Lanou
Inscrit le: 12 Déc 2004 Messages: 352 Localisation: Paris
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Posté le: Sam Mai 31, 2008 11:55 am Sujet du message: |
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Parfois, il est nécessaire de s'exiler en banlieue, afin de pouvoir s'extasier devant les danseurs de l'Opéra de Paris, qui sont parfois dans une période de travail et de représentations un peu plus creuse (tout est relatif) de la saison de la Grande Boutique. Cela permet à la fois de voir de jeunes artistes, en soliste, faire leur premiers pas dans de grands rôles, ou des danseurs confirmés qui ne danseront pas le rôle en entier très certainement de leur carrière, étant donné la formation des saisons qui empêche un nombre de représentations excessif et qui auraient pu les mettre en valeur. Enfin, cela permet aussi, de voir tout simplement de la pointe et du tutu, mais sans décors, et rien que de la danse pure... Une sorte de recherche de modernité infligée!
Mais il est également vrai que pour un féru de danse, habitué aux références (non seulement d'anciens danseurs, mais également des danseurs eux mêmes!), l'imperfection prend un tour très fort, et être désappointé peut être imputable à mon humeur exécrable lors de cette soirée, je reconnais ma totale et partiale subjectivité...
Le programme fut le suivant (et je pense en parler de la même manière chronologique, afin de ne pas obéir une règle interne de préférence)s:
Delibes Suite-Stokes Guérineau
Giselle- Muret Duquenne
Le Corsaire-Magnenet Hecquet
Cendrillon (pas de deux du tabouret)-Paquette Zusperreguy
Bayadère (pas de deux de l'acte 1, Nikiya, Solor, et non Gamzatti Solor)-Stokes Guérineau
Cygne noir - Hecquet Magnenet
Fado (chor. JP Dury)- Zusperreguy Paquette
In the middle- Duquenne Muret
Tout d'abord, détail très en faveur, l'excellent éclairage, et le son de la musique, ni trop fort, ni trop faible, et bons arrangements et balance entre applaudissements, et la suite dans les variations, etc...
Ce programme, bien équilibré faisait voir, je suis déçu de l'avouer une Mlle Guérineau très traqueuse, avec un manque évident de plaisir, malgré le soin de bien faire. Son cou de pied bien trop accentué lui fait perdre en vélocité ce qu'elle ne gagne pas en précision: ainsi, quelques relevés sur pointe sont inefficients, requérant l'usage de la demi pointe (oh, grand dieu, je ne dénigre pas la demi pointe... sauf quand elle n'est pas attendue!), alors que la technique est hallucinante (les tours, et les double pirouettes sont anthologiques). On ne lui ôtera cependant pas ce qui fait d'elle une grand artiste: son extrême musicalité.
D. Stokes est doté d'une belle petite batterie, les sauts sont amples et la scène est clairement maîtrisée (manèges totalement géométriques, belles diagonales). Il est trop proche de sa danseuse toutefois dans le partenariat, cela aura fait petit. Mais déjà une belle assurance que l'on retrouvera dans la Bayadère.
Le pas de deux de l acte 2 de Giselle aura été un des grands moments du spectacle: M. Duquenne possède une vivacité et une nervosité (mais dans un sens dynamique) qui lui autorise de belles cabrioles, une amplitude de sauts non négligeable, et des pirouettes à toute allure. Il nous aura montré des pliés, pour soulever la Giselle au tutu bien transparent, qui sont d'un rare moelleux. Mlle Laure Muret fait montre d'un beau travail de bas de jambe (les entrechats quatre notamment, si attendus), mais on regrettera l'absence de notion plus romantique de la célèbre image (on regardera là les gravures de l'époque): le buste est bien trop droit, et n'allonge pas la ligne fuyante d'Albrecht. Dommage, d'autant plus que les bras sont pris en compte, et tentent d'exister (mais il y a aussi des moments où ils sont oubliés, rompant tristement la narration lyrique, la phrase ne devenant plus que déstructurée et brouillonne).
Des infidèles admirateurs auront manqué la prestation de F. Magnenet ce soir là (quelle idée aussi d’aller écouter de la canzonetta au TCE par un ténor en tête de gondoles !), dans le Corsaire. Moi qui ne l’apprécie pas outre mesure, ai été vivement piqué par son énergie (quel contraste avec la mollesse que je lui trouve d’habitude!), avec de beaux tours à la seconde, de grands jetés qui jettent la belle poudre aux yeux, avec ce morceau de bravoure dans lequel les russes restent toutefois incomparables, l’esbroufe française contrastant avec le spectaculaire russe.
Laura Hecquet figurera parmi les plus grandes danseuses de l’Opéra, incontestablement. Mais ce n’était pas le cas dans cette variation du corsaire (le dansait elle pour la première fois, ce qui excuserait tout, même ma critique). Il faut qu’elle s’assume comme celle qui a de la présence, et non plus comme la pièce rapportée. Si je suis venu ce soir, c’était aussi et surtout pour la voir, et celui qui monte sur scène doit assumer la prise de risque (qui est, si on y réfléchit bien, littéralement délirante !). Il faut y aller et donner de sa personne, l’assurance n’est qu’une illusion, mais même en ayant l’ancienneté de mes années de spectacle, je demande toujours à y croire. Je passerai donc pudiquement pour Mlle Hecquet pour le respect qu’elle m’inspire plus ordinairement (en tout cas, elle aura travaillé ses fouettés).
Enfin, rien que de bien particulier pour Cendrillon, ce n’est pas un morceau de bravoure, mais la beauté fut là, le sourire ineffaçable de Mlle Zusperreguy( quand même, on compte sur les doigts d’une main les danseuses qui sourient à l’Opéra, mais quand elles le font, elles le font pour toutes celles qui ne le font pas…), l’assurance de son partenaire , qui crée une belle complicité (là le regard est des plus importants : c’est ici que s’est passé une certaine vision de l’amour, et de la danse… le regard).
Après l’entracte…
Mlle Guérineau, fut belle, car inattendue : féminité de sa Bayadère, mais il faut qu’elle regarde plus, peu importe qui, le public, son partenaire, le public, sa main, mais pas à l’intérieur d’elle même (mais en corollaire de ce que je dis plus haut, on compense la froideur de la relation et la difficulté de la danse par le regard - quand le danseur ne regarde pas l’autre, cela ne reste que de la monstration tautologique et vaine de pas sans intérêts-on est exclu de la relation avec l’autre quand l’autre ne nous regarde pas… la danse, comme art du pur superficiel ?).
Et quel courage que de prendre ce pas de deux, qui ne met en valeur uniquement que le couple. D. Stokes est un bon porteur, et incontestablement, une des figures montantes et souriantes de l’Opéra (encore une petite immaturité quand il jure son amour pour Nikiya sur le feu, qui est par trop engagé et caricatural- quand un danseur ne cambre pas le dos, il cambre le cou, étant ridicule de l’un comme de l’autre).
Le Cygne Noir révéla une excellente prestation technique et de présence de Mlle Hecquet (plus qu’au Blanc Mesnil l’année dernière), malgré la chorégraphie peu cohérente de Noureev (les tours attitudes…). La méchanceté du rôle est là, le regard véritablement empoisonné. Les bras sont agressifs « à point ». Son engagement dans la virtuosité est couplé à la précision de son partenaire (qui, désagréablement, parfois, resaute, pour faire une plus belle position (souvent la cinquième, allez savoir pourquoi…)).
La chorégraphie de JP Dury est assez passe partout, mais met en valeur un « état d’esprit » des danseurs.
Enfin, le surprenant In the middle, avec la musique (…) géniale qui rompt avec ce qui a précédé. Très lapidairement, car finalement, là il s’agirait d’être plus exhaustif qu’il n’est possible de faire : les pointes acérées de Laure Muret, sa très grande souplesse, ses déséquilibres, le côté « tête brûlée », ces pirouettes lancées comme l’action mouvante sans énergie préalable répondent superbement à l’évidence de son partenaire vis-à-vis de ce répertoire. Une réminiscence du travail effectué dans Artifact Suite à Bastille. Cela reste pour moi (le sujet ne transpire t il pas dans le simple langage ?) parmi ceux qui ont compris ce qu’on attend.
Sans conclusion.
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