sophia
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Posté le: Lun Fév 04, 2013 11:45 am Sujet du message: |
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Prix de Lausanne 2013 - Petit préambule sur les variations (1)
Qui dit concours dit variation(s) – pour le meilleur et pour le pire. Au Prix de Lausanne, les candidats sont en fait évalués tout autant sur leur comportement en cours et sur leur progression durant la semaine que sur leur prestation scénique lors des sélections. Les variations, classique et contemporaine, ne sont donc que la partie émergée - celle que voit le public - de l'évaluation des candidats. Elles entrent pour moitié dans la note attribuée à chacun, les deux cours, classique et contemporain, constituant l'autre moitié de la note. Subjectivité mise à part, certaines interrogations face aux résultats finaux s'expliquent parfois par ce petit décalage entre le visible (les sélections) et le moins visible (le travail en cours et l'évolution des candidats durant la semaine). On l'a dit et redit, cette compétition s'intéresse moins au produit fini qu'au potentiel - notion tout de même bien indécise. C'est ce qui rend Lausanne si sympathique et en même temps si frustrant pour le grand public.
Depuis l'an dernier, le choix des variations classiques s'est nettement élargi – et c'est heureux pour tout le monde, à commencer par les spectateurs. L'on reste loin toutefois de la variété proposée dans d'autres compétitions internationales, d'esprit plus russe, telles que les concours de Moscou ou de Varna, qui comportent également une épreuve de pas de deux. Ces restrictions s'expliquent sans doute par l'importance accordée à Lausanne au coaching individuel des candidats, qui impose une organisation des journées très stricte. Ce n'est finalement pas tant le morceau "de bravoure" qui prime, avec ses éléments particuliers de virtuosité, que la manière qu'a le candidat de l'aborder et d'en faire évoluer l'interprétation sur une courte période de temps, en réponse aux conseils qui lui sont fournis par les répétiteurs. Ces petites limitations ne concernent toutefois pas les versions chorégraphiques et musicales présentées, qui restent libres, au point de donner parfois lieu à des incongruités des plus étranges : si l'on comprend qu'il puisse y avoir différentes versions des variations de Swanilda, de Kitri ou de la Fée des Lilas (toujours intéressantes à découvrir, quelle que soit leur pertinence, que le jury n'a du reste pas à évaluer), on s'étonne quand même des arrangements locaux commis à l'occasion sur la variation du Grand pas classique, choisie par une petite poignée de candidates. On a beau dire et s'en défendre, il est bien difficile parfois de faire abstraction des questions de style, surtout lorsqu'on voit apparaître sur scène une Giselle outrageusement maquillée, envoyant force baisers et clins d'oeil au public. De tout cela, les candidats ne sont pourtant pas entièrement responsables. Quoi qu'il en soit, cette année encore, ils ont, malheureusement pour nous, tendance à se replier un peu toujours sur les mêmes poncifs de concours : Swanilda pour les plus jeunes et Gamzatti pour les plus âgées des filles, Franz pour les plus jeunes et Basilio pour les plus âgés des garçons. Harlequinade ou les variations du pas de trois de Paquita sont alors les bienvenus dans le programme! On aura tout de même échappé à l'effet de lassitude engendré par les traditionnelles séries de Swanilda et d'Ombres chez les plus jeunes (peu nombreuses au demeurant cette année), les candidats, garçons et filles, alternant franchement selon leur tranche d'âge (deux filles, un garçon, ou deux garçons, une fille) durant l'épreuve des sélections.
Les variations contemporaines sont désormais renouvelées par moitié tous les ans. Cette année, on a donc pu découvrir, à côté des variations de Didy Veldman, trois pièces de Jorma Elo, et deux de Goyo Montero. Jorma Elo est un chorégraphe très en vue actuellement en Amérique et en Europe du Nord et ses pièces sont même dansées jusqu'au Bolchoï et au Stanislavsky. Goyo Montero, quant à lui, est un chorégraphe espagnol installé à Nüremberg, dont il dirige la compagnie de ballet. Il a par ailleurs été lauréat du Prix de Lausanne et membre du jury de la 40e édition. C'est lui-même qui a coaché directement les candidats dans leurs variations, là où Jorma Elo et Didy Veldman étaient représentés par des répétiteurs (respectivement Christophe Dozzi et Charlotte Broom). Il chorégraphie actuellement une nouvelle version de Roméo et Juliette pour la Compañía Nacional de Danza de José Martinez.
Les variations de Didy Veldman, déjà au programme en 2012, résistent à mon goût plutôt bien à la reprise, surtout Outsight et Tender Hooks, deux pièces tout en puissance et en énergie brute. Elles offrent un travail très ancré dans le sol, comportant des effets de chute et des torsions nombreuses. Elles jouent toutes sur les différentes énergies, avec des moments de tension qui alternent avec des séquences de relâchement. Cela ressemble à un exercice de style en contemporain - une veine « artisanale » qui fonctionne bien sur de jeunes danseurs, dont certains découvrent complètement le registre contemporain. Les variations de Jorma Elo et de Goyo Montero sont quant à elles aussi dissemblables que possible. Les premières sont rapides, physiques et brèves tandis que que les secondes sont lentes, lyriques et... longues. Au final, on est nettement plus séduit par celles de Jorma Elo, qui ont le mérite d'être à la fois efficaces et spectaculaires. Avec certains candidats, comme Miko Fogarty ou Cesar Corrales, ça devient même un vrai bonheur à regarder. On peut cependant regretter que les deux solos de First Flash, sur une musique de Sibelius, peut-être pas conçus initialement comme des "variations" au sens classique du terme, s'interrompent aussi brutalement, en plein milieu d'une cadence musicale.
Prix de Lausanne 2013 – Sélections (2)
Comme chaque année, à l'annonce des résultats, il y eut des cris, des applaudissements et des embrassades entremêlés de pleurs. Et comme chaque année, des caméras et des appareils photos en nombre, tour à tour braqués sur les candidats dans l'attente et sur l'écran géant affichant le nom des heureux élus.
Mais avant de vivre ce moment unique, il y eut la longue journée des sélections. Faute d'avoir pu voir cette année les candidats durant la semaine, je les ai découverts avec un oeil neuf et – presque - innocent pour la première fois à cette occasion, sur la scène du théâtre de Beaulieu.
Groupe A – 15-16 ans
La rumeur qui courait n'était donc pas fausse : il y avait du niveau - du vrai, du bon - cette année, après une 40e édition un tantinet en demi-teinte.
Les danseurs du groupe A, filles et garçons confondus, révèlent globalement une très bonne maîtrise technique, particulièrement percutante dans la variation classique. On sent en revanche, souvent, un petit manque de maturité dans la variation contemporaine, qui la rend vite ennuyeuse à suivre pour le spectateur.
Chez les filles, j'ai d'emblée été impressionnée par une incroyable Japonaise, Rio Sato (102). Légère comme une plume, elle multiplie les pirouettes, parfaitement exécutées, dans la variation de Swanilda. Le solo n°2 de First Flash met en valeur ses qualités de saut, sa vélocité et son énergie. Indéniablement un beau tempérament scénique! Miko Fogarty (109) arrivait à Lausanne avec sa réputation de « bête à concours » du YAGP, tout comme l'an dernier Hannah Bettes, qui, je dois dire, ne m'avait pas particulièrement séduite. Eh bien, la petite Miko, Suisse par son papa et Japonaise par sa maman, efface d'un bond magnifique - celui de l'entrée de First Flash - tous les préjugés des puristes. Elle a bien sûr l'aisance technique et le côté spectaculaire d'une fille rompue aux compétitions internationales, mais elle a aussi un charme et un sens du détail personnel appréciables dans une variation vue et revue comme celle de Swanilda. Parmi les filles, on remarque également la Japonaise Kaho Yanigasawa (113) : un profil brillant et très « concours » - elle vient de la fameuse école Acri-Horimoto de Saitama qui produit des finalistes lausannois à la chaîne -, mais elle est plus que cela, elle parvient ainsi à rendre intéressante et expressive l'interminable « Sarabande » de Goyo Montero, qui aura été pour moi le véritable pensum de la journée. Avec Leticia Domingues (114), on sent toute l'influence qu'a pu avoir Mayara Magri, lauréate du Prix en 2011 et désormais membre du Royal Ballet, auprès de toutes les petites ballerines brésiliennes, dont elle est devenue l'idole, d'après les témoignages que j'ai pu recueillir. Cette candidate vient du reste de la même école - la Petite Dance School à Rio -, danse la même variation - celle de Swanilda - et porte le même costume. Dans la danse de Leticia, on retrouve, pour le meilleur, toutes les qualités de Mayara : le sourire, radieux, l'attaque, sud-américaine, la technique, démonstrative et sans complexes, mais toujours rehaussée par un zeste de sensualité.
Si ces quatre-là sont apparues comme des favorites évidentes, j'ai également apprécié, à un titre ou à un autre, la Japonaise Emily Susuki (encore une élève de la Acri-Horimoto) pour sa danse acérée et dynamique, que ce soit dans la variation du pas de trois du Lac ou dans First Flash, ainsi que la Coréenne Lee Urim (115), très gracieuse dans le Pas de deux des Vendangeurs de Giselle. Du potentiel aussi du côté des Australiennes, avec notamment Kiely Groenewegen (118), une vraie personnalité, qui réussit à donner vivacité et relief à la souvent pénible variation de la 3e Ombre de La Bayadère (celle avec les développés). Rubin Montana (106) est un tempérament plus discret, moins apparent, mais sa danse, à la fois très articulée et capable de relâchement, fait merveille dans Tender Hooks.
Le groupe des garçons est peut-être plus intéressant encore. Il y a d'abord du charmant et prometteur, bien qu'encore très vert. Le petit Américain de Boston Christian Pforr (201) (une personnalité irrésistible mais vraiment handicapé par une technique faiblarde et un en-dehors... aproximatif) ou l'Italien Giacomo Rovero (202) (enfin un Italien décent et bien élevé à Lausanne!) sont de cette catégorie. Il y a aussi du plus que prometteur - du finaliste, voire du lauréat, en puissance. Simon Acri (210) cabotine outrageusement, il multiplie les pirouettes jusqu'au ridicule – mais qu'importe pour l'instant, il est généreux dans sa danse et déborde d'énergie et de charisme. Dans le genre « jeune, fougueux et bondissant », Cesar Corrales (212) montre un style plus typé et caractéristique : il devra sans doute se raffiner avec le temps et tempérer son trop-plein d'énergie, mais son brio à la cubaine, son naturel aussi, dépourvu de toute mièvrerie, sont enthousiasmants. Dans Plan to B., je l'ai simplement trouvé extraordinaire. Pour moi, il est le vainqueur tout trouvé de la compétition. Adhonay Silva (203) révèle aussi, dans un genre plus délicat et subtil, une présence magnifique. Sa virtuosité fait mouche dans Harlequinade et son solo contemporain (Desde Otello) semble vraiment habité. Le Chinois Na Guijun (211) séduit quant à lui par son impeccable musicalité, assortie d'une belle batterie, dans la variation de La Fille mal gardée. Deux élèves de Hambourg ont enfin retenu mon attention. L'Argentin Matias Oberlin (214) se fait remarquer non pas tant pour sa variation classique (je préfère des danseurs plus compacts que des danseurs « tout en jambes » dans La Fille mal gardée) que pour son excellente prestation dans Outsight. Quant au Japonais Riku Ito (213), je l'ai trouvé parfait sur tous les plans : élévation et fluidité dans la variation de Franz, puissance physique subtilement nuancée dans Plan to B.
Groupe B – 17-18 ans
Dans ce groupe, les garçons dominent et l'on comprend après coup qu'ils aient été si nombreux à avoir été sélectionnés pour la finale.. Et j'avoue qu'en comparaison aucune fille ne m'a fait là très forte impression.
Neneka Yoshida (320) est celle qui offre sans doute, dans cette tranche d'âge, le parcours le plus équilibré. C'est notamment dans la Sarabande de Goyo Montero, si souvent prise par les candidates, qu'elle exprime au mieux toute sa sensibilité. Sa variation du Rêve est d'une musicalité et d'une précision tout à fait admirables, mais je lui ai cependant préféré dans ce morceau la charismatique Chinoise Liu Xuechen (311), plus lyrique et élégante à mon goût. Momoka Kikuchi (310) a quant à elle couru le risque du difficile Grand pas classique : les équilibres ne sont certes pas toujours parfaits, mais elle a une qualité de mouvement indéniable, qui paraît encore plus évidente dans la Sarabande. Rumi Ikeda (307), après une Giselle peut-être un peu maniérée, montre un superbe engagement dans Tender Hooks. L'Allemande de l'English National Ballet, Isabelle Brouwers (302) déçoit en revanche un peu lors de ces sélections, du moins par rapport à ce qu'elle avait laissé voir en répétition. Elle a du caractère et de l'assurance, c'est certain, mais il manque ce quelque chose qui emporte. Avec son physique à la Gillian Murphy, Eleonora Morris révèle elle aussi un vrai tempérament. On peut, et c'est mon cas, ne pas être très fan de ses bras et de son haut du corps très raides, mais son style devrait faire mouche dans le répertoire balanchinien.
Beaucoup de garçons mériteraient d'être cités, à un titre ou à un autre. Les deux élèves du Conservatoire de Lisbonne, Francisco Sebastião (408) et Tiago Coelho (410), sans être les plus « parfaits » de la bande, m'ont particulièrement enthousiasmée, le premier surtout, un vrai Basilio! Chaque année, il y en a l'un ou l'autre de cette école pour se faire remarquer et cette année n'a pas fait mentir la réputation de cette institution. S'il y a des petites approximations dans leurs variations classiques - Don Quichotte pour le premier, Casse-noisette pour le second -, l'impression qu'on en garde est pour l'un et l'autre largement positive : ils possèdent le brio requis, ils ont une danse ample, légère, sans effort, et ils sont vivants! Leur engagement est encore plus percutant dans la variation contemporaine, où se fait du reste aussi remarquer Tatiana Grenkova (316), du même Conservatoire de Lisbonne (voir mon interview plus haut). Resté en Russie, Alexey Seliverstov (411), de l'Ecole de Perm, semble quant à lui découvrir, en même temps que nous le découvrons, le répertoire contemporain. D'une élégance remarquable, il apporte en revanche dans la variation de Siegfried une touche de style bienvenue, presque incongrue pourtant dans le contexte d'une danse globalisée, dont ce concours témoigne au premier chef. Cette élégance classique, on la retrouve aussi, différemment, chez le Chinois Li Wentao (412), aussi parfait dans la variation de Désiré que Wang Mingxuan l'an dernier dans celle de Casse-noisette. A propos des Chinois, on remarque, comme l'an dernier déjà, leurs prestations intéressantes dans le répertoire contemporain, qu'ils délaissaient plus ou moins auparavant (cela leur avait d'ailleurs été beaucoup reproché). A cet égard, j'ai particulièrement apprécié la prestation de Gong Zunyan (414) dans Outsight de Didy Veldman. Par ailleurs, Albrecht et son romantisme échevelé, qu'affectionnaient tant les candidats chinois de Beijing ou de Shanghaï, a cette année cédé la place au plus terre-à-terre Basilio, spécialité japonaise ou sud-américaine certifiée jusque-là. Des Basilio chinois, donc, avec Zhang Jinhao (407) et Gong Zunyan (414), qui nous ont étonné par leur brio et par leur fougue.
Difficile d'oublier aussi l'Argentin du Teatro Colon Lucas Erni (415), qui s'affirme comme un finaliste potentiel, avec un beau Basilio et une variation contemporaine Tender Hooks, excellemment interprétée. Prestations très équilibrées également pour le Canadien de Winnipeg, Zachary Rogers (418) et l'Australien de Houston, Joel Woellner, qui a déjà la maturité d'un danseur de compagnie. L'Arménien de Zurich, Tigran Sargsyan (421), a sans doute fait un choix un peu conventionnel pour sa variation classique (le Corsaire pour un Arménien, c'est un peu l'équivalent de Basilio pour un Brésilien), du reste pas complètement assumé sur le plan technique, mais sa variation contemporaine confirme sa présence magnétique. Enfin, comment ne pas mentionner le Japonais Masaya Yamamoto (419), peut-être le garçon plus impressionnant de ce groupe, le plus accompli en tout cas dans un certain style de bravoure : son Solor est d'une virtuosité exceptionnelle, dans la lignée d'un Tetsuya Kumakawa, et sa variation contemporaine, Tender Hooks, témoigne d'un engagement passionné, à défaut d'être nuancé. Peut-être doit-on chercher là la raison de l'engouement marqué pour les garçons, déjà engagé depuis deux ou trois ans à Lausanne : nous permettre de renouer enfin avec l'ivresse que peut procurer la danse masculine.
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