sophia
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Posté le: Sam Fév 08, 2014 11:22 am Sujet du message: |
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Le Prix de Lausanne s'est terminé il y a près d'une semaine, avec sa traditionnelle dépression post-, il est plus que temps de revenir, de manière évidemment non exhaustive, sur les candidats de cette 42e édition...
Retour sur le Prix de Lausanne 2014
Lausanne, cela ressemble à du bon vin. La qualité est toujours là, bien présente, mais il y a, simplement, des années où, par la grâce d'un climat propice, le cru est meilleur, plus fort en bouche et plus riche en saveur, que d'autres. De quoi avait-il donc l'air, ce cru lausannois de 2014? A vrai dire, si nous avons vu de la technique solide et quelques très beaux physiques, seule une poignée de personnalités se détachaient franchement, pour l'essentiel parmi les candidats du groupe B et, comme souvent depuis quelque temps, chez les garçons.
Soixante-dix sept candidats étaient annoncés au moment des résultats des sélections vidéo, soixante-treize à la veille de la compétition, soixante-dix à l'ouverture, et puis, finalement, ce sont soixante-neuf candidats qui ont concouru cette année - le Kazakh Meirambeck Nazargozhayev (410), inscrit pourtant sur les listes, n'ayant pas fait son apparition, pour des raisons non élucidées.
Le principe, tout à fait unique, du Prix de Lausanne dans la galaxie des compétitions de danse reste identique d'une année sur l'autre. Les deux variations, classique et contemporaine, qui sont la partie naturellement la plus visible et la plus attractive du concours, n'entrent que pour moitié dans le résultat final des sélections, les deux classes, classique et contemporaine, observées par le jury durant la semaine de la compétition, constituent l'autre moitié de la note attribuée à chaque candidat. C'est là que réside en grande partie le mystère, sans cesse renouvelé, des résultats finaux, jamais complètement satisfaisants pour le public, qui s'attache avant tout à la performance scénique.
Côté variations, l'on on a un peu comme l'impression de radoter et de devoir se répéter d'une année sur l'autre... Chez les 15-16 ans, la variation de Coppélia auprès des filles, celle de La Fille mal gardée auprès des garçons, obtiennent un succès que rien ne semble devoir troubler. Ne pourrait-on envisager un bannissement définitif et de Swanilda et de Colas du Prix, histoire d'en renouveler l'image? Toute Ombre, Paquita ou Fée des Lilas de passage se retrouve dès lors accueillie avec une certaine bienveillance. Le Prix de Lausanne a eu beau rallonger la liste des variations il y a deux ans, les candidats – ou plutôt leurs professeurs - continuent d'opter pour cette sécurité, qui témoigne tout de même d'un regrettable manque de curiosité. Les choix paraissent plus variés chez les 17-18 ans, bien qu'ils ne se révèlent pas toujours judicieux eu égard aux physiques de certains - ou certaines - notamment parmi les Giselle et les Aurore de la sélection. Pour le contemporain, on déplorera surtout le côté inachevé de certaines variations : beaucoup s'interrompent en plein milieu d'une phrase musicale, ce qui est frustrant. Les variations de Jorma Elo, puissantes et incisives, prouvent toutefois encore leur efficacité. Leur brièveté et leur caractère presque inachevé expliquent sans doute pourquoi elles sont rarement choisies des candidats, pourtant elles permettent de montrer beaucoup de soi-même et de son potentiel artistique en quelques secondes, bien plus en tout cas que celles de Goyo Montero, réduites à un alignement esthétique de poses lyriques rarement investies d'une interprétation marquante. Mon sentiment est quelque peu mitigé vis-à-vis des variations de Richard Wherlock : A Solo for Diego, sur la musique de Theodorakis, est enthousiasmant et idéalement adapté à des adolescents, mais se finit malheureusement en queue de poisson sur un cri qui rate à tous les coups son effet. Quant au Sacre, s'il permet beaucoup et part d'une bonne intention, sa thématique se révèle à mon sens par trop complexe pour de jeunes danseurs, c'était plus particulièrement flagrant chez les 15-16 ans.
Sélections
Groupe A – 15-16 ans
Dans le groupe des 15-16 ans - et cela vaut pour les filles comme pour les garçons -, Japonais et Brésiliens dominent de manière sensible, tant par leurs qualités techniques que par leur maîtrise, déjà bien visible, de la scène.
Très typée – trop peut-être? -, la plus jeune candidate, Rei Takahashi (101), petit format, tout en nerfs et en vivacité, m'a d'emblée bien plu. Souriante, elle donne de jolis accents à la variation de Swanilda et brille par un contrôle parfait dans les pirouettes. Ses qualités scéniques sont encore visibles dans Le Sacre, auquel elle apporte puissance et engagement, même si la variation paraît sans doute, sur le plan artistique, un peu trop grande pour elle. Parmi les Japonaises, on remarque évidemment Sae Maeda (108) : si elle ne se démarque pas forcément dans la Sarabande de Goyo Montero, où elle se contente, comme d'autres, d'être belle, dans la variation de la première Ombre, elle montre non seulement une très grande propreté, mais aussi une vivacité appréciable et une belle qualité de saut. Aya Watanabe (118) reste cependant ma favorite : sa troisième Ombre est d'une musicalité rare, elle y apporte des accents et des nuances que l'on ne voit pas forcément chez les professionnelles, et fait preuve d'énergie et d'expressivité dans le solo n°1 de First Flash, une variation qui ne ment pas. Du côté des Brésiliennes, on remarque Bianca Teixeira (114), visage du Prix 2014, de retour à Lausanne après une première participation en 2013, mais aussi, et surtout peut-être, Maria Clara Marinho Coelho (105) et Carollina Bastos (110). La première est toujours aussi charmante (mais quelle Brésilienne ne l'est pas?), mais reste un brin gymnaste dans sa danse ; les deux autres ont une danse à mon sens plus aboutie : Maria Clara Marinho Coelho (105) propose une Swanilda très dansante et d'une belle fluidité, quant à Carollina Bastos (110), moins précise peut-être, elle a pour elle de savoir utiliser son physique - il faut bien le dire exceptionnel -, dans une troisième Ombre aux extensions majestueuses qui lui va à merveille. Notre Française Siloé Vanuxem (115), si elle n'a évidemment pas l'expérience scénique de toutes ces demoiselles, apporte une élégance très française, jusque dans la sobriété du tutu immaculé qu'elle arbore pour la variation du pas de trois de Paquita, dans un concours où le style pose parfois question. En contemporain, elle utilise intelligemment son physique très gracile et donne au Sacre une couleur plus dramatique que proprement sauvage. Enfin, pour ce qui est des candidates « vues ailleurs », et notamment au YAGP, on ne peut retenir une certaine déception. A des degrés divers, Sara Barbieri (119) (gagnante cette année de la demi-finale du YAGP Europe), dotée d'un superbe physique, est apparue bien tendue, tout comme la très jolie Juliet Doherty (117), de l'école du San Francisco Ballet, peu libérée dans sa danse, malgré un travail qui traduit une véritable recherche de propreté dans le bas de jambe, pas si courante chez les Américains.
Chez les garçons, les choses sont simples : il y a Vinicius Silva (210) et il y a les autres. Un danseur résolument complet, qui danse de tout son corps, un artiste aussi à l'aise dans le classique le plus exigeant – La Sylphide -, interprété de surcroît avec style et goût (et que tout cela sent la bonne école...), que dans une variation où la virtuosité ne prend sens qu'au travers d'une interprétation personnelle. Et puis avec ça, ce que l'on ne peut expliquer, le charme, une certaine élégance intemporelle, toutes ces choses qui font que l'on n'admire plus seulement, mais que l'on aime. Il domine outrageusement le groupe par sa maturité, aussi bien technique qu'artistique, et sa présence, et pour ma part, je l'aurais bien vu grand vainqueur de ce Prix, dans la lignée directe d'un Emanuel Amuchastegui il y a quelques années (et ce dernier avait alors presque 19 ans...). Après la victoire d'un jeune Brésilien l'an dernier (Adhonay Soares), ç'eût été toutefois étonnant – géopolitique oblige. A vrai dire, peu de garçons ont retenu mon attention dans ce groupe, techniquement plutôt à la peine. La présence en finale de garçons comme Johannes Goldbach (201), Shunyo Mori (202), Tanner Bleck (203), Jun Joon Hyuk (204), qui m'ont paru, à des degrés divers, tous bien verts, ne laisse pas de surprendre, voire de laisser sceptique, tout au moins si l'on s'en tient à la performance scénique. On sauvera toutefois du groupe le petit Américain Adam Bernstein (210), à l'évidence élevé à l'école russe, à la présence charismatique et aux qualités techniques déjà bien en place. Très typé « demi-caractère » – on l'imagine aisément dans tous les rôles bondissants du répertoire -, il brille, malgré quelques imprécisions, dans Harlequinade et fait preuve d'une véritable sensibilité dans Desde Otello.
Sélections
Groupe B – 17-18 ans
Le niveau s'élève d'un coup et les styles se diversifient – on respire! Plusieurs filles se font ainsi remarquer à un titre ou à un autre, telle la Japonaise Mau Torii (302), délicate et élégante dans la variation d'Aurore - trop souvent prise, pas toujours brillamment interprétée -, et efficace comme il le faut dans First Flash. Du côté des Aurore, la superbe - dans tous les sens du terme - Chinoise You Mengting (311) conserve toutefois ma préférence : remarquée en cours pour son physique parfait et une sensualité qui tranche heureusement avec la sécheresse presque dérangeante de certains physiques, elle séduit par son autorité scénique et une élégance raffinée, pourtant dépourvue d'affectation. La prestation de Paula Alves (305) (voir mon petit portrait) dans la variation lente de Paquita est également à relever : elle y montre une autorité sereine et tempérée par une sensualité appréciable. Son Sacre m'a paru en revanche un peu léger. Tyler Donatelli (304) (voir mon interview) attire quant à elle naturellement l'attention, de par ses participations et ses victoires répétées au YAGP, et elle ne déçoit pas. Il faut dire que la variation de Gamzatti met idéalement en valeur ses qualités techniques, et si la demoiselle ne brille sans doute pas par l'élégance de ses lignes, elle a le saut – impressionnant -, la maîtrise des tours, tous parfaitement finis, l'attaque, l'autorité enfin, qui font le piment de cette variation et en garantissent le succès. Son Sacre est tout aussi convaincant, mais peut-être eût-il été plus judicieux de choisir des variations plus contrastées, l'une et l'autre la cantonnant dans le seul registre de la virtuosité et de la puissance? Autre vedette, pour d'autres raisons : l'Américaine du Bolchoï, Precious Adams (319) qui, sans laisser indifférent, suscite un sentiment plus mitigé. De manière ironique, c'est dans la variation contemporaine, le solo n°1 de First Flash, qu'elle éblouit – que dis-je! - qu'elle électrise, par sa vélocité et son geste à la fois incisif et félin, presque désinvolte. Il y avait du défi et du contraste à revendre dans sa variation classique, mais pas sûr en revanche que La Belle au bois dormant ait été le meilleur choix pour elle, eu égard à ses lignes et son physique très athlétique. L'éducation bolchoïte se lit pourtant clairement dans ses ports de bras, dans son haut du corps très travaillé, et là encore, il faut bien dire que la petite touche d'école nationale est appréciée dans ce concours qui signe le triomphe de la globalisation de la danse.
Le groupe des garçons de 17-18 ans reste à mes yeux le plus enthousiasmant et prometteur, avec plusieurs personnalités marquantes, on a aussi pu le constater lors de la classe, avec une saine compétition de technique masculine au milieu. Beaucoup de candidats semblaient posséder d'emblée des profils parfaits pour faire d'excellents finalistes, tels les deux candidats espagnols, le brun Daniel Rodriguez Domenech (401) et le blond Daniel Navarro Yudes (402), au coude à coude dans la sélection. De manière amusante, ils apparaissent comme le miroir inversé l'un de l'autre. Le premier est tout en puissance et en explosivité ; il se révèle toutefois plus convaincant dans la variation contemporaine, Desde Otello, à laquelle il apporte une véritable profondeur, que dans celle d'Albrecht (agrémentée d'étranges sissonnes à 180°), bien dessinée, mais entachée par quelques réceptions approximatives, réitérées du reste lors de la finale. Le second est un très beau danseur, au physique assez fin, plus classique que contemporain, qui nous offre une variation de Basilio pleine de fougue et de panache, dont on peut saluer la prise de risque, fort bien assumée. Son compère de l'Académie Princesse Grace, le Japonais, originaire de Fukushima, Mikio Kato (413), se démarque lui aussi par la qualité de sa danse et sa personnalité bien affirmée. La variation de Siegfried laisse voir un danseur aérien, doté d'un très beau ballon, tandis que son Solo For Diego se teinte d'une bonhomie et d'un naturel fort appréciables. A travers Daniel Navarro Yudes (402), lauréat de la quatrième bourse et prix du public (purement honorifique, mais bon...), et Mikio Kato (413), lauréat de la sixième bourse, le Prix de Lausanne récompense en tout cas l'excellence de l'enseignement de l'Académie Princesse Grace et de son professeur, Luca Masala, présent à Lausanne avec ses deux élèves. Oublié de la finale (mais sans doute pas du Networking Forum), l'Arménien de Bâle, Jivan Barseghyan (415), révèle un profil très typé de danseur de bravoure. Son Corsaire est enthousiasmant, malgré quelques approximations (bizarrement pas sur les grosses difficultés), et son solo contemporain (A Solo For Diego) découvre une belle maturité. L'Australien, élève de l'Académie du Ballet national des Pays-Bas, Aaron Kok (417), dernier candidat de la liste, n'a pas fait beaucoup de bruit, mais ses prestations, dans le Grand pas classique et Desde Otello étaient enlevées - peut-être par trop conventionnelles pour le jury? Présent, de manière plus surprenante, dans le palmarès, Garegin Pogossian (403) offre dans la variation de Basilio (à l'étrange chorégraphie, débutant comme la version Noureev et finissant en simple manège de grands jetés?) un travail qui est loin d'être aussi propre et abouti que celui de son camarade espagnol et boursier comme lui. Le Français n'est toutefois pas sans qualités – un beau physique, du charisme et une danse généreuse -, mais le contemporain lui réussit sans doute mieux pour l'instant - Plan to B. lui allait d'ailleurs fort bien. L'Américain Michael Ryan (406) (voir mon interview) s'impose comme un outsider de poids (et de taille) lors de ces sélections : sa danse est certes un peu bi-dimensionnelle, mais son charisme et son sens de la scène sont indéniables, il se révèle par ailleurs un danseur assez complet, aussi à l'aise dans le classique que dans le contemporain. Haruo Niyama (404) a quant à lui tout du vainqueur idéal, dans la lignée d'un Tetsuya Kumakawa, et son titre ne peut guère lui être contesté. Suprêmement aérien, il montre, dans la variation de Solor, une légèreté et une détente extraordinaires, aidées par sa petite taille. Dans A Solo For Diego, on se permettra tout de même de le trouver excessivement démonstratif – ce n'est clairement pas l'interprétation qui a ma préférence – mais il faut le reconnaître, sa danse est diablement excitante. Nul doute qu'avec de telles qualités de virtuose, un bel avenir lui est promis.
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