sophia
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Posté le: Sam Nov 12, 2016 6:12 pm Sujet du message: |
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Gala de clôture du Prix Vaganova (29 octobre)
On ne le sait peut-être pas, mais des artistes du calibre d'Ouliana Lopatkina, Svetlana Zakharova, Olessia Novikova, Evguénia Obraztsova, Léonide Sarafanov ou Vladimir Shklyarov – pour n'en citer que quelques-uns – ont jadis, à l'aube de leur carrière frémissante, été couronnés par le Prix Vaganova. Fondé en 1988, un temps fondu et remplacé par le Grand Prix du Mikhailovsky, ce Prix, dans son esprit et ses modalités originels, n'avait pas eu lieu depuis dix ans. Dans le sillage de la médiatisation nouvelle de l'Académie de Ballet Russe – du nom d'Agrippina Vaganova –, Nikolaï Tsiskaridze, son recteur, souhaitait, suite à la demande du ministère de la culture russe, ressusciter cette prestigieuse compétition, qui, si le rythme en est rigoureusement respecté (cela n'a pas été forcément le cas par le passé), doit se tenir tous les deux ans à Saint-Pétersbourg – la ville-ballet, la ville du ballet par excellence.
La compétition, ainsi que le proclame le règlement, s'adresse non seulement aux élèves de l'Académie Vaganova, présents, il est vrai, en très grand nombre, mais aussi à tous les jeunes danseurs professionnels du monde entier. Ainsi retrouvait-on cette année, aux côtés des élèves de l'ARB et de quelques autres écoles de ballet russes (Moscou, Novossibirsk, Oulan-Oude, Saratov, Voronezh...), une poignée de candidats venus d'Ukraine, de Biélorussie, du Japon, de Corée, de Mongolie, des États-Unis, de Pologne, de Croatie, de Finlande ou de Norvège, dont on peut toutefois imaginer qu'ils suivent, ou ont suivi, à peu près tous un cursus de type Vaganova (les classes publiques, partie intégrante de la compétition, étaient, pour les filles, celles d'Agrippina Vaganova, et, pour les garçons, celles de Vladimir Ponomarev, rédigées dans les années 50 et compilées par Ilya Kouznetsov). Un certain nombre de candidats étrangers sont, du reste, eux-mêmes élèves de la célèbre école de la rue Rossi, tels les Américains Justin Valentine et Nikita Boris (couronnée du prix du public), recrutés par Nikolaï Tsiskaridze à New York l'année dernière lors de la compétition Valentina Kozlova, ou le Britannique Oscar Frame, aperçu en 2015 au Prix de Lausanne. Au total, pour cette renaissance, encore un peu timide, de la compétition, 55 candidats étaient en lice - dont une majorité écrasante de filles -, répartis en trois groupes : un groupe junior mêlant filles et garçons (à partir de 14 ans), deux groupes de filles : les 15-17 ans et les autres (jusqu'à 26 ans). La compétition, étalée sur cinq jours, comprenait, avant la finale, deux tours éliminatoires, au cours desquels les candidats devaient présenter une variation différente. Le premier tour se déroulait dans les studios de l'Académie Vaganova, le second, ainsi que la finale, sur la scène du mignon petit Théâtre de l'Hermitage, la remise des prix et le gala de clôture enfin sur celle, glorieuse, du Mariinsky. Un voyage très symbolique! Le jury, qui mêlait personnalités du ballet russe (Zhanna Ayoupova, directrice de l'Académie de Ballet Russe, sise à Saint-Pétersbourg, y côtoyait Marina Leonova, directrice de l'Académie chorégraphique de Moscou) et personnalités extérieures (telles Amanda Bennett, venue du Prix de Lausanne, ou Dinna Bjorn, Danoise et spécialiste du répertoire Bournonville), était présidé par l'une des dernières grandes icônes du ballet russe, Irina Kolpakova.
La gala du 29 octobre, dans un Mariinsky plein à craquer, où se croisaient familles venues en nombre et balletomanes émérites, s'ouvrait naturellement sur la remise des prix, précédée par une petite allocution de Nikolaï Tsiskaridze, qui a notamment présenté les membres du jury (installés dans la grande loge d'avant-scène à cour), et d'Irina Kolpakova – la silhouette toujours aussi juvénile en sobre tailleur-pantalon noir. Le cérémonial, avec ses aléas obligés (le « petit rat » censé remettre le bouquet de fleurs à Irina Kolpakova a été « lâché » trop tôt des coulisses sur la scène - petit moment de gêne et échange de regards paniqués avant que « Kolya » ne lui prenne d'autorité le bouquet des mains...), est sobre et bref – point de drame ni d'effet de surprise, les résultats étant connus depuis l'avant-veille. Les lauréats défilent, tour à tour, devant un rideau représentant l'écrin du « saint des saints » – la rue Rossi, aux proportions parfaites – saluent l'auditoire et repartent à toute vitesse vers les coulisses pour se changer. Chacun reçoit, outre les félicitations de circonstance et son diplôme, des petits cadeaux des sponsors de la compétition. Parmi les invités, on reconnaît notamment Kimin Kim, venu remettre un prix à Eleonora Sevenard.
La photo de famille sera sans doute pour plus tard... Place, sans traîner, au gala, qui débute par une prestation de jeunes professionnels, Maria Ilushkina et Nikita Kopunov, dans le pas de deux d'Assaf Messerer, Melody : Maria Iliushkina, diplômée de l'ARB, avait remporté l'an dernier la compétition Valentina Kozlova à New York et danse aujourd'hui dans le corps de ballet du Mariinsky. Pour ce qui est des lauréats, il est quelque peu frustrant de les découvrir ainsi, hors du contexte d'une compétition qui s'est achevée deux jours auparavant, pour la plupart dans une variation-éclair (deux pas de deux seulement figuraient au programme). Ne les ayant pas vus se produire en amont du gala, dans d'autres variations de surcroît, je privilégierai donc les impressions aux jugements définitifs... Dans l'ensemble, ces jeunes danseurs ont paru assumer avec professionnalisme le cadre inédit – la scène immense, qui a de quoi impressionner les plus braves, le grandiose auditorium et son public, qui ne s'en laisse pas conter... Les garçons, moins nombreux, ont peut-être, in fine, davantage retenu l'attention. On peut pardonner, dans un concours, les maniérismes de la jeunesse quand ils sont contrebalancés par une technique d'une qualité exceptionnelle, ce n'était pas forcément le cas chez certaines candidates. Venu de Novossibirsk et récompensé par le prix du meilleur partenaire, Arsenty Lazarev donne à voir, dans la variation bondissante du Pas d'Esclave, un certain brio, malgré un petit déséquilibre dans un saut de basque. Mark Chino, de l'Académie du Moscou, offre de son côté une prestation plus aboutie et policée dans la variation d'Albrecht, dansée avec énergie et sans afféteries. La prestation la plus applaudie est toutefois celle d'Ervin Zagidullin, élève de l'Académie Vaganova, dans la variation bravouresque d'Actéon. Voilà un candidat, au physique assez éloigné des canons actuels, brillant dans sa danse, mais doté aussi d'un vrai sens de la scène et du dialogue avec le public, qui le rend attachant. Chez les filles, on remarque, malgré une technique pas encore totalement affermie (elles n'ont guère plus de 14 ou 15 ans l'une et l'autre, semble-t-il), le potentiel de la toute jeune Maria Boulanova dans l'une des variations de la scène du Rêve de Raymonda, ainsi que les qualités de style et le lyrisme très vaganoviens de Svetlana Savelieva - une pure ballerine! - dans la variation du Roi Candaule (l'une des variations lentes du Grand Pas de Paquita). Cette dernière n'est certes pas irréprochable, mais elle possède ce haut du corps à nul autre pareil, où le dos et les bras (pas de ces trompes d'éléphant qui se baladent toutes seules) travaillent ensemble, et ces fameuses mains estampillées Vaganova - sans poignet cassé s'il vous plaît. Dans la catégorie « brillante et sûre d'elle », mais qui manque peut-être un peu de raffinement, les deux Japonaises, Yosie Erina et Simada Kharui, toutes deux élèves de l'Académie Vaganova, l'emportent haut la main dans des variations très techniques – elles ne sont pourtant que juniors. La première - petite, un physique compact - offre un travail très propre et contrôlé dans la difficile variation de Diane, tandis que la deuxième, un peu plus frêle, montre autorité et goût du risque dans la variation de la troisième Odalisque, des qualités qui font un peu oublier quelques erreurs techniques. Dans la variation de la Halte de Cavalerie, la Coréenne Sung-Mee Park, au visage lumineux et à la danse d'une grande sérénité, semble être cependant, de toutes, celle qui présente le meilleur alliage de technique et de style. Un brin tendue, le visage un peu fermé, Eleonora Sevenard, la lauréate probablement la plus connue (elle a été très mise en avant par Nikolaï Tsiskaridze dans les spectacles et figure même sur les affiches de la compétition), qui danse en pas de deux avec Egor Gerashchenko, raide et peu expressif de son côté, passe malheureusement un peu à côté du gala : si elle possède une présence et une technique indéniables, elle semble bien jeune pour assumer, sans outrance, certains passages du pas de deux du Cygne noir. Le gala se conclut sur le pas de deux de Giselle, interprété par le couple coréen, Lee Soo Bin et Lee Sang Min, indiscutables vainqueurs, chacun dans sa catégorie, de ce VIIe Prix Vaganova. Leur prestation, superbe et sensible, applaudie, à juste titre, comme aucune autre, est en réalité déjà celle de professionnels aguerris.
La deuxième partie de la soirée s'est avérée au fond beaucoup plus enthousiasmante que cette série de variations sans doute plaisantes, mais globalement dénuées d'âme, en-dehors du pas de deux, très mûr artistiquement, des Coréens. Honneur cette fois à l'art et au vrai spectacle – et vraiment, quel joli, délicieux, irrésistible spectacle est cette Fée des poupées, dansée et jouée avec autant de flamme que de style par les élèves de l'Académie! Chorégraphié sur la musique de Josef Bayer par Nikolaï et Sergueï Legat en 1903 et remonté par Konstantin Sergueïev en 1989 (il en existe un film d'assez bonne qualité, avec, entre autres, une toute jeune Lopatkina dans le rôle d'une des poupées), l'ouvrage - un acte d'à peine une heure - est revenu au répertoire de l'Académie fin 2015, après un silence de plusieurs années, grâce à Nikolaï Tsiskaridze. Il a d'abord été donné à l'Hermitage, avant de figurer au programme du spectacle de fin d'études de l'année 2016, au Mariinsky et au Palais du Kremlin. Le ballet est d'abord une véritable fête pour les yeux par ses décors et surtout par ses costumes, dessinés à l'origine par Léon Bakst, qui ont fait l'objet d'une restauration extrêmement soignée. C'est ensuite un parfait ballet d'école, comprenant – et alternant - ensembles et soli, parties mimées et parties virtuoses, qui permet de mettre en valeur toutes les classes et tous les types d'élèves - des petits ratons mignons aux grands élèves en passe d'intégrer des compagnies. Inspirée du motif bien connu de la poupée animée, que l'on trouve déjà dans Coppélia, l'histoire se déroule pour l'essentiel dans un magasin de jouets, dont les figures prennent soudainement vie. En faisant surgir la féerie au sein d'un univers bourgeois, très Biedermeier (un peu, finalement, à la manière de Casse-noisette), la narration est surtout prétexte à la mise en scène, sur une partition-patchwork qui ne cesse de rappeler des airs familiers, d'un divertissement joyeux et débridé, avec ses moments obligés, à commencer par toute une série de danses nationales. Eleonora Sevenard, qui incarne le rôle de la Fée des poupées, offre ici un tout autre visage que dans le Cygne noir trop grand pour elle : parfaitement à son aise, elle y est éblouissante de gaieté et de charme. Pour être le rôle-titre, la Fée n'accapare pas pour autant tout le ballet. D'autres solistes y brillent, en particulier les deux Pierrot - les excellents Pavel Mikheyev et Oscar Frame -, ou les interprètes, très vives et affûtées, des diverses poupées - Yulia Spiridonova et Andrei Lagunenko dans le duo des Poupées russes, Alexandra Khitayeva en Poupée chinoise, Anastasia Nuiykina en Poupée française, Vlada Borodulina, très applaudie en Poupée espagnole, ou encore le Lapin-Tambour de Xenia Andreenko. La réussite est cependant collective, et l'on comprend aisément que ce ballet puisse exister de temps à autre sur la scène du Mariinsky et perdurer au répertoire de l'Académie, au-delà du seul spectacle de fin d'études. Il trouverait toute sa place dans une tournée aussi!
A (re)voir sur YT:
Le programme détaillé:
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