.

Bela

Ecoute, prononça d'une voix ferme Azamat. Tu vois, je me résous à tout. J'enlèverai ma sœur pour toi, veux-tu? Comme elle danse! Comme elle chante! Et ses broderies d'or, une merveille! Le padishah turc ne possède pas de femme pareille...

Bela est une jeune Tcherkesse, désirée, puis délaissée par Pétchorine, et finalement tuée par Kazbitch, le brigand Caucasien. Au lever du rideau, elle apparaît étendue à terre, enveloppée dans un linceul, tandis que, des hauteurs du décor, s'élève l'Allahou akbar du muezzin. Image du pouvoir destructeur de Pétchorine, de la fatalité qui le poursuit aussi, c'est la mort qui ouvre les débats, comme une nécessité. Le pittoresque exotique, souvent prétexte à une flamboyance visuelle stéréotypée, est dans le même temps ouvertement mis à distance par une scénographie mobile, en clair-obscur, à la géométrie abstraite, quasi-constructiviste. L'orientalisme tant désiré ressurgit néanmoins à travers certains signes, lourdement suggestifs : les voiles lourds dont est affublée l'héroïne, évocateurs d'un Islam rigoriste (et par trop actuel?), son costume chatoyant de bayadère, sa gestuelle serpentine de fière odalisque. Les références culturelles sont multiples et, à vrai dire, bien éloignées du Caucase. Ainsi, Bela aux yeux noirs, « pareils à ceux du chamois » selon Lermontov, apparaît-elle plutôt comme l'image idéalisée d'une nature simple, primitive et naïve, que le soldat Pétchorine tente de domestiquer, en l'habillant d'un tutu rose et en éprouvant en quelque sorte sa « russité » au travers de quelques exercices à la barre, en maître de ballet d'un nouveau genre. En contrepoint, les hommes en noir et en toques de fourrure, menés par Kazbitch, incarnent, avec leurs danses d'inspiration très « Ballets Moïsseïev » (autrement plus probantes que celles de La Source!), un Orient des montagnes, un Orient guerrier, un Orient qui fait peur. Les oppositions, parfaitement conventionnelles, ne sont ici que le reflet de l'imaginaire romantique à l’œuvre dans le roman.

Igor Tsvirko, premier Pétchorine de la création de Possokhov, réussit à gommer son image de jeune homme solaire et éminemment sympathique pour camper un Pétchorine hautain, dont le désir de conquête transparaît dans l'énergie et l'aisance arrogantes qu'il imprime à sa danse. Son personnage, plus militaire fougueux que dandy spleenétique, ne manifeste pas le moindre signe de tendresse envers Bela - un désir brutal plutôt -, là où, dans la deuxième distribution, Mikhaïl Loboukhine campe un personnage certes violent, mais sans doute plus ambivalent et tourmenté. Olga Smirnova, de retour après un interminable arrêt pour blessure, prête ses déhanchés souples et ses bras merveilleux de danseuse pétersbourgeoise à la chorégraphie orientalisante de Possokhov. Par-delà la plasticité fascinante de sa danse, on retient le mystère et l'intensité émotionnelle qui imprègnent chacun de ses mouvements, que ce soit en solo ou en duo. Il est bien dommage que, de tous les rôles féminins, ce soit finalement le moins développé. Dans le même rôle, Maria Vinogradova, malgré une technique impeccable, pâtit de la comparaison avec Olga Smirnova, notamment en ce qui concerne le travail des bras et du haut du corps, loin de posséder la même sophistication. Son interprétation tend par ailleurs à réduire Bela à une sensualité de convention - à la Shéhérazade. Prime encore à la première distribution pour le personnage de Kazbitch, interprété par l'excellent Alexandre Smoliyanninov, présence sombre, énigmatique, à la danse puissante.

Taman

Quel être étrange! Nul signe de démence sur son visage. Au contraire, ses yeux s'arrêtaient sur moi avec une pénétration délurée, et ces yeux paraissaient doués d'une sorte de pouvoir magnétique, et chaque fois ils semblaient attendre une question. Mais à peine essayais-je de parler qu'elle s'enfuyait avec un sourire perfide.

Taman est le nom d'un port situé au bord de la Mer Noire, dépourvu du moindre attrait, où débarque Pétchorine avant son départ pour le Caucase. Si le premier acte conserve une narration ténue et assez littérale, avec des rapports de force clairement dessinés entre les personnages, le second présente un caractère plus onirique et impressionniste. La scène, plongée dans une inquiétante obscurité, découvre une barque échouée au bord de l'eau, des échafaudages très post-modernes - un décor de fin des temps d'où surgissent d'étranges créatures : un jeune homme aveugle, une grotesque Mère Gigogne, qui « accouche » de Yanko le contrebandier, une femme en rouge, aux allures de femme fatale, ironiquement appelée Ondine. Coincé entre les aventures avec Bela et celles avec la Princesse Mary, ce tableau, installé dans un non-lieu – un lieu de passage –, se déploie comme une vision fugitive, un rêve vite dissipé, qui donne à voir un Pétchorine moins conquérant sans scrupule que victime passive de l'odor di femina, dans la lignée directe des Don Juan romantiques. Ondine est l'appel des sens, la séductrice au charme vénéneux, la Sphynge ailée aux pouvoirs mortifères, mais elle est aussi la créature idéale, inaccessible - le Cygne - que Possokhov cite de manière très littérale dans sa chorégraphie.

Dans le rôle du second Pétchorine, Artem Ovcharenko séduit sans doute davantage par son allure noble et sa danse à la virtuosité éblouissante, que par son interprétation, un peu lisse, un peu en retrait, qui évoque davantage le James de La Sylphide qu'un Don Juan byronien. De ce point de vue, Vladislav Lantratov offre un personnage plus âpre et inquiétant. La première distribution l'emporte toutefois largement grâce aux autres caractères. Longue chevelure blonde au vent, Ekaterina Shipoulina, qui jadis fut l'interprète de la Cendrillon du même Possokhov, apparaît parfaitement dans son élément dans ce rôle de vamp aussi sensuelle qu'irréelle, là où Maria Alexandrova dessine une créature agressive, dont « l'effeuillage » prend des allures par trop triviales pour être honnêtes. Dans le rôle de Yanko, Viacheslav Lopatine, dont on connaît les qualités de danseur classique, déploie une plastique à la fluidité très contemporaine – un petit miracle de légèreté et de puissance féline. Le jeune Gueorgi Goussev, bondissant comme un elfe, semble directement marcher sur ses pas.

Princesse Mary

La jeune portait une robe gris de perles, une écharpe de soie légère flottait autour de son cou gracile. Des bottines couleur puce serraient si joliment à la cheville son petit pied maigre que même celui qui n'aurait pas été initié aux mystères de la beauté aurait sans aucun doute eu un « ah ! » d'étonnement. Sa démarche légère mais noble avait quelque chose de virginal impossible à définir, mais évident aux regards. Lorsqu'elle passa devant nous, il s'exhala d'elle cet arôme indéfinissable que répand parfois la lettre d'une femme aimée.

L'ultime tableau est de loin le plus complexe et le plus dramatique – un ballet en soi, non dépourvu de longueurs, où Pétchorine se retrouve confronté non plus à une, mais à deux figures féminines : Véra, la femme jadis aimée et désormais mariée à un autre, et la Princesse Mary, une héroïne « blanche », sorte de Giselle moderne, victime de son pouvoir fatal au point d'en perdre la raison. A l'intrigue sentimentale vient se greffer une intrigue d'honneur entre hommes, celle qui oppose Pétchorine et Grouchnitski et s'achève fatalement dans une scène de duel, ce grand classique de la littérature russe depuis Pouchkine. Ce tableau est aussi le prétexte à davantage mettre en valeur le corps de ballet – filles et garçons confondus - dans des scènes, devenues de véritables lieux communs chorégraphiques, de cours de danse ou de bal. La présence de danseurs en fauteuil, touche réaliste apportée à un ballet ancré dans l'histoire militaire russe, parvient même à ne pas paraître incongrue et à s'insérer naturellement dans l'action dramatique. Si le cadre narratif est censé être celui d'une ville d'eau où l'aristocratie impériale vient soigner son mal-être, le tableau, littéralement enfermé dans une caserne militaire aux murs de bois blanc, en pointe plutôt l'atmosphère carcéral et décadente, emblématisé par des agrès gymniques, au parfum quelque peu sado-masochiste, et un meneur de jeu au charme très pervers, interprété par le revenant magnifique Guennadi Yanine.

La première distribution brille avant tout par le charisme écrasant et très homogène de ses interprètes. Rouslan Skvortov, s'il n'a plus tout à fait la technique affûtée de Tsvirko ou Ovcharenko, séduit par sa présence dramatique en Pétchorine, s'affirmant sans doute comme le plus complexe des trois – privilège de l'âge et de la maturité sans doute. Denis Savine, imposante silhouette en long manteau gris de soldat, lui donne une réplique époustouflante en Grouchnitski – voilà un acteur comme on a peu l'occasion d'en croiser dans le monde du ballet. Svetlana Zakharova, au jeu plus prévisible, n'en est pas moins une réponse idéale aux mots de Lermontov décrivant Mary. C'est néanmoins Kristina Kretova, soubrette soudain métamorphosée en longue dame en noir de mélodrame, qui étonne le plus ici par son sens théâtral et la finesse néo-classique de sa danse. La seconde distribution paraît nettement plus déséquilibrée en regard de la première, avec Daria Bochkova et Artemy Belyakov, deux jeunes danseurs certes méritants, mais encore un peu verts pour les rôles de Véra et Grouchnitski. En revanche, Anastasia Stashkevitch et Viacheslav Lopatine, s'ils n'ont pas le charisme de Zakharova et Skvortsov dans les mêmes rôles, prouvent une nouvelle fois, plus encore que leur entente scénique, leur merveilleuse capacité à se fondre dans ce répertoire néo-classique qui envahit désormais le Bolchoï comme les autres scènes internationales. Au sein de ce vaste répertoire, qui n'échappe certes pas aux conventions et aux clichés, le ballet de Possokhov, pour déroutant qu'il soit à première vue, parvient à « donner de la voix » - une voix russe qui parle à notre temps. Gageons qu'à l'instar du roman de Lermontov, ce ballet n'ait pas fini de livrer tous ses mystères.


Les citations sont tirées de la traduction de Boris de Schloezer du roman de Lermontov (Paris, Gallimard, 1973, rééd. Folio, 1998)


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sophia



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MessagePosté le: Sam Aoû 01, 2015 11:06 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Une interview en anglais de Youri Possokhov, illustrée de quelques belles photos de répétition (Shipulina et Ovcharenko au top!), dans Dance Magazine.


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haydn
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MessagePosté le: Dim Aoû 02, 2015 9:31 am    Sujet du message: Répondre en citant

La critique de Sophia est maintenant en ligne sur le site de Dansomanie, avec les illustrations ad-hoc :





    22 et 23 juillet 2015 : Un Héros de notre temps (Youri Possokhov) au Bolchoï (Moscou)


      Les sujets littéraires «nationaux» constituent une source d'inspiration pérenne pour le ballet russe, régulièrement en quête d'une identité propre. Un Héros de notre temps offre à cet égard un terrain d'exploration de choix pour un chorégraphe. Le roman de Lermontov, connu de tous, revêt une importance quasi-patrimoniale dans la culture russe et son personnage principal, Pétchorine, archétype du dandy romantique désabusé et cynique, possède a priori les qualités pour faire un héros de drambalet passionnant, a fortiori dans une compagnie comme le Bolchoï, qui ne manque pas de brillantes individualités masculines. Son donjuanisme constitutif – le désir pulsionnel de conquêtes féminines qui l'anime – semble ainsi particulièrement propice aux développements dramatiques et à la construction de caractères féminins bien trempés, aux contours variés, inspirés des figures forgées par le romantisme. Le cadre oriental du récit, ce Caucase obsessionnel qui sonne tout à la fois comme un rêve et un cauchemar pour les Russes, est par ailleurs riche de potentialités imaginaires, que l'histoire du ballet a su exploiter à maintes reprises - pensons seulement à La Fontaine de Bakhtchissaraï ou à La Légende d'amour pour l'époque soviétique.

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MessagePosté le: Mar Aoû 18, 2015 11:02 am    Sujet du message: Répondre en citant

Une vidéo mise en ligne par le Bolchoï que j'avais omis de signaler :



Le ballet est repris fin novembre au Bolchoï.


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MessagePosté le: Sam Sep 26, 2015 2:51 pm    Sujet du message: Répondre en citant

C'est la rentrée et, donc, le retour de Bilet v Bolshoi sur TVKultura, qui nous propose un reportage sur la création d'Un Héros de notre temps, en juillet dernier :



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MessagePosté le: Mer Nov 11, 2015 10:02 am    Sujet du message: Répondre en citant

Plusieurs débuts sont annoncés à l'occasion de la reprise d'Un Héros de notre temps à la fin du mois, en l'occurrence pour la matinée du 28/11. Comme on sait, le héros, Pétchorine, est incarné par un interprète différent dans chacune des parties.

Première partie ("Bela") : Denis Rodkin (Pétchorine), Ana Turazashvili (Bela), Alexandre Vodopetov (Kazbitch)
Deuxième partie ("Tamar") : Artemy Belyakov (Pétchorine), Olga Marchenkova (Ondine)
Troisième Partie ("Princesse Mary") : Andreï Merkuriev (Pétchorine), Anna Tikhomirova (Vera), Alexandre Petukhov (un Monsieur)


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MessagePosté le: Dim Avr 17, 2016 10:31 am    Sujet du message: Répondre en citant

Un Héros de notre temps a reçu hier soir le Masque d'Or (Oscars du théâtre en Russie, remis au Théâtre Stanislavsky) du meilleur ballet.
Ilya Demutsky, qui en a composé la musique, a reçu de son côté le Masque d'Or du meilleur compositeur.
En revanche, pour les artistes de ballet, ce sont deux danseurs du Ballet Eifman, Lyoubov Andreeva et Oleg Gabishev, qui ont été récompensés pour leurs prestations dans Up & Down, devant Vichneva, Alexandrova, Smirnova ou Shipulina.


Viacheslav Lopatin, Ekaterina Shipulina, Olga Smirnova, Vladislav Lantratov, interprètes d'Un Héros de notre temps


Ilya Demutsky, compositeur de la musique d'Un Héros de notre temps


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