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Nouvelles du Théâtre de la Ville
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serge1 paris



Inscrit le: 06 Jan 2008
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MessagePosté le: Mer Fév 10, 2016 4:00 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Israel Galvan : FLA CO MEN

L'autodérision n'est pas une caractéristique fondamentale du flamenco. On peut même trouver que c'est un trait qui en est totalement absent tellement c'est une danse qui aspire avant tout à la grandeur et au tragique.


C'est pourtant sur l'autodérision qu'est entièrement construit le nouveau spectacle d'Israel Galvan.

Et c'est, comme à chaque fois, une éblouissante réussite...avec une créativité chorégraphique et musicale qui parvient encore à étonner.

Galvan n'a peur de rien : plusieurs minutes de zapateados dans l'obscurité totale et un long moment immobile et silencieux ne ralentissent même pas l'élan irresistible de ce spectacle...


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juthri



Inscrit le: 31 Mar 2015
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MessagePosté le: Dim Fév 21, 2016 1:55 am    Sujet du message: Répondre en citant

Au moment même de sa prise de fonction au CCN Grenoble conjointement avec Yoann Bourgeois, Rachid Ouramdane nous invite à venir Tenir Le Temps au Théâtre de la Ville où il était jusqu'à présent artiste en résidence. Ironie du calendrier, il succède à Jean-Claude Gallotta qui nous proposera lui sa dernière création à partir de la semaine prochaine au Théâtre des Abbesses.

Ce chorégraphe s'est fait connaître principalement par des œuvres pluridisciplinaires, mêlant créations vivantes et installation vidéo, de quasi documentaires reposant sur de minutieux témoignages d'histoires ou de souffrances humaines. Il a aussi longtemps instauré un partage de la scène entre artistes professionnels et amateurs, pour mieux transcrire en scène différents débats de société, autour des sentiments d'urgence, de violence, de différences de cultures, mais aussi de remise en perspective historique ou géographique. Une forme de quête d'identité(s) via la danse. Depuis quelques pièces, il s'est orienté vers des chorégraphies plus dansantes, au travers notamment d'une œuvre pour le Ballet de l'Opéra de Lyon de 2014, Tout Autour, pour 24 danseurs, ou une pièce intimiste et pudique pour deux danseuses cette fois, Tordre.

Avec Tenir Le Temps il renoue avec un grand ensemble de 16 danseurs professionnels pour présenter une œuvre créée au festival de Montpellier en 2015, toujours en collaboration avec le compositeur Jean-Baptiste Julien, fondée sur la vigueur et la continuité du mouvement, et le rapport de l'individu au groupe, par la mise en scène de réactions entraînées par une action initiale. Une mise en abyme des conséquences sur le ou les auteurs des causes, plus qu'une simple nouvelle étude de la théorie du chaos.

La scénographie est particulièrement épurée : la scène vierge est constituée par 3 murs blancs tout juste percés côté cour et jardin d'accès des danseurs, et l'éclairage est également uniformément blanc, malgré quelques variations en jeux de clairs/obscurs ou de balayage de la balance des blancs. Les danseurs sont uniformément habillés de kaki, par des tenues de ville dépareillées.

La partition est donc signée Jean-Baptiste Julien, disponible sur http://jeanbaptistejulien.bandcamp.com/album/tlt, qui rappelle la dimension percussive du piano, et est basée sur une multitude de motifs répétés, parfois en canon, dont les ruptures incessantes en brouillent chaque figure ou chaque progression. Ces nouvelles séquences ainsi obtenues, finissent elles-mêmes par devenir des boucles qui constituent la base répétitive et hypnotique de la chorégraphie. Cette nouvelle collaboration entre les deux créateurs semble marquer une volonté de poursuivre dans une veine associant beaucoup plus intimement la danse avec la musique, et réussit parfois à nous troubler sur l'antériorité de l'une par rapport à l'autre.

La pièce est découpée en une dizaine de tableaux dont le premier s'ouvre sur un solo rappelant Exposition Universelle du même chorégraphe, et qui commence par la présentation d'un corps immobile que viennent troubler quelques convulsions des pieds, puis des jambes, et qui finissent par s'étendre progressivement à tout le corps, de plus en plus frénétiquement, comme un condensé du propos général : quelle conséquence du mouvement d'un seul membre sur le reste du corps ?

L'intensité du premier tableau ne se démentira pas dans le suivant, porté cette fois par l'ensemble des seize danseurs, hallucinant de rythme et de courses infinies sans aucun moment de pause. Mécanique fluide de heurts, suite de mouvements presque furtifs et insaisissables dans leur exhaustivité, qui évoquent immanquablement la cinématique des vagues, répétitive, continue, mais que vient sans cesse perturber un élément extérieur pour un renouvellement constant. Des lignes de danseurs se tendent et se tordent, des courses se croisent autant qu'elles ne se fuient, des corps se jettent en sol ou s'enjambent. Toutes les directions sont passées en revue des plus basiques (cour à jardin, fond de scène à avant-scène) jusqu'au plus évoluées (centripètes, ruban de Möbius) et ce qui frappe d'emblée est la sensation d'ordre qui émerge du chaos proposé : la virtuosité de l'écriture n'y est pas pour rien, l'analogie avec les dominos est évidente dans le rendu tant chaque mouvement semble en précipiter trois nouveaux, et c'est un vrai plaisir de se laisser porter par ces lignes qui se structurent et se déstructurent au fil des propositions gestuelles d'une conductrice ou d'un perturbateur. En vision plus académique, le style du chorégraphe reste minimaliste mais s'enrichit d'une grande gestuelle des bras utilisés en moulinets verticaux ou rotatifs, de quelques renversements de bustes presque néoclassiques ou des nombreux portés, dont la vitesse et l'engagement laissent à peine le temps aux interprètes d'en finaliser le geste.

Les tableaux suivants seront à l'avenant en terme de densité, pour présenter globalement des images liées aux pouvoirs, à leurs abus et leurs violences, à leurs conséquences d'exclusion ou de marginalisation, même s'ils démontrent par l'utilisation constante de l'effet de masse de la dilution de la personnalité au sein du groupe. Cela renvoie aux contradicteurs du paradigme de "l'effet papillon" qui théorisent que les petites actions sont relativement inopérantes dans la course de la globalité. Pour assurer la précision de l'ensemble la sollicitation des danseurs est maximale, dont très rapidement les corps deviennent écarlates, les souffles courts, les mouvements saccadés et on s'attend à leur épuisement avant la fin du spectacle.
Tenir le Temps prend ainsi le sens de tenir le tempo, le rythme ou la durée.

Mais, par une main posée sur un ventre, une caresse sur une nuque, ou un simple ralentissement du pas, la deuxième partie offre une nouvelle vision de ce rapport à l'ensemble. Basée sur le ralentissement, voire le ralenti, comme celui qui s'empare de la troupe pendant qu'un danseur se lance dans une virtuose danse des sabots, de Ruben Sanchez, qui ferait passer celle de la Fille Mal Gardée d'Ashton pour une aimable marelle. Le contraste ainsi offert permet cette fois de faire ressortir la singularité, ici celle d'un artiste par opposition à la foule indéfinie. Singularité encore d'une interprète, Lora Juodkaite, figure de l'amoureuse rejetée, promenant sa solitude au milieu des autres qui eux se rencontrent, se trouvent et s'enlacent, et en renforcent ainsi le sentiment de nostalgie. La distance trouvera écho dans une danse d'apprivoisement, rencontre à la mort plus qu'à l'amour, entre deux danseuses, comme deux cultures qui se découvrent, se jaugent, et finissent par se relier. Ces scènes intimistes, qui laissent place à quelques soli, dont celui final de Yu Otagaki, entre transe et néoclassicisme, apportent un contrepoint intéressant à la fureur du début, car si le groupe et les ensembles dominent la première partie, les individus parviennent à s'en échapper dans la seconde. Partie moins violente, aux sentiments mieux incarnés, qui parle de rencontres, mais paradoxalement plus triste, comme marquée par un vécu ou un traumatisme initial.
Tenir le Temps prend finalement le sens d'en tenir le fil, de le parcourir, afin de saisir l'Histoire, du moins le sens, sinon la maîtrise de son cours.

Au final la progression de la pièce évoque continuellement la place de chacun dans la globalité. Mais elle passe du flou de la masse vers une mise au point sur des individualités, qui racontent dès lors une histoire plus attachante car plus personnalisable, même si la construction à contre-courant des standards peut surprendre (commencer vite et finir plus lentement au risque de perdre l'intensité initiale).
Rachid Ouramdane développe l'élargissement de son champ de composition, par un langage chorégraphique plus construit, et démontre ici que l'apport de la force du mouvement ou du nombre n'obère en rien la profondeur du propos, malgré quelques maladresses ou références un peu trop évidentes aux maîtres américains ou israéliens du genre. Mais cette œuvre, à la croisée des chemins entre Nouvelle Danse Française et Gaga Dance, basée sur la force du nombre et le mouvement perpétuel, offre finalement une vision très personnelle du travail du chorégraphe, peut-être celle où il met le plus en scène sa propre histoire, même si camouflée derrière la prestation demandée à ses danseurs, dont la fenêtre d'interprétation est finalement très réduite, ballotés entre tempo musical, exécution de leur partition et attention portée à l'autre, dans un qui-vive constant qui est à l'image de la pièce : haletante.


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serge1 paris



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MessagePosté le: Dim Fév 21, 2016 1:13 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Ballet de l'Opéra de Lyon 20 au 27 février

Cette longue soirée qui avait pour ambition de dresser un panorama de la danse contemporaine parvient seulement à démontrer que après Forsythe ... c'est le déluge !

Il est assez crispant d'avoir à enfiler trois quasi-navets et deux entractes avant de pouvoir enfin fréquenter les sommets chorégraphiques avec One Flat Thing Reproduced.

On peut certes, avec pas mal de bonne volonté, trouver quelques qualités aux joliesses de Tania Carvalho ou à l'idée scénographique rapidement monotone de Lucy Guerin et Emmanuel Gat a une démarche chorégraphique plus intéressante, mais sa bande son est un ratage total, et on voit beaucoup de gesticulations et course-poursuites inutiles dans son ballet.


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juthri



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MessagePosté le: Mer Fév 24, 2016 1:38 am    Sujet du message: Répondre en citant

Je vais essayer d'être moins lapidaire que serge sur ce programme du Ballet de Lyon Smile

Le Ballet de Lyon est à l'affiche du Théâtre de la Ville pour une série de représentations d'un quadriptyque contemporain associant à un classique de son répertoire de William Forsythe One Flat Thing, Reproduced, un triptyque de créations propres, récentes, reprises de Black Box (2013) de l'australienne Lucy Guerin et de Sunshine (2014) de l'israélien Emanuel Gat, ou toute dernière en date comme Xylographie (2016) de la portugaise Tânia Carvalho.
Jolie prise de risque pour une compagnie au répertoire contemporain impressionnant et possédant surtout un taux très élevé de créations propres (près d'une sur deux), témoignage de son apport dans ce domaine, dans la ligne tracée par son directeur de la danse, Yorgos Loukos, en poste depuis 1991, mais habituée à présenter des programmes plus attendus lors de ses venues à Paris (Forsythe/Millepied la saison dernière par exemple).

Cette matinée de dimanche à la Ville, placée sous la présidence conjointe d'Aurélie Dupont et de Didier Deschamps (qui ont encadré Gat à l'entracte d'ailleurs), faisait donc figure de parcours de découverte de la danse contemporaine étrangère actuelle et ouvrait son triptyque par la création de Tânia Carvalho. Cette chorégraphe portugaise, connue principalement pour Weaving Chaos, pièce basée sur le thème de l'Odyssée mais au parti-pris figuratif, présenté en première mondiale à la Biennale de la Danse de Lyon (déjà), propose cette fois-ci une première création pour la compagnie au nom évocateur de Xylographie, autrement dit "gravure sur bois". Du "bois" il est question dans la scénographie mais plutôt au sens "forêt", et l'attirance sémantique vers le xylophone n'est pas hors de propos, car les plus jolies scènes semblent directement inspirées de la conception en lamelles progressives de l'instrument. Accentuée par le peu de musique à part quelques touches de piano, les nombreux silences et les bruits évoquant la chasse ou la déforestation, la scène suggère les ombres et reflets d'une sombre forêt, peuplée de créatures sauvages, incarnés par 18 danseurs divisés en trois groupes par les costumes (rouges/bruns/noirs). Les hommes figurent des fauves, les femmes des oiseaux, tous souvent inquiétants, malgré quelques touches de légèreté bienvenues, et le tout montre l'éveil d'une forêt sauvage, ses rituels, la recherche de la protection du groupe ou l'effroi de la nuit. L'imagerie qui s'en dégage est intéressante car assez différente de l'habituelle iconographie des contes traditionnels, plus picturale que photographique d'ailleurs, et ces faunes exotiques nous emmènent bien plus loin que le Portugal, vers des contrées où l'on danse autour d'un cercle de lumière et où les maquillages sont tribaux. La danse est découpée en trois parties, une première qui interpelle basée sur une multitude de mouvements qui se figent, là un saut, là une pirouette, danseur par danseur, selon une occupation disparate du plateau, et ces propositions unitaires et très statiques ont pour mérite principal d'installer l'environnement. La deuxième, la plus réussie, présente des suites de lignes de danseurs, figés encore une fois, mais constituant globalement des plans de décomposition d'un mouvement image par image, telle des photogravures aux temps de pose infiniment longs. La dernière partie plus néo-classique est basée sur des mouvements ondulants des danseurs par groupes, pendant lesquels les hommes se figeront parfois en poses suggérant l'agressivité autant que l'effroi, par des expressions de visages très accentuées. Basé sur l'allégorie de l'empreinte et la question de sa durabilité, cette première pièce apporte son lot de propositions différentes et s'avèrera par la suite être la plus réussie des trois nouveautés. Les danseurs sont à leur aise, investis théâtralement, dans lesquels on retrouve Dorothée Delabie notamment vue lors des adieux de Mats Ek, et leur nécessaire attention les uns aux autres pour danser synchrones dans le silence s'articule intelligemment avec le propos.

Le spectacle se poursuit avec Sunshine d'Emmanuel Gat, composition marqué par une divergence entre le visuel orienté urbain et l'auditif basée sur une répétition d'orchestre (celui de l'Opéra de Lyon lors de la création) avant une résolution synchronisée entre quelques mouvements fluides sur (enfin) quelques mesures de Georg Friedrich Haendel. La scène ressemble à une cour de récréation de 12 danseurs, en tenue de "surfeurs" (choisies par leur soin), aux magnifiques chaussettes multicolores favorisant les nombreuses glissades, et nous rappelle ses rites tout aussi païens : courses poursuites, force des groupes, domination, exclusion, ou amours naissantes fatalement mal vues par les autres. La chorégraphie est fondée sur une grande part d'improvisation des danseurs, à base de mouvements simples et principalement alimentés par l'énergie, certes généreusement dispensée par les interprètes : glissades donc, lancés et rattrapages acrobatiques, beaucoup de courses, mais assez inutiles, et globalement le tout sonne assez creux. Les sourires des danseurs sont les bienvenus et leur amusement apparent convient bien à l'aspect garnement de la pièce, qui n'est pas désagréable et propose même quelques idées validant la démarche, mais le plaisir peine à diffuser, la faute à l'incompréhension générée par la bande-son et son manque total de lien avec la danse, à part une allégorie du parcours vers la maturation artistique ?

La troisième pièce, attendue comme le sommet des découvertes du jour, fera malheureusement figure d'archétype de la fausse bonne idée. L'idée de la création repose sur une scénographie décrite dans le titre : une boîte noire, qui par séquences va s'élever vers les cintres pour projeter un puits de lumière révélant ainsi la scène des danseurs, de 1 à 12 habillés de combi-short de toutes les nuances de gris, pour ensuite les engloutir en redescendant sur eux, et remonter pour laisser apparaître une nouvelle scène constituée différemment dans les limites de ce halo carré renouvelé, et ainsi de suite. Jouant sur le plaisir régressif de la découverte répétée, cette boîte sensée être magique se transformera rapidement en piège à l'élan chorégraphique qu'elle aurait pu susciter. La faute principalement aux trop longues secondes pendant lesquelles la boîte reste figée au sol, imposant le noir complet, pour permettre aux danseurs de quitter le dispositif scénique et laisser leur place aux suivants. Sans compter que les mouvements descendants puis ascendants de l'appareil captant l'attention et écrasant les saynète proposées, à chaque itération plus de 30 secondes s'écoulent entre chaque proposition de danse. Et comme la composition musicale qui accompagne la pièce, combinaison d'une vibration vaguement évolutive et d'un batteur obnubilé par son charleston, s'écoule inexorablement au même rythme, le manque de rupture proposé ne permet pas à l'intensité de rebondir, ou à l'imaginaire d'être sollicité pour deviner la scène à venir. A noter que cette absence de découpage musical est nécessaire pour laisser la liberté au machiniste de manœuvrer son dispositif une fois tous les danseurs à l'intérieur de la boîte, la fin de la pièce étant d'ailleurs marquée par un simple diminuendo de la bande-son. Après un premier solo désarticulé de la danseuse la plus immaculée, puis les scènes d'ensemble, dont une figée et une jolie course carrée en miroir de deux danseurs, le danseur en noir restera enfin prisonnier de l'extérieur de la boîte, tournera hagard tout autour, se fera avaler lors du prochain mouvement, et une dernière élévation révélera une scène vide. La progression est intéressante, la gestuelle également, accentuant la précision du travail des jambes et pieds nus qui restent de fait les parties les plus longtemps visibles. Le dispositif finit par évoquer une pièce très froide, de par son agressive blancheur intérieure, une cellule, d'hôpital éventuellement psychiatrique (l'infirmière initiale et le prisonnier final). L'idée était alléchante, mais les contraintes de réalisation technique, entre difficultés de répétition (le dispositif exige une cage de scène imposante) qui n'aident pas au réglage des entrées/sorties des danseurs (renouvelés depuis la création) et allongent les temps de transition, sans compter les entractes avant et après pour la mise en place, semblent disproportionnés pour la qualité du résultat final, auquel on aurait pu adhérer si les scènes s'étaient juste enchaînées de façon plus captivante. Car l'univers finalement très kafkaïen est prenant, malgré une idée de départ évoquant le jeu, et finit par nous offrir une réflexion sur le "je" : notre propre intérieur, qu'on voile et et que d'autres dévoilent suivant un certain voyeurisme, ou sur l'abstraction de l'inconnu au-delà de notre spectre de connaissance, sombre mais à explorer. L'albanais Edi Blloshmi porte ce ballet avec la canadienne Jacqueline Bâby, comme les deux premiers d'ailleurs (en compagnie de l'américaine Kristina Bentz et du cubain Leoannis Pupo-Guillen principalement).

Après le dernier entracte, place au plat de résistance du programme, One Flat Thing, Reproduced de William Forsythe donc, qui inflige toujours la même claque. Parfaitement interprété par les 14 danseurs au sommet de leur investissement, ce chef d'œuvre construit autour de 20 tables métalliques créant un deuxième niveau de plateau scintillant, mais aussi des espaces vides à emplir, par la circulation, les bonds ou les étirements des danseurs multicolores, promène sa force d'impact sur toute sa durée sans la moindre pause, porté par une musique signée par Thom Willems, urbaine et déflagratoire. La virtuosité de l'écriture, des placements, de la stimulation constante des sens laisse pantois, et si on prend le temps de s'attarder sur un danseur et suivre ses cheminements dans le dédale des tables entre deux scènes, l'inventivité de l'occupation des différents espaces dévoile une intelligence remarquable. Au delà de la question du talent du chorégraphe, c'est celle du travail en particulier de l'écriture qui impressionne, y compris dans les détails : pourquoi avoir choisi seulement 14 danseurs pour 20 tables par exemple alors qu'il aurait été si simple de proposer du un pour un ? Cette question renvoie évidemment aux trois premières pièces vues en hors d'œuvre : si les idées sont bien présentes à chaque fois, on les voit constamment, et éventuellement on devine ce que cela aurait pu donner si seulement... Pas chez Forsythe : la vague du rendu final submerge immédiatement aussi surement que les tables sont brutalement propulsées en scène, et chercher à remonter aux idées ou au propos n'est finalement même pas nécessaire tant la proposition travaillée, vive, acérée, aiguisée, suffit au plaisir. D'ailleurs qui se souvient que l'éclat métallique des tables est sensé représenter l'horizon d'une banquise ? Fluidité des chocs, manifeste du désordre rangé, gymnastique des articulations entre les danseurs, labyrinthe dans lequel onc ne se perd, rencontres hasardeuses maîtrisées, tout concourt à transmettre une extrême sensation de vitalité.
En plus des incontournables Bâby et Pupo-Guillen (2h30 à cette intensité tout de même pour la première...), Chiara Paperini, Tyler Galster ou Marco Merenda se remarquent dans le registre de l'élégance malgré l'engagement.

En résumé ce programme offre trois découvertes intéressantes, même si de peu de poids face au chef d'œuvre final, qui suffit d'ailleurs à lui seul à rendre réussie cette soirée, en forme de voyages dans l'actualité chorégraphique, qui prouvent aussi qu'on est finalement plutôt bien à la maison (celle de Forsythe évidemment, mais aussi celle des jeunes chorégraphes français). Programme contrasté donc, mais au riche sens du terme.


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haydn
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MessagePosté le: Jeu Fév 25, 2016 8:57 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Les critiques de juthri, alias Xavier Troisille, sont maintenant en ligne sur le site de Dansomanie avec les illustrations ad hoc :




    15 février 2016 : Tenir le temps, de Rachid Ouramdane, au Théâtre de la Ville (Paris)

      Au moment même de sa prise de fonction au CCN Grenoble conjointement avec Yoann Bourgeois, Rachid Ouramdane nous invite à venir Tenir Le Temps au Théâtre de la Ville où il était jusqu'à présent artiste en résidence. Ironie du calendrier, il succède à Jean-Claude Gallotta qui nous proposera lui sa dernière création à partir de la semaine prochaine au Théâtre des Abbesses.

      Ce chorégraphe s'est fait connaître principalement par des œuvres pluridisciplinaires, mêlant créations vivantes et installation vidéo, de quasi documentaires reposant sur de minutieux témoignages d'histoires ou de souffrances humaines. Il a aussi longtemps instauré un partage de la scène entre artistes professionnels et amateurs, pour mieux transcrire en scène différents débats de société, autour des sentiments d'urgence, de violence, de différences de cultures, mais aussi de remise en perspective historique ou géographique. Une forme de quête d'identité(s) via la danse. Depuis quelques pièces, il s'est orienté vers des chorégraphies plus dansantes, au travers notamment d'une œuvre pour le Ballet de l'Opéra de Lyon de 2014, Tout Autour, pour 24 danseurs, ou une pièce intimiste et pudique pour deux danseuses cette fois, Tordre...

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    Le Ballet de l'Opéra de Lyon au Théâtre de la Ville - 21 février 2016 : Carvalho / Gat / Guerin / Forsythe au Théâtre de la Ville (Paris)

      Le Ballet de Lyon est à l'affiche du Théâtre de la Ville pour une série de représentations d'un quadriptyque contemporain associant à un classique de son répertoire de William Forsythe One Flat Thing, Reproduced, un triptyque de créations propres, récentes, reprises de Black Box (2013) de l'australienne Lucy Guerin et de Sunshine (2014) de l'israélien Emanuel Gat, ou toute dernière en date comme Xylographie (2016) de la portugaise Tânia Carvalho. Jolie prise de risque pour une compagnie au répertoire contemporain impressionnant et possédant surtout un taux très élevé de créations propres (près d'une sur deux), témoignage de son apport dans ce domaine, dans la ligne tracée par son directeur de la danse, Yorgos Loukos, en poste depuis 1991, mais habituée à présenter des programmes plus attendus lors de ses venues à Paris (Forsythe/Millepied la saison dernière par exemple)...

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juthri



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MessagePosté le: Lun Fév 29, 2016 1:40 pm    Sujet du message: Répondre en citant

En ce début d'année, Jean-Claude Gallotta emmène ses anciens danseurs du CCN Grenoble au Théâtre des Abbesses (scène partenaire du Théâtre de la Ville) sous le nom originel de Groupe Emile Dubois pour interpréter sa dernière création, L'Etranger, d'après le roman d'Albert Camus.

Les notes d'intention du chorégraphe annoncent clairement d'emblée qu'il s'agit d'une œuvre de circonstances, au pluriel, car il s'agit à la fois de créer une pièce pour les danseurs avec il partage un long compagnonnage, mais aussi d'une création inspirée par son histoire personnelle récente, au travers du décès de sa mère, qui entre en résonance avec la première phrase du roman de Camus. C'est avec curiosité que l'on se rend dans le petit théâtre de Montmartre à la façade "néoclassique", car la proposition est alléchante, et les chorégraphies de Gallotta restant abstraites, on se demande comment il va transposer en scène la galerie de personnages de l'œuvre initiale.

La première scène est une introduction au sujet, évocation du lien entre les souvenirs de Gallotta et le roman, avec projection de photos familiales de la mère disparue. Elle fait immédiatement place aux trois danseurs prenant possession de la scène nue, noire, à l'éclairage blafard, et commençant à danser avec un accent inattendu sur le travail des bras, longs et ondoyants, évoquant ainsi, sur une mélopée orientale, des oiseaux de mer ou du désert. Cette première danse réussit à nous transporter dans cette Algérie en sépia qu'évoquent les souvenirs du roman, y compris physiquement : on en entend les odeurs, on en sent les couleurs.

Les scènes suivantes seront une alternance de lectures en voix off de passages marquants du roman sur un fond d'images vidéos alliant images d'archives ou bouts de films, et courtes scènes de danse illustrant le passage narré, mis en musiques par un patchwork de thèmes sans lien évident entre eux. Le tout colle à la trame narrative du roman, mais en privilégiant l'évolution de l'action au détriment de la réflexion. Et cette relecture dansée cumule malheureusement les défauts. Le premier d'entre eux étant le choix de cette restitution : s'attaquer à un monument et commencer par en lire des passages avant de les montrer en danse relève d'un pari impossible. D'autant que la danse de Gallotta, toujours aussi minimaliste et abstraite, sans recours à de quelconques moyens matériels, peine à figurer le caractère grandiose de l'œuvre. Et en faisant le choix de l'illustration narrative, elle laisse de côté tout le pan philosophique du livre, la réflexion sur l'arbitraire ou le parcours vers la conscience. Au final ne subsiste que l'histoire, basée sur un fait divers d'une sordide banalité.

Ecrasée par la force verbale du roman, les scènes de danse apparaissent tout au plus des saynètes illustratives, voire des intermèdes, car elles manquent trop de substance par rapport à la force des mots prononcés. Cette opposition entre écriture blanche de l'un et scénographie sombre de l'autre ne parvient pas à créer un contraste symbiotique, mais souligne simplement la puissance de la première. On se perd d'ailleurs vite sur l'intention du chorégraphe, de restituer l'œuvre en danse ou d'en donner sa propre lecture ? A force d'alterner entre le texte brut, des images projetées empruntées à d'autres (de Fellini à Fernandel...), et une danse qui figure l'action mais sans la raconter, on se perd dans une lecture où l'on se demande si l'on est dans la tête de Meursault, dans celle de Gallotta ou dans celle de l'interprète... En atteste l'hyper-sexualisation de la proposition, tant au niveau fantasmé (œdipe, femme-objet) que visuel, avec moult passages suggestifs, dont l'un avec des chiens en peluche, accessoires aussi incongrus que le couteau en plastique utilisé pour la scène de la mort. La mise en scène de la prostitution au travers d'un pas de deux très physique entre les interprètes féminines, en petites robes noires et bâillons blancs, sur un fond vociférant de métal gothique, a un impact certain, mais ne convainc pas pleinement dans un tel contexte.

Outre la scène initiale, dont le sens s'appuie sur une matière autobiographique, et tout en étant hors contexte de l'œuvre, lui donne un prolongement en scène, seule l'avant-dernière scène, figurant un couple qui se frôle, avec à nouveau un important travail des bras du danseur, qui ne parvient jamais qu'à frôler sa partenaire évasive, crée une certaine atmosphère onirique. Evoquant l'esprit du narrateur qui vagabonde dans ses rêves de liberté et leur matérialité (étoffe épousant le corps de la femme, volute de la cigarette...), elle parvient enfin à tisser le lien entre la danse et le texte, et en se glissant dans ses silences, à en projeter l'émotion.

S'il faut saluer la fidélité du chorégraphe à ses danseurs, qui lui rendent bien par leur investissement, même si je les avais trouvés plus à l'aise en dandy et groupies rock dans My Rock, la précédente pièce de Gallotta, leur composition (deux femmes et un homme) ne paraît pas adaptée au parti-pris choisi et l'ensemble pâtit également de cette inadéquation, sauf dans les quelques scènes qui tendent vers l'abstraction et non l'illustration, seuls passages consistants de la pièce propices à quelques instants de grâce. Ne trouvant que trop rarement la bonne distance entre narration fidèle et relecture personnelle, cette pièce ne parvient globalement pas à toucher l'intime du « passager de tramway » venu y assister.


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haydn
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MessagePosté le: Mar Mar 08, 2016 10:30 am    Sujet du message: Répondre en citant

La critique de juthri alias Xavier Troisille est en ligne, avec les illustrations :




    23 février 2016 : L'Etranger, de Jean-Claude Gallotta, au Théâtre des Abbesses (Paris)

      En ce début d'année, Jean-Claude Gallotta emmène ses anciens danseurs du CCN Grenoble au Théâtre des Abbesses (scène partenaire du Théâtre de la Ville) sous le nom originel de Groupe Emile Dubois pour interpréter sa dernière création, L'Etranger, d'après le roman d'Albert Camus.

      Les notes d'intention du chorégraphe annoncent clairement d'emblée qu'il s'agit d'une œuvre de circonstances, au pluriel, car il s'agit à la fois de créer une pièce pour les danseurs avec il partage un long compagnonnage, mais aussi d'une création inspirée par son histoire personnelle récente, au travers du décès de sa mère, qui entre en résonnance avec la première phrase du roman de Camus. C'est avec curiosité que l'on se rend dans le petit théâtre de Montmartre à la façade "néoclassique", car la proposition est alléchante, et les chorégraphies de Gallotta restant abstraites, on se demande comment il va transposer en scène la galerie de personnages de l'œuvre initiale.

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juthri



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MessagePosté le: Mar Mar 15, 2016 2:31 am    Sujet du message: Répondre en citant

Jour de grève dans les transports en ce mercredi 9 mars, mais pas pour le public de danse qui trouve le moyen de garnir très convenablement la grande salle de la MAC Créteil qui présente en partenariat avec le Théâtre de la Ville la compagnie Marie Chouinard pour un programme mixte. L'accueil dans le théâtre est embelli d'une jolie exposition de photographies intitulée Tropiques du Grand Nord, tranches de vie quotidienne au Groenland et en Sibérie, histoire de mettre le spectateur en température canadienne. Au-delà de son partenariat avec le Théâtre de la Ville la MAC dispose également de sa propre programmation, dont dans les semaines à venir la dernière création du duo Adrien M/Claire B (les "animateurs" de Pixel), ou dans le cadre du festival Exit la reprise de Déesses & Démones ou la nouvelle création de David Wampach.

Deux pièces composent la présente soirée, toutes deux chorégraphiées par Marie Chouinard : sa version du Sacre du Printemps, un de ses classiques (1993), et Henri Michaux : Mouvements, plus récente et surtout composée à partir non pas d'une musique mais de l'essai éponyme, qui regroupe pages de dessins et long poème. Le choix de l'ordre inhabituel des deux pièces peut paraître surprenant, mais l'anticonformisme étant marque de fabrique de la chorégraphe, pourquoi pas, d'autant plus que la découverte du deuxième ballet au propos très étrange excite la curiosité.

Dès que résonnent les premières mesures de l'œuvre de Stravinsky, le rideau se lève sur la première scène, qui constituera le motif quasi unique de l'ensemble de la pièce : une danseuse vêtue d'une seule culotte noire, les cheveux tressés en cornes, les yeux maquillés de rouge, prise dans le faisceau d'un projecteur vertical statique aux tons ocres, qui se lancera dans un solo de plus en plus remuant, tout en restant confinée dans ce petit rond de lumière. Etirements des membres jusqu'au bout des doigts, passage d'une position fœtale à la station debout, pas saccadés hésitants, tout évoque l'éveil de la vie, et d'une vie qui rappelle étrangement celle du faune, tant par les attitudes marquées ou l'androgynie que les positions souvent de profil que l'on croirait tout droit sorties d'une amphore grecque. Ce solo va se prolonger, ou parfois se démultiplier, par les autres danseurs, tous dans le même appareil et chacun dans son propre espace de lumière. Ces successions de soli qui tendent à n'en faire qu'un se démarquent par la singularité des mouvements proposés, leur vivacité et leur amplitude malgré le peu d'espace accordé à chacun, et surtout par le sentiment d'unisson avec les accords musicaux qui en émane. La chorégraphe suit quasiment le principe "une note = un geste" et parvient à rendre en images organiques l'abstraction de la partition.
L'ensemble est sombre, du fait d'une scène obscure, uniquement zébrée d'au maximum seize spots de lumière très mate, conforté par cette musique enregistrée dont la diffusion gomme le brillant que pourrait transmettre un orchestre, mais la nudité des corps confère beaucoup de chaleur à l'ensemble. Parfois la scénographie brise sa continuité, une danseuse sort de son cercle pour pénétrer dans le suivant, une autre traverse le plateau dans une lumière plus conventionnelle, aux tons toujours profonds, verts ou bleus, évoquant quelque forêt primitive, ou un danseur se blottit dos au public immobile face aux autres danseurs ayant investi le plateau pour un unisson de plus en plus violent. L'aspect bestial prime sur l'aspect tribal, car si parfois les corps sont en rut, voire en position de coït, les rencontres sont des combats de centaures, poitrine contre poitrine, ou des face contre face, figurant le primate se découvrant dans un miroir plus qu'une révélation d'autrui. Une reine de la forêt, au corps ramifié de cornes, fera son apparition, et son effet sur ses congénères, mais les pas de deux ou de trois entrepris resteront dans le ton de la symbiose végétale. Quelques danseurs s'empareront à leur tour d'une ou deux cornes en guise d'appendices, posées sur le front ou le sexe, pour au final se regrouper, cornes sur les deux tempes, en une valse d'un troupeau de vikings, seule référence plus ou moins explicite à une conscience collective.
Le langage chorégraphique est très particulier, purement contemporain, assez éloigné des bases académiques malgré quelques jetés ou changements de pieds rapides, fait d'une multitude de gestes pour un minimum de déplacements. Le tout est très personnel, tout au plus on pense parfois à Béjart dans ses chorégraphies les plus tribales. L'écriture repose sur une diffusion sur le plateau constante et cohérente malgré son occupation par un danseur très souvent seul, des ensembles qui même lorsqu'ils s'harmonisent apparaissent malgré tout disjoints, et des danseurs qui enchaînent une partition continue mais restent tous singuliers. Mystère de l'oxymore permanent, le rendu est autant fluide que martelé, immobile qu'impulsé, la nudité n'est ni crue ni sensuelle, et il en résulte une impression de rupture continuelle, finalement très en phase avec la partition "classique avant-gardiste" de Stravinsky. Ici pas d'élue ou de sacrifice invoqué, pas de rite païen ou d'enjeu idéologique, le parti-pris de gommer toute référence narrative, cognitive ou collective pour la simple expressivité de la danse peut dérouter, mais est dans le ton de toutes les relectures du Sacre de l'ère du ballet contemporain, et à ce jeu-là la pulsion animale convoquée par Marie Chouinard y tient une place de choix.

En deuxième partie de programme, place à la découverte d'Henri Michaux : Mouvements, pièce imaginée par la chorégraphe comme l'illustration très littérale du contenu de ce recueil de centaines de dessins à l'encre de Chine et d'un poème d'Henri Michaux, poète des signes autant que peintre des mots. Tout commence par la couverture du livre projetée au loin, puis une page blanche apparaît, en même temps qu'entre en scène une danseuse, vêtue d'une combinaison noire, en haut à gauche d'un tapis de danse resserré et immaculé figurant en écho la page vierge. Un premier dessin est projeté, forme abstraite vaguement humanoïde, et l'interprète après l'avoir lentement regardé, va reproduire la forme immobile quelques secondes comme une tâche d'encre incarnée. Très vite un deuxième graphe est projeté et la danseuse le reproduira à son tour un peu plus à droite. A chaque nouveau signe, un déplacement et une nouvelle interprétation de la forme est proposée, en respectant sur le tapis la disposition de la page jusqu'à courir de cour à jardin pour figurer le retour à la ligne. Ce procédé se répète toute la première partie, avec un nouvel interprète pour chaque nouvelle page, sur un rythme très rapidement intense, porté par une composition musicale basée sur une vitupérante rythmique de metal, à tel point que le regard ne peut plus alterner entre la projection du nouveau dessin et sa reproduction vivante, pour ne plus suivre que l'interprète. Chaque dessin devient une pose, parfois dynamique (tressautement des jambes, ondulation des bras, ou figuration d'un élan), parfois statique, mais avec l'idée de laisser deviner un mouvement, par un bras qui s'étire, ou une position instable sur la pointe des pieds. Les représentations sont tantôt abstraites, de simples corps en mouvements, tantôt plus figuratives, ondulation d'une vague ou animal sagement représenté.
Viendra une pause bienvenue, qui verra une danseuse s'arrêter net devant une page blanche, sur laquelle tarde à s'inscrire une nouvelle calligraphie, révélant l'angoisse du manque, de l'héroïne ou de la chorégraphe, instant suspendu, sans doute le moment le plus humain, dans ce déluge d'images à l'ambiance noire et blanche très clinique. Les figures du peintre sont plus un mélange entre Jérôme Bosch et Paul Klee, mais le jeu de l'interprétation confère à l'ensemble l'image d'un gigantesque test de Rorschach. La folie n'est jamais loin, les volutes de la drogue non plus, même si l'humour transparaît parfois, tous portés par la symbolique du cri, qui constitue l'une des bases des formes interprétées, via des bouches démesurément ouvertes, ou des cris d'animaux accompagnant les signes les figurant.
Dans cette frénésie du tout, la chorégraphe inclut le poème central de l'œuvre, déclamé avec fougue par une danseuse qui s'enroule sous le tapis de danse, tandis que ses partenaires continuent de dérouler les pages des graphies, cette fois par duo ou trio pour figurer des signes de plus en plus complexes.
Toujours dans cette course vers encore plus d'intensité, les dernières pages convoquent sur scène tous les danseurs simultanément pour animer chacun son signe.
Et quand toutes les pages ont été consommées, tout recommence, encore plus vite !
On revient à la scénographie du Sacre : un unique cercle lumineux mat, un danseur ou deux à l'intérieur, corps nu mais culotte chair, les dessins sont projetés inversés l'un chassant l'autre, et les danseurs qui se succèdent dans le spot sont pris d'une transe gestuelle, dont les poses sont marquées par l'effet stroboscopique du projecteur. La rythmique metal est exaltée, et un narrateur en voix-off lira par-dessus le tout la postface du livre qui révèle qu'il y avait en réalité 1200 pages calligraphiées par Henri Michaux, et que ce dernier a souvent le corps très loin de sa tête ! Noir, silence, rideau, ouf ! mais quelle chevauchée conduite à partir de ces quelques traits ou tâches minimalistes !
Cette pièce est une création forcément stupéfiante, un pari fou de faire ressortir le mouvement contenu dans de simples calligraphies, au travers d'une succession de poses qui elles-mêmes figurent les mouvements plus qu'elles ne les dessinent, en jets de gestes plutôt que ballet. La choix musical heurte dans un premier temps, car on imaginerait une mélopée plus sensuelle et délicate, plus évocatrice également, mais il est justifié par le besoin d'une pulsation intense pour conduire les enchaînements et deux strates de lectures étant déjà proposées par le visuel, une troisième par la musique aurait été de trop. La succession d'effets impressionne, même si le manque de temps accordé à chaque dessin génère un vague sentiment d'oppression et s'il faut beaucoup d'acuité pour réussir à tous les saisir, mais ces trépidations qui s'effacent aussi vite qu'elles n'apparaissent incarnent finalement parfaitement le rapport au temps d'Henri Michaux, tout comme son refus de la postérité.

Ces deux pièces agencent au final une soirée très cohérente, non seulement parce que le final de la seconde renvoie à l'atmosphère de la première, mais surtout par leurs bases communes : la vision rythmique des partitions, le solo en proposition principale, et le choix de figurer jusqu'à la quasi identité l'œuvre éponyme, musique ou livre. Il s'agit peut-être de leur principal défaut commun, de rester, malgré l'anti-conformisme du rendu, très "conforme" dans leur principe : le Sacre est un unisson permanent entre musique et danse, et mêmes les contrepoints suivent l'évolution de la partition. Quant à Mouvements la chorégraphie suit à la lettre, fut-elle graphique, le livre d'Henri Michaux. Le deuxième défaut commun vient du rythme qui doit être toujours maintenu pour donner la tenue à l'ensemble, par la frénésie de la gestuelle pour faire vivre le solo conducteur dans la première et les enchaînements hâtifs dans la deuxième, et entraîne dans une course en avant qui oublie parfois de prendre le temps nécessaire pour s'élever vers du propos au delà du figuratif.
L'interprétation repose sur quelques caractères hautement trempés, et maîtrisant parfaitement le langage particulier de la chorégraphe, Carol Prieur en tête, partenaire de longue date et très à l'aise également micro en main, Valeria Galluccio, Megan Walbaum ou encore une Paige Culley très investie dans la scène finale. Si quelques pas mal assurés ou des placements hésitants trahissent un léger manque de répétition en commun, le charisme de chacun permet de balayer ces légères scories.
Globalement la soirée reste saisissante, tant dans l'intensité continuelle des images proposées qui vous happe sans relâche, que pour la singularité de la gestuelle de Marie Chouinard, qui donne un sens très fort à la notion de graphie des corps.


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haydn
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MessagePosté le: Jeu Mar 17, 2016 3:54 pm    Sujet du message: Répondre en citant

La version illustrée de la critique de Xavier Troisille sur le spectacle de Marie Chouinard est maintenant en ligne :




    09 mars 2016 : Le Sacre du printemps et Mouvements de Marie Chouinard, à la MAC de Créteil

      Jour de grève dans les transports en ce mercredi 9 mars, mais pas pour le public de danse qui trouve le moyen de garnir très convenablement la grande salle de la MAC Créteil qui présente en partenariat avec le Théâtre de la Ville la compagnie Marie Chouinard pour un programme mixte. L'accueil dans le théâtre est embelli d'une jolie exposition de photographies intitulée Tropiques du Grand Nord, tranches de vie quotidienne au Groenland et en Sibérie, histoire de mettre le spectateur en température canadienne. Au-delà de son partenariat avec le Théâtre de la Ville la MAC dispose également de sa propre programmation, dont dans les semaines à venir la dernière création du duo Adrien M/Claire B (les "animateurs" de Pixel), ou dans le cadre du festival Exit la reprise de Déesses & Démones ou la nouvelle création de David Wampach.

      Deux pièces composent la présente soirée, toutes deux chorégraphiées par Marie Chouinard : sa version du Sacre du Printemps, un de ses classiques (1993), et Henri Michaux : Mouvements, plus récente et surtout composée à partir non pas d'une musique mais de l'essai éponyme, qui regroupe pages de dessins et long poème. Le choix de l'ordre inhabituel des deux pièces peut paraître surprenant, mais l'anticonformisme étant marque de fabrique de la chorégraphe, pourquoi pas, d'autant plus que la découverte du deuxième ballet au propos très étrange excite la curiosité.

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serge1 paris



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MessagePosté le: Dim Mai 08, 2016 11:09 am    Sujet du message: Répondre en citant

Pina Bausch. Agua. 7 mai.

Un spectacle foisonnant, très long (2H50), avec une place donnée à la danse plus importante qu'à l'ordinaire et de nombreux solos virtuoses.

On finit évidemment par céder aux charmes de Pina Bausch et les danseurs sont au sommet de leur forme comme ces grands crus qui se bonifient en vieillissant.

Je ne suis pas vraiment parvenu à m'inventer mon propre fil conducteur comme cela arrive habituellement avec Pina Bausch et Agua m'est apparu comme un somptueux et abondant cahier d'esquisses.

L'utilisation massive de la vidéo donne un peu le mal de mer avec un vertige du mouvement qui interfère assez avec la danse.

Comme toujours c'est complet...


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serge1 paris



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MessagePosté le: Mar Mai 31, 2016 2:03 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Hofesh Schechter. Barbarians. 30 mai.

Ce chorégraphe s'est créé une place au soleil parmi ceux qui sont supposés écrire le futur de la danse contemporaine.

On est donc toujours tenté de choisir son spectacle à l'heure où il faut boucler un abonnement. Pourtant, j'avais fait l'impasse l'an dernier car la bande son du précédent spectacle où il balançait sauvagement des kilos de décibels à l'assaut de nos tympans m'avait laissé un souvenir douloureux.

C'est rebelote avec Barbarians en trois parties.

Mais c'est en définitive la musique dont il est le créateur qui est la partie la plus intéressante du spectacle. Très belle gestion des lumières aussi de Lawrie Mc Lennan.

Les spectacles de Schechter sont systématiquement construits autour de contrastes brutaux côté son et lumières et si on aime l'alternance "caresse-coup de poing", on est assuré de passer un grand moment...

En ce qui concerne la danse, pas mal de dynamisme, mais ce n'est pas vraiment mémorable et en tout cas très en deçà des événements son et lumières.

Une troisième partie très réussie quand même... construite autour d'un pas de deux grotesque et sublime à la fois.

Par contre, on se passerait volontiers des quelques commentaires en voix off plutôt prosaïques et assez nombrilistes .


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juthri



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MessagePosté le: Jeu Juin 02, 2016 1:12 am    Sujet du message: Répondre en citant

Reprenant la formule de l'an passé, le Théâtre de la Ville invite le Tanztheater Wuppertal pour deux séries de représentations dont l'une délocalisée au Châtelet, avec au programme Água et Auf Dem Gebirge Hat Man Ein Geschrei Gehört ou, en français, "L'eau" et "Sur la montagne on entendit un hurlement". La première des deux s'ouvrait le 07 Mai au Théâtre de la Ville qu'on l'on pourrait rebaptiser "Temple de la Ville" tant les spectacles de Pina Bausch y génèrent toujours une atmosphère particulière. Água ne déroge pas à la règle, d'autant plus que la scène a été allongée au maximum vers la salle, et vient se heurter aux gradins supprimant de fait les trois premières rangées de sièges et obligeant le spectateur à marcher sur le plateau immaculé pour gagner son escalier, le renvoyant aussitôt à la vague sensation du touriste déambulant dans un lieu de culte.

De tourisme il sera question dans cette œuvre créée en 2001 qui appartient au cycle des pièces voyageuses de la chorégraphe, initié dès 1986 et Viktor sur Rome, qui sera d'ailleurs présenté en septembre au Châtelet pour l'ouverture de la saison itinérante 16/17 du joliment appelé "Théâtre dans la Ville", et surtout avec Palermo Palermo en 1989 sur la Sicile. Au-delà du repère temporel, ces pièces se caractérisent par une rupture de style et un retour progressif à une plus grande présence de la danse, mais portée essentiellement par des solos et non plus les ensembles processionnels souvent accompagnés de légers mouvements de bras ou de mains, qui seront à l'honneur dans Gebirge, pièce de la pure période Tanztheater (1984).

Dans la continuité de ce proscenium circulaire très avancé, la scène est totalement blanche et fermée par un mur incurvé quasi continu, pour une forme d'hémicycle géant support à une projection anamorphique de prises de vue brésiliennes. Celles-ci sont marquées par un mouvement continu quasi permanent et une obsession pour la répétitivité (les branches d'un même palmier en gros plan pendant près de trente minutes, des enfants dansant une samba inaudible en boucle, des pêcheurs ballottés par les vagues ou le survol du Mato Grosso et de l'Amazone sans que l'on sache très bien distinguer s'il s'agit de nouveaux paysages ou d'une boucle d'images). Elles génèrent d'emblée ce laisser-aller vers le mouvement et l'attraction de l'élément liquide, qui tranchent si fortement avec les scénographies aussi figées qu'accessoirisées habituelles dans les décors de Peter Pabst. Les costumes des interprètes seront eux très conformes aux productions standard de Marion Cito avec ces robes systématiquement longues pour les dames, mais en cette latitude les hommes ont eux délaissés le complet pour la chemisette. L'accompagnement musical sera composée d'un patchwork de musiques traditionnelles brésiliennes rythmées ou de mélodies plus populaires, mais aussi d'un jazz équatorial lancinant jusqu'à un blues obsédant, mais l'originel, celui du delta, qu'importe qu'il ne soit pas du même fleuve.

La pièce s'ouvre par un premier solo de danse, confié à Regina Advento, la brésilienne de la compagnie, qui introduit la gestuelle connue, buste renversé tête en arrière, mais mâtinée ici d'une énergie lui conférant un côté très terrestre, qui tranche avec le thème de l'œuvre. Suivront plusieurs solos intégrant le langage de la chorégraphe à la gestuelle propre des interprètes et parfois surprenants de virtuosité, entrecoupés systématiquement par des saynètes théâtrales mettant en scène les classiques bauschiens par le mime ou la parole : folie, violence, désir, nostalgie, amour et évidemment humour. A ce jeu les interprètes historiques s'imposent assez largement comme Julie Shanahan, impeccable de distinction et d'élégance tout en découpant rageusement une table en bois à la scie ou Cristiana Morganti, aussi volubile au théâtre que moelleuse dans sa danse. Quelques scènes dansées à plusieurs viennent rompre cet agencement cyclique, à deux avec Jorge Puerta Armenta et Daphnis Kokkinos dont la gestuelle dansée en fait peut-être l'interprète masculin le plus proche de la source, ou en groupe pour donner lieu à quelques sauts la tête en bas dans lesquels le physique atypique d'Anna Wehsarg la distingue tout particulièrement. Impossible de rendre compte de ces premières scènes sans citer les interprètes principaux, souvent les plus anciens, car ce sont eux qui tiennent à flot la première partie. Si tous parviennent à transmettre la flamme du Tanztheater, dans cette pièce seuls les plus vieux compagnons parviennent à mettre le feu au plateau. Non pas que cette dernière manque de talent, mais cette succession de solos dansés et de saynètes humoristiques semblent couler sans heurt (comme certaines sorties des danseurs souvent en catimini sans que l'on sache si leur solo est fini ou non), et sans la magie habituelle de la créatrice. On se prend même à penser à d'autres références chorégraphiques, les post-modernes américains, Alvin Ailey... ce qui est très rare dans ses pièces (c'est plutôt toujours l'inverse). Le clin d'œil à la superficialité du culte du corps fait sourire lors de la scène de la plage, mais on va à cette dernière en sofa blanc, sur fond d'images vidéos, ce qui renvoie à la superficialité du cliché que l'on visionnerait depuis notre vieille Europe.
Une scène d'anthologie, où la danse de Cristiana Morganti est constamment interrompue par Julie Shanahan qui vient nous confier ses regrets et traumatismes de jeunesse jusqu'à ce qu'une espiègle Ditta Miranda Jasjfi vienne lui piquer sa musique, marque l'apogée de cette partie, avec un solo d'Ophelia Young en robe blanche dans une scène soudainement vierge de toute projection et écarlate de blancheur, porté par une gestuelle minutieuse des doigts et d'inhabituelles inclinaisons de buste sur le côté. Mais globalement l'esprit brésilien ne transpire qu'assez peu dans ces survols des villes côtières qui restent à l'état de cartes postales. Dont la photo et le texte serait signés Pina Bausch tout de même, mais il y manque un surcroît d'âme pour permettre à la pièce d'atteindre le niveau auquel on est habitué.
Comme si l'insouciance et la légèreté n'était définitivement pas l'apanage naturel de la chorégraphe qui ne parvient pas vraiment à laisser sa pièce s'y abandonner. Et c'est lorsqu'elle va reprendre son travail de fouisseuse de l'âme humaine que l'intensité va faire un bond. Pour cela retour au terrain connu de la soirée européenne, qui pourrait avoir lieu n'importe où, pourvu qu'il y ait la misère affective, de l'alcool et des cigarettes, du rouge à lèvre et des talons aiguilles, et surtout des glaçons pour éteindre les braises du désir. Mais la toile de fond brésilien sera bien mise en scène, cette fois par une élévation des murs et l'abandon de fait de la vidéo pour laisser place à un décor de palétuviers en plastique pas très éloigné du jardin de Two Cigarettes in the Dark pour une soirée fustigeant collectivement le néo-colonialisme et se moquant individuellement de tous nos tics de société et de séduction. La solitude de la couche, constante chez la créatrice, sera aussi reprise à deux occasions. Et comme toujours chez l'allemande elle fait mouche en évoquant dans ce type de scène les failles et les incohérences de nos existences, ici le spleen qui s'empare systématiquement de l'expatrié malgré les attraits du "pays de rêve".

L'entracte coupera un peu cet élan retrouvé, mais avec une pièce de 2h50 il s'avère indispensable. Si l'on repart comme initialement avec quelques alternances de scènes de danse et de sketch, le mouvement entamé se poursuit en même temps que l'on quitte la côte pour s'enfoncer dans la forêt et remonter à la source du fleuve et en quête d'un quelconque mystère. Les danses s'enchaînent maintenant sur des images d'animaux, du vol d'ibis aux chimpanzés, jusqu'au jaguar projeté sur Helena Pikon, pas la moins féline. L'humour ne s'absente pas avec un pneu offert en guise de cadeau moquant la matérialité de l'existence, mis en balance avec le simple plaisir d'atteindre le sommet d'un mât de cocagne sans autre gain que saluer son voisin. Même si c'est encore une fois Cristiana Morganti qui emporte tout avec un numéro de touriste ayant trouvé une clairière idéale pour se reposer mais rencontrant mille difficultés à trouver le sommeil dans une jungle qui jacasse plus qu'elle ! Quelques passages moins réussis nous feront perdre par instant le cours de cette quête, comme l'apparition d'un Mowgli suspendu à son palmier ou une quotidienneté pas vraiment transcendée, mais la reprise des danses de groupes du début en séquencement accéléré autant que le flot des images d'avion remontant inexorablement le fleuve continuera de nous entraîner vers l'apogée de la scène finale.
Celle-ci débute par des jeux d'arrosage à partir de bouteilles renversées ou projetées les uns sur les autres, y compris par des projections buccales jusqu'à ce que la troupe de plus en plus joyeuse ne construise avec des gouttières en bois une cataracte limpide. Ces gosses, innocents et radieux, verront leurs jeux interrompus une première fois par un Michael Carter en costume, sombre pion figure d'autorité, mais probablement aussi du surmoi de Pina, qui ne se laisse pas aussi facilement aller au simple plaisir. Mais il quittera le plateau et avec lui toute réticence à la joie, pour une réouverture de cette source de vie, étape ultime du voyage, en forme d'exutoire atteignant enfin le mysticisme de cette contrée. Sur un plateau inondé, dans des tenues trempées et transparentes, les 25 interprètes se poseront enfin sur des tables de jardin petites et circulaires, comme autant de scènes réduites à l'échelle individuelle, et sur un blues profond et entraînant, pour une dernière danse "des pieds de table", ondoyante, jubilatoire et, à l'image de l'eau, purificatrice.

Cette pièce parvient dans sa deuxième partie à éviter l'écueil de l'écriture parfois automatique et au propos simplement esquissé des premiers enchaînements. Comme si Pina Bausch avait essentiellement retenu de la culture brésilienne le charme du plaisir immédiat, du renoncement et d'une grande absence de complexe. Alors pourquoi attaquer au scalpel de son écriture les défauts des hommes, universels, mais qui s'exposent ici avec sourire, innocence et gourmandise ? De par son univers, son thème sa danse profuse et son contenu touffu, Água, œuvre la plus accessible de son répertoire hors purs ballets, constitue une parenthèse heureuse et une parfaite introduction au travail de Pina Bausch. Contemplative sans virulence, plaisante mais pas bouleversante elle sera d'ailleurs le parfait contrepoint de Gebirge, deuxième partie du diptyque présenté par le Tanztheater Wuppertal qui, même soutenu par une composition moins puissante qu'à l'accoutumé, reste un régal pour tout amateur de théâtre vivant.


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haydn
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MessagePosté le: Sam Juin 04, 2016 10:20 am    Sujet du message: Répondre en citant

La critique de juthri (Xavier Troisille) est maintenant en ligne sur le site de Dansomanie, avec les photos :




    07 mai 2016 : Agua, de Pina Bausch, au Théâtre de la Ville (Paris), par Xavier Troisille

      Reprenant la formule de l'an passé, le Théâtre de la Ville invite le Tanztheater Wuppertal pour deux séries de représentations dont l'une délocalisée au Châtelet, avec au programme Água et Auf Dem Gebirge Hat Man Ein Geschrei Gehört ou, en français, "L'eau" et "Sur la montagne on entendit un hurlement". La première des deux s'ouvrait le 7 mai au Théâtre de la Ville qu'on l'on pourrait rebaptiser "Temple de la Ville" tant les spectacles de Pina Bausch y génèrent toujours une atmosphère particulière. Água ne déroge pas à la règle, d'autant plus que la scène a été allongée au maximum vers la salle, et vient se heurter aux gradins supprimant de fait les trois premières rangées de sièges et obligeant le spectateur à marcher sur le plateau immaculé pour gagner son escalier, le renvoyant aussitôt à la vague sensation du touriste déambulant dans un lieu de culte.

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serge1 paris



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MessagePosté le: Dim Juin 05, 2016 6:43 pm    Sujet du message: Répondre en citant

http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20160605.OBS1914/pina-bausch-la-transmission-d-un-art-unique.html

Pour les quelques fans de Pina et du Tanzteater...




Dernière édition par serge1 paris le Dim Juin 05, 2016 6:46 pm; édité 1 fois
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MessagePosté le: Dim Juin 05, 2016 6:59 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Merci pour ce long compte-rendu du spectacle Agua : j'ai eu la chance d'avoir pu assister à une représentation et je considère que c'est la plus belle soirée que j'ai passée cette saison. Cela m'a à la fois fait rire et rêver : j'en suis ressortie le coeur léger. Cela fait un bien fou !


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