blaesm
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Posté le: Lun Mai 01, 2017 3:53 am Sujet du message: |
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En attendant les retours de Karineguille et de JMJ, à moi de me lancer, de façon trop longue et confuse, après avoir vu deux représentations : la Première le 20 avril à 20h, et la matinée du samedi 22.
On retrouve dans ce « Don Quichotte » remonté par Kader Belarbi les qualités de « Giselle » et du « Corsaire », tant visuelles que diégétiques.
Comme dans ces deux œuvres, on assiste à une réduction du nombre de personnages, ce qui permet un resserrement de l’intrigue qui, s’il peut surprendre au début, permet une plus grande cohérence.
Ainsi, exit Espada, Gamache ou la Demoiselle d’Honneur de l’acte III : Basilio, devenu toréador, récupère la cape et l’entrée d’Espada, tandis que le Chef des Gitans prend son rôle dans les actes du suicide et du mariage ; Mercédès, devenue la compagne du Chef des Gitans et l’amie fidèle du couple, fait le lien entre tous les épisodes : elle accueille Kitri quand celle-ci sort de chez elle, s’impatiente avec elle du retard de Basilio, aide le couple à se débarrasser de Don Quichotte (devenu beaucoup plus encombrant, puisque c’est à lui que Lorenzo accorde la main de sa fille), soutient leur requête chez les Gitans, et les accompagne lors de leur retour en ville. Gamache disparaît donc au profit de Don Quichotte, qui, saisi par la ressemblance de Kitri avec Dulcinée, demande sa main à son père (qui la lui accorde immédiatement – comment refuser sa fille à un preux chevalier?). Exit aussi Cupidon, ce qui évite au public de passer tout l'acte des Dryades à se demander qui est qui. Enfin, ce sont les deux amies de Kitri des actes « espagnols », qui dansent ensemble la variation de la Demoiselle d’Honneur, résolvant ainsi le problème du grand pas final, dans lequel traditionnellement les deux meilleures amies de la mariée disparaissent, tandis qu’apparaît une jeune demoiselle d’honneur dont on ne sait ce qu’elle vient faire là (enfin, si, on le sait : elle vient danser une variation permettant à Basilio de reprendre son souffle en coulisse…). On comprend, bien sûr, les nécessités humaines de ce resserrement (Kader Belarbi n’a pas forcément un nombre suffisant de danseurs pour autant de rôles), mais l’intrigue en bénéficie aussi, séduisant plus facilement un public néophyte que les aberrations des apparitions / disparitions de personnages irritent parfois.
On retrouve aussi dans ce « Don Quichotte » la sensibilité de Kader Belarbi pour les lumières et les décors. « Le Corsaire » explorait le contraste entre un décor dépouillé , tout en blanc et bleu, et des costumes pleins de couleurs, le tout mis en valeur par un jeu d’éclairages très travaillé. « Giselle » continuait ce travail sur les éclairages (jamais scène du récit de la mère de Giselle ne m’avait paru aussi poignante), mais dans un décor de toiles peintes d’une grande finesse, qui apportait une profondeur de scène et une ambiance sylvestre bienvenue. Dans ce « Don Quichotte », c’est surtout dans l’acte II, celui des Gitans et des Naïades (puisque les Dryades, troquant leurs tutus pour de longues tuniques souples, ont quitté leurs arbres au profit des marais) qu’on a retrouvé ces qualités. En effet, pour les actes I et III, situés devant la taverne de Lorenzo, K. Belarbi a dû reprendre les décors très premier degré de la production précédente (une porte de ville, une auberge, et des étals de légumes et poissons en fond de scène) : au moins la scène du mariage y gagne-t-elle une cohérence dans l'intrigue (la fille de l'aubergiste se marie devant l'auberge de son père, et pas dans le palais de quelque duc rencontré par hasard...). L’arrivée nocturne chez les Gitans se fait dans une lumière bleutée (tout comme les costumes alors portés par Kitri et Basilio), à peine percée par la lanterne orange d’une roulotte, créant ainsi une ambiance à la fois intimiste et chaleureuse pour un pas de deux sensuel entre Kitri et Basilio. Le tableau se déploie ensuite quand arrive Don Quichotte, et la scénographie inventive joue sur les hallucinations d’un Don Quichotte mystifié : les Gitans se font passer pour des arbres, transforment leur roulotte en moulin, et Don Quichotte, à terre, voit apparaître des monstres ou des géants qui semblent tout droit sortis des tableaux d’Ensor (ou, plus prosaïquement, des cauchemars de Clara dans « Casse-Noisette »). Toute cette scène, dans des teintes bleutées nocturnes, conduit progressivement chez les Dryades, qui baignent dans une atmosphère bleu-vert et dont les éclairages contrastent avec les couleurs chaudes des actes "réels" (pardonnez cet abus de langage : il est tard et je ne trouve plus d'antonyme d' "onirique"...).
Ne connaissant que les versions Opéra de Paris et Bolshoi de « Don Quichotte », je me garderai bien de me lancer dans des considérations, forcément oiseuses, sur la réorganisation / adaptation / création de la chorégraphie. Je m’arrêterai seulement sur quelques détails qui ont attiré mon regard. Parmi eux, l’excellente idée d’associer à Dulcinée un leitmotiv musical (la phrase qui, dans la version Noureev, accompagne la disparition progressive des Dryades en formation triangulaire à la fin de l’acte) : chaque apparition de Dulcinée dans la pensée de Don Quichotte se retrouve ainsi annoncée et accompagnée par cette phrase, donnant ainsi aux spectateurs les clés pour mieux comprendre la fusion Kitri / Dulcinée : Kitri se couvre d’un voile, le leitmotiv se fait entendre, et voici Dulcinée. Parmi les beaux moments aussi, le pas de deux au châle chez les Gitans : moins tarabiscoté que chez Noureev, il donne une profondeur sensuelle au couple Kitri-Basilio qui émeut et permet de les faire sortir de la seule pyrotechnie. Autre ajout majeur, un pas de deux entre Don Quichotte et Dulcinée chez les Naïades, chorégraphié sur une musique de « La Source ».
Les deux distributions que j’ai vues ont apporté deux visions différentes de l’oeuvre.
La Première a été pour moi l’occasion de voir une dernière fois Maria Gutierrez avec celui qui est devenu depuis quelque temps (après successivement Breno Bittencourt et Kazbek Akhmedyarov) son partenaire attitré, Davit Galstyan. Difficile d’imaginer, en voyant Maria Gutierrez danser avec sa précision, sa finesse et sa vivacité coutumières et en la voyant incarner avec un tel enthousiasme ce rôle de jeune première, qu’elle quitte la compagnie et la danse, en pleine possession de ses moyens. Sa Kitri est vive, enjouée et joueuse, autant que sa Dulcinée est évanescente et légère (l’ossature très fine de la danseuse aidant à cette impression de quasi-transparence). Davit Galstyan, de son côté, partenaire solide et fiable pour sa Kitri, compose en acteur un Basilio énergique et charmeur, faisant vivre avec sa partenaire, mais aussi avec tous les autres personnages en scène, les petites actions et pantomimes qui font le sel de cette intrigue. Scilla Catafesta campe une Mercédès très féminine et sensuelle, et compose avec Philippe Solano (qui, lui, « s’éclate » dans son rôle virtuose de Chef de Gitans) un couple plus libre et plus mûr, contrepoint intéressant au couple principal dont on comprend qu’ils se connaissent depuis l’enfance, mais qu’ils n’ont pas l’expérience de la vie de leurs amis.
Le 22 en matinée, contrairement à ce qui était annoncé dans le programme, ces quatre rôles étaient dansés respectivement par Julie Charlet, Ramiro Gomez Samon, Solène Monnereau et Dennis Cala Valdès (pour ce dernier, si quelqu’un peut me le confirmer ?), qui devaient ne danser que le mardi 25 pour la dernière, et le ballet s’en est trouvé différent. Plus ici d’amoureux habitués l’un à l’autre depuis le bac à sable : le couple formé par Julie Charlet et Ramiro Samon est plus celui d’une jeune fille joyeuse et pleine de vie, mais sage, tombée amoureuse du jeune torero plein de fougue nouvellement arrivé en ville. Ramiro Samon déploie une technique impressionnante dans les sauts et les pirouettes (mais doit consolider son partenariat – il faut dire que, jeune, grand et élancé, il ne peut pas dispose de la même solidité physique dans les portés que D. Galstyan) et compose un personnage de jeune torero sûr de lui, moins tremblant devant Lorenzo (sa haute taille par exemple lui permet de regarder Lorenzo dans les yeux, là où le Basilio de Davit Galstyan, plus petit, était "perdant" dans le rapport de force avec son futur beau-père, dont on pouvait supposer en outre qu'il l'avait vu grandir et lui avait sans doute décoché dans son enfance quelques corrections bien senties...). Julie Charlet, impeccable dans l’acte I et le début de l’acte II, a semblé ensuite rencontrer des problèmes à la cheville droite, qui l’a lâchée à plusieurs reprises dans l'acte III. J’espère qu’il ne s’agissait que d’une fatigue passagère due à cette prise de rôle anticipée, et pas d’une blessure, pour cette danseuse qui m’avait profondément émue dans son interprétation de Giselle. Face à eux, Solène Monnereau et son partenaire se sont pleinement engagés dans leurs rôles.
Lors des deux représentations, les amies de Kitri étaient incarnées par Tiphaine Prévost (qui ne cesse de me surprendre cette année et à qui Kader Belarbi semble accorder de plus en plus confiance) et Ichika Maruyama, remarquables de précision dans toutes leurs danses en canon ou en parallèle (jusqu’à la variation de la demoiselle d’honneur) et la Reine des Naïades par Lauren Kennedy, tout en moelleux dans sa variation. J’ai aussi retrouvé les deux fois Jackson Caroll en Don Quichotte et Nicolas Rombaut en Sancho Pança. Le premier a campé un Don Quichotte tout en tendresse et en maladresse, très proche de l’imagerie traditionnelle concernant ce personnage, dégingandé et haut sur pattes (par la grâce de chaussures à semelles compensées). Le deuxième a incarné avec un plaisir visible et un vrai sens du théâtre un Sancho jaloux de la proximité avec son maître, obsédé par les filles et la nourriture.
Saluons enfin l’orchestre, qui, loin de certaines malheureuses habitudes parisiennes, s’investit autant dans du Minkus revu et corrigé (et lourd, même sans Lanchberry) que dans une symphonie de Mahler, et qui est pour beaucoup dans la réussite de ces productions de « grands classiques ».
En guise de conclusion, je dirais qu’on peut saluer le travail accompli par Kader Belarbi pour remonter les classiques sans les trahir mais tout en les modernisant. Depuis des années, j’essaie d’amener au ballet classique, à Toulouse ou à Paris, des proches et des amis, et force est de constater que la simplification des intrigues, leur réorganisation selon une plus grande logique, la dimension picturale voire cinématographique de la scénographie, le soin accordé aux costumes (qui permet d’échapper, dans « Giselle » par exemple, aux paysannes toutes habillées de la même façon et qui semblent toutes pensionnaires du Hameau de la Reine), aux décors et aux éclairages, à l’œuvre dans les productions toulousaines emportent bien plus l’adhésion que les « grands classiques noureeviens » parisiens, plus froids, plus intimidants (et tellement inaccessibles quand ils sont noyés dans Bastille…). Néanmoins, je regrette vraiment qu’aucune communication ne soit faite par le Capitole, ni avant, ni pendant, ni même après les représentations, sur les distributions. Impossible de savoir, avant d’entrer dans le Capitole, qui danse quoi. C’est d’autant plus regrettable que je suis sûre qu’une partie du public viendrait volontiers voir plusieurs représentations pour voir plusieurs distributions. Pour ma part, je me suis cette fois rendue à Toulouse deux fois parce que je voulais faire découvrir ce ballet à deux groupes de connaissances qui n’avaient pas les mêmes disponibilités ; j’envisagerais plus aisément de faire les 250km aller-retour qui me séparent de la « capitale » pour revoir un ballet si je savais à l’avance qui danse.
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