maraxan
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Posté le: Mer Juin 27, 2007 11:45 pm Sujet du message: English National Ballet Swan Lake "in the round" |
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Impressions partiales et partielles de quelques représentations du Lac des cygnes, ces derniers jours au Royal Albert Hall de Londres
La production de Swan Lake de Derek Deane est à mon avis une des plus viables actuellement si l’on considère les exigences de la technique du ballet classique et le dépoussiérage souvent nécessaire des vieilles productions. Donc, exit le mime, souvent très lourd dans la cour d’apparat où la plupart du temps le prince se ridiculisait à essayer de dire quelque chose qu’il ne comprenait pas lui-même, et pleins feux sur la danse. Bien sûr, ici, il court un peu à droite à gauche mais quand il a les jolies jambes du lunaire Cesar Morales ou la passion slave de Dmitri Gruzdyev, des acteurs très plausibles, cela passe bien. Peut-être un peu mieux que le pauvre Rothbart, qui est je pense le raté de la production, limité dans son expression et dans ses mouvements, souvent des courses autour du lac où il agite ses ailes, ce qui au finish est assez lassant. Les personnages de cour, mis à part le tuteur et la reine, sont interprétés par des danseurs qui sont intelligemment utilisés dans des danses qui pourraient passer comme danses de cour un peu revues à la hausse techniquement. Pour donner du punch à l’ensemble, la fête d’anniversaire du prince est animée spectaculairement par des acrobates et des jongleurs.
La production de Deane qui ne souffre d’aucun temps mort est donc plutôt séduisante. La version proposée au Royal Albert Hall était celle "in the round" qui apporte également son lot de particularités. L’originalité du propos est ici d’offrir du grand spectacle à une salle immense via principalement le déploiement de soixante cygnes. Dans l’ensemble, leur prestation est assez stupéfiante de qualité, surtout lorsqu’on considère le nombre incroyable de vacataires que l’ENB a dû recruter (la compagnie n’a "qu’" une soixantaine de danseurs). La grandeur de la scène mais surtout sa spécificité d’être vue de toute part et surtout d’en haut, met en valeur les lignes parfaites et la structure sans faille des évolutions des cygnes dans les actes deux et quatre, et des danseurs dans les actes un et trois. Les cygnes, c’est aussi le lac, et les effets spéciaux produits par les fumigènes pour simuler la brume matinale ou les lumières sur le sol pour rendre les reflets et les mouvements de l’eau sont également assez remarquables.
La production "in the round" est donc assez spectaculaire par ses aspects multiples et foisonnants, il y a toujours quelque chose à regarder devant, à côté ou même derrière soi puisque souvent les danseurs, jongleurs, acrobates, surgissent de partout de la salle, par les escaliers menant au parterre.
Les danseurs/acteurs ne sont jamais figés dans le frontal et évoluent aussi dans l’esprit "in the round" pour le plus grand plaisir des spectateurs, sauf peut-être ceux des premiers rangs à qui ils cachent leurs camarades… mais comme ils tournent également sur la scène, chacun peut voir qui il veut, pourvu qu’il attende son tour et ne souhaite pas garder un œil continuel sur son chéri. Au finish, c’est assez étourdissant si on veut tout suivre…
Cette particularité n’est pas sans poser d’ailleurs quelques problèmes aux danseurs qui doivent s’adapter à cette configuration un peu inhabituelle mais qui permet au corps de ballet de réellement s’exprimer à quelques mètres du public avec qui il peut avoir un véritable contact visuel. Cela donne l’occasion d’une réelle mise en scène dans laquelle s’intègre une danse jamais axée sur la démonstration et jamais hors du contexte proposé par l’histoire. Cela donne une représentation très homogène et très crédible.
Les premier et troisième actes souvent dédiés au mime dans d’autres productions voient Siegfried se promener de scène de danse en scène de danse avec un corps de ballet qui œuvre en continue rendant les scènes naturelles. L’aspect "in the round" est alors très bien exploité et les spectateurs du « parterre » ont vraiment l’impression d’être de la fête.
Une des forces de l’ENB réside dans son corps de ballet très homogène. Bien sûr, la compagnie n’a pas l’abattage du Royal Ballet dans le répertoire et elle a beaucoup investi dans Swan Lake présenté l’année dernière à Taiwan et qui sera à l’honneur à Versailles et à la rentrée dans une tournée britannique. Les danseurs de la compagnie soloists mais aussi principals comme Sara McIlroy, Yat-Sen Chang ou Fernanda Oliveira (même présente parmi les cygnes) se sont donc employés à rendre la fête crédible. Ainsi, la presque quasi totalité de la compagnie a pu donc évoluer dans ces représentations et le niveau m’a paru très élevé. Il serait injuste de signaler des individualités qui se sont mises en valeur par leur rôle plus important, peut-être peut-on juste mentionner ceux déjà assez en évidence ces derniers mois, Laurent Liotardo, Zhanat Atymtayev ou Daniel Kraus et Fernando Bufala excellent dans la danse napolitaine avec en particulier Adela Ramirez, et surtout le retour tant attendu d’André Portasio dans la danse espagnole.
Les trois castings auxquels j’ai assisté présentaient trois dimensions différentes de l’œuvre. Les romantiques Cesar Morales et Erina Takahashi, les plus traditionnels Dmitri Gruzdyev et Daria Klimentová, et les monumentaux Elena Glurdjidze et Jan-Erik Wikström du Swedish Royal Ballet qui remplaçait, presque au pied levé, Arionel Vargas blessé.
L’art de Cesar Morales m’a encore dangereusement atteint à l’endroit le plus faible. Il peut paraître étrange de parler du lac et de focaliser sur Siegfried, mais Cesar est comme un papillon qui déploie des ailes colorées, on regarde la prairie et on ne voit que l’animal gracieux et léger ; dans le lac, c’est le plus touchant des princes. En plus la production « in the round » fait parfois disparaître Odette au milieu de ses cygnes, pour une meilleure cohésion de l’histoire d’ailleurs. Revenons à Cesar Morales. D’abord dans le premier acte où il se révèle excellent acteur, tout en finesse et naturel, mais surtout dans sa danse, d’une fluidité incroyable, soutenue par une élévation hors du commun. L’impression produite par ce danseur est parfois presque irréelle, il est très fin et très léger, silencieux et rapide, mais sait donner de l’ampleur à des sauts d’une hauteur incroyable. Les danseurs évoluant au Royal Albert Hall sont au niveau ou plus souvent au-dessous des spectateurs et aussi bien vu à niveau que de plus haut, l’impression d’une technique complètement maîtrisée est la même. Il a de plus une remarquable aisance dans ce rôle, il ne joue pas, il est prince ! Sa maîtrise du rôle est vraiment évidente dans le solo du premier acte qui est interrompu constamment par les hésitations et les méditations de Siegfried et dont il réussit à rendre toutes les contradictions internes et toute la poésie sans aucune frustration pour le public.
Les deux autres Siegfried étaient plus athlétiques. Jan-Erik Wikström, un ancien de l’ENB, n’est pas pour moi un Siegfried crédible, principalement du fait de son physique. Je reconnais que c’est un excellent danseur et il m’a favorablement impressionné techniquement dans ses soli mais son manque d’engagement dans le peu de mime qu’il y a était vraiment décevant, on peut en prendre son parti en se disant que le prince est niais, mais cela n’aide pas à entrer dans l’histoire déjà un peu pauvre… Il est vrai qu'il a manqué de répétitions mais je trouve aussi qu’il manque un peu de cohésion dans ses enchaînements ce qui entache le déroulement de l’histoire. Là, en revanche, Dmitri Gruzdyev a encore une fois démontré son excellence. A l’inverse, il est servi du physique idéal et juste un battement d’œil et la tristesse slave nous plonge dans les affres de Siegfried. La technique est aussi au rendez-vous. J’aime beaucoup comparer Dima à Nicolas Le Riche, car ils ont cette espèce de bonhomie jouissive très naturelle qui peut se transformer en profondeur dans leur danse mais aussi dans leurs expressions, tout cela soutenu par une technique très sûre. Dima est tellement à l’aise sur scène que c’en est parfois stupéfiant, et dans le premier acte, il s’en donne à cœur joie. Il est un prince moderne, décontracté, un peu voyou même, mais très rêveur. Sa partenaire, Daria Klimentová est la perle de l’ENB, plus encore qu’Agnes Oaks, qui est également remarquable, mais particulièrement parce que son partenariat avec Dima met le couple à un niveau très haut de technicité et de complicité. Daria a, je pense, le plus beau port de bras de la scène anglaise, et dans Swan Lake, c’est un atout particulièrement avantageux. C’est aussi une danseuse très précise et qui ici donne toute l’ampleur voulue à la fois à la réservée Odette et l’exubérante Odile. C’est une peu cette gamme d’expressivité dans sa danse et dans son jeu qui fait défaut à Elena Glurdjidze (en partenariat avec Jan-Erik Wikström) qui est douée d’une technique impressionnante mais qui est limitée dans son expression des sentiments. Elle fait une Odile convaincante, alors que dans le rôle d’Odette, elle n’a pas la sensibilité requise. En revanche, Erina Takahashi est la parfaite Odette, peut-être un peu moins par sa danse, très tonique, que par son expressivité assez spectaculaire dans le rôle d’Odile. C’est dans ce partenariat Cesar Morales-Erina Takahashi, que l’on comprend mieux pourquoi le prince est séduit par Odile, il ne peut pas faire autrement, la force de persuasion est tellement puissante… On se dit alors qu’il ne confond pas, il est simplement séduit. Erina est d’abord une Odette touchante et lyrique puis une Odile volontaire, quasiment « tueuse ». Ce couple est également très bien assorti, en proportion et en tempérament et si on pouvait le penser un peu frêle, le coup d’œil que Cesar Morales jette à Rothbart à la fin de l’acte quatre vient témoigner d’une ressource surprenante chez ce délicat danseur, qui se révèle également dans la bagarre finale qui conduit Rothbart aux tréfonds d’où il était venu…
L’English National Ballet a je pense atteint des partenariats parfaits dans des genres tout à fait différents mais avec la même magie et efficacité, avec Agnes Oaks et Thomas Edur, Daria Kilmentová et Dmitri Gruzdyev, et Cesar Morales et Erina Takahashi ; je pense qu’aller chercher une paire extérieure au ballet n’est pas ce qu’il a fait de mieux pour ce lac même si beaucoup ici ont apprécié la technicité du Siegfried de Friedemann Vogel. C’est d’autant plus regrettable que le public français soit en principe, privé de la paire à mon avis la plus séduisante, même si je ne doute pas qu’Agnes et Thomas et Dima et Daria sauront montrer à Versailles la qualité des solistes de l’ENB.
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