Manon [ONP Garnier 20/04 - 20/05/2015]

[Jonquille]

Pour ma part j'avais compris que Dupont remplaçait Vayer qui remplaçait Hilaire...

[haydn]

Oui, mais Benjamin Pech s'est rajouté en "intérimaire" entre Clotilde Vayer et Aurélie Dupont...

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[JMJ]

J’étais à cette soirée d’adieux d’Aurélie Dupont, par cinéma interposé. J’ai découvert à cette occasion ce ballet de MacMillan et je trouve les critiques ici trop sévères sur ce ballet. C’est un style de danse théâtrale qui a tout à fait sa place à mon sens à l’Opéra de Paris.
D’abord la musique. C’est de la musique de genre comme on pouvait en composer au mètre à l’époque de Massenet. Sans grande imagination et jamais enthousiasmante, celle-ci est plutôt bien écrite et parfois jolie. Les arrangements visaient sans doute notamment à homogénéiser l’orchestration.
Dire qu’elle est adaptée au ballet est une première question. On a souvent l’impression que les pas de Macmillan auraient pu convenir à n’importe quelle musique. Il fallait sans doute rappeler l’opéra d’une manière ou d’une autre.
Le plus gros reproche que je ferais c’est qu’on ne pense à aucun moment au roman de l’abbé Prévost. On ne retrouve ni le style, ni l’atmosphère, ni même la trame narrative qui n’est que grossièrement suivie. En particulier on ne s’intéresse jamais au destin du chevalier des Grieux, qui est en dépit des apparences le personnage central du roman. Et ce n’est pas seulement dû je pense à l’interprétation de Roberto Bolle.
La chorégraphie est intéressante. J’aime bien cette interaction constante des solistes avec le corps de ballet qui ne distrait pas de l’essentiel mais participe de la présentation générale.
C’est de la danse qui réclame de l’exacerbation où il ne faut pas avoir peur d’exagérer, aussi bien dans les mouvements que dans l’expression des sentiments, comme dans le duo final. Dans ce sens la vulgarité affichée ne me gêne pas. Il y a de quoi construire un personnage et cela plait forcément aux danseurs.
Au total j’ai passé une bonne soirée malgré les réserves.

[sophia]

Les distributions de jeunes danseurs se suivent... et ne se ressemblent décidément pas.

Revenons aux présentations. Sur l'ultime représentation de Manon, trois danseurs étaient programmés pour faire leurs débuts : Dorothée Gilbert, étoile confirmée, dans le rôle de Manon (débuts qu'elle avait légèrement anticipés avec un autre partenaire, Josua Hoffalt), Hugo Marchand (Des Grieux), membre le plus brillant et/ou intéressant de la jeune garde opératique, et François Alu (Lescaut), n'entrant déjà plus dans la catégorie "jeunes danseurs". Cette pratique un peu curieuse viserait-elle à maintenir l'intérêt de l'habitué de l'Opéra jusqu'au bout? Je ne suis pas sûre pour ma part que j'aurais repris une place pour le ballet (je n'ai vu que la distribution Pagliero / Hoffalt et m'en suis très bien portée) avec une distribution "de routine".

La précédente distribution (Pagliero / Hoffalt) avait été fort bonne, celle-ci fut enthousiasmante, avec une entrée en matière certes un peu étrange et laborieuse, mais in fine un véritable crescendo dans l'engagement dramatique et l'émotion, parvenue à son apogée au tomber du rideau. Le premier acte en réalité aurait pu s'appeler Lescaut, tant François Alu m'a semblé y régner en maître. Maître de sa variation, déchaînant aussitôt quelques cris de "groupies hystériques" (bien localisés), mais aussi et surtout maître de la scène et maître du jeu. C'est un phénomène assez inexplicable, il aimante le regard, on le suit, il agit, interagit, il se passe toujours quelque chose. Qui dira l'importance déterminante d'une entrée dans un ballet? Dorothée descend de sa calèche - ravissante, simple, fraîche et par-dessus-tout naturelle - et l'on sait d'emblée qu'elle va nous plaire, qu'on va croire à son histoire. A ce moment-là, on ne voit pas encore beaucoup Des Grieux. Certes, Hugo Marchand est un superbe danseur, doté d'un physique impressionnant - quoique atypique à l'Opéra - et que l'on remarque immanquablement au sein du corps de ballet, mais il semble là quelque peu effacé, comme perdu dans une méditation au milieu de cette foule papillonnante. Le duo de la chambre confirme un certain déséquilibre dans le couple. Le jeune danseur, très concentré sur la chorégraphie, déploie des lignes splendides, avec des retirés bien dessinés et des arabesques bien hautes comme la chorégraphie de MacMillan les aime, doublées d'un merveilleux sens lyrique, mais reste trop passif ou trop timide dans l'échange, comme paralysé dans le jeu (ou par l'enjeu). Curieuse sensation alors de voir une Manon qui semble en quelque sorte frétiller pour deux. L'amour pur est éclipsé par la sensualité perverse de la fin de l'acte, magnifiquement portée par le trio réunissant Manon, Lescaut et Monsieur de G.M., campé par un excellent Aurélien Houette.

Le second acte élève considérablement le niveau du jeu de nos deux héros. Dorothée Gilbert ne paraît pas surdistribuée par l'équipe de direction actuelle et l'on avait oublié, après un Etudes de début de saison pas inoubliable, à quel point sa danse était belle et fluide, à quel point elle donne l'impression de constamment glisser sur la scène. Mais ce n'est pourtant pas à une démonstration de virtuosité qu'elle nous invite, ou bien cette virtuosité est-elle toujours mise au service d'un personnage qui n'est jamais un monolithe et en qui l'on devine bien plus qu'une séductrice de salon. En elle se conjuguent à la fois le plaisir de dominer et la peur, le goût de la sensualité et l'ennui - avec "son oeil chargé d'un pleur involontaire". C'est là aussi que son partenaire se met à exister véritablement, à devenir ce qu'il doit être, un personnage engagé dans le combat amoureux, déchiré par sa passion pour Manon. Sa danse est précautionneuse, mais ample, virile et expressive, surtout, elle n'est jamais fade, maniérée ou scolaire, comme peut l'être - trop souvent encore - celle de nombre de ses pairs "élus". En miroir inversé des deux héros, Lescaut et sa maîtresse composent un duo extrêmement réussi. Alu assume l'excès grotesque de son personnage et convie dans son joyeux numéro une Muriel Zusperreguy qui se départit enfin de son allure par trop policée. On n'avait jamais réalisé auparavant à quel point ce tableau avait finalement, avec ses actions simultanées et ses passions exacerbées, quelque chose de cinématographique dans sa mise en scène. Avec ce quintette d'interprètes, entouré d'un corps de ballet féminin libéré, qui y fait montre au passage d'un charme bien leste, cela devient un véritable petit bijou naturaliste, où se côtoient, au sein d'un même milieu - demi-monde avant l'heure -, le stupre et la misère, la gloire et la déchéance.

Le troisième acte et son abominable bayou enfumé aux lianes pendouillantes comme des asperges sauvages réalisa l'apothéose attendue dans l'émotion. Yann Saïz, Geôlier d'une souveraine perversité, nous met Dorothée Gilbert à terre comme - à vrai dire - on ne l'a jamais vue, et cette fois, ce n'est plus du cinéma. L'ultime pas de deux, avec ses portés acrobatiques et chirurgicaux, réussit même dans la foulée à être déchirant. Des Grieux, complètement libéré, est criant de vérité dans l'expression de la douleur. Manon, errante et amaigrie dans ses haillons, a l'air d'une Dame aux camélias à l'agonie, et quand son bien-aimé se jette une dernière fois sur son corps pour la ranimer, on la croit vraiment morte.

[Joelle]

J'y étais et j'ai adoré également !
Sur les 3 distributions que j'ai pu voir, je pense que Dorothée Gilbert a été la plus émouvante.

H. Marchand a montré beaucoup d'expressivité et on croyait dur comme fer à son Des Grieux pantelant, tâchant de ranimer Manon dans le dernier acte.

Les pirouettes (et les bonds) de Mr Alu ont encore dépassé mes espérances, et il a réussi à faire rire la salle dans son rôle de Lescaut ivre.

A noter que de vifs applaudissements (internes ONP) ont retenti derrière le rideau, une fois que celui-ci fut retombé...

[sophia]

Cela arrive souvent après des débuts dans un premier rôle.

[paco]

[sophia]

Disons que j'ai mêlé dans la même phrase la posture du personnage, qui n'est pas du tout hors-sujet en effet (après tout, dans le roman de l'abbé Prévost, que MacMillan ne respecte pas beaucoup, Des Grieux est un jeune premier de la classe et devient plus tard séminariste), et la présence de l'interprète, plus problématique, dans un tableau clairement dominé par Alu à mon sens. C'était de la méditation plus passive qu'active, si je puis dire.

[sophia]

Dorothée Gilbert et Hugo Marchand redanseront un peu de Manon au gala des Benois de la danse au Bolchoï le 27 mai, comme je l'ai signalé dans le fil sur les Benois.

[sophia]

François Alu dans la variation de Lescaut (acte I) :

[Joelle]

On en redemande !!!

[PAVLOVA]

Merci Sophia pour cette vidéo, un régal.