Le Lac des Cygnes [ONP Bastille 07/12-31/12/2016]

[sophia]

J'ai assisté à mon premier - et probablement dernier aussi - Lac de la série parisienne hier soir.

Ce n'est pas une révélation, je goûte peu cette version Noureev du Lac, qui me met plutôt mal à l'aise, mais il faut reconnaître que si elle a des hommes à la hauteur, elle comporte son lot de satisfactions. Le Cygne, finalement, quelle importance? (semblent dire certains commentaires), et sans doute faut-il une Ould-Braham, tellement peu conventionnelle, tellement peu consensuelle et dans l'air du temps - et c'est heureux! - pour qu'on se mette enfin à en parler.

Les distributions, quoique trop peu variées (et de fait, à la limite de l'inhumanité), ont été conçues plutôt intelligemment cette fois-ci, et le rôle de Siegfried a clairement été confié aux étoiles les plus aptes et brillantes de la troupe, au moins pour ce genre de répertoire : Mathieu Ganio, Mathias Heymann et, avant retrait, Josua Hoffalt. J'ai vu Mathias Heymann, et si l'on peut toujours discuter d'une interprétation, d'un charisme, d'une présence, d'un partenariat ou d'autre chose, pour ce qui est de la danse pure, franchement, je ne vois vraiment pas comment on peut danser mieux et plus naturellement le Noureev. C'est simplement parfait, miraculeux. Textbook comme on dit en anglais. Par ailleurs, ce qu'on avait coutume de lui reprocher - sa tendance à danser pour lui-même et ses maladresses de partenariat - semble s'être résolu sur ce ballet. Le partenariat avec Ould-Braham est, plus que convaincant, absolument touchant - et l'on voudra bien me compter là-dessus parmi les nouveaux convertis. Ils sont véritablement comme le miroir l'un de l'autre : ce ne sont pas à proprement parler des bêtes de scène (en tout cas, si M. Heymann peut l'être un peu plus, il a su se tempérer ici pour s'accorder à sa partenaire, cette alchimie était assez frappante hier soir), mais ils ont en commun la musicalité et une certaine délicatesse romantique, qui n'exclut d'ailleurs pas la fougue intérieure. Dans un autre ordre d'idée, le duo "pédagogique" avec Paquette est idéal. En revanche, seul, Paquette ne m'a pas laissé un grand souvenir.

Qui a décrété un jour que le rôle d'Odette-Odile devait être interprété par une danseuse de grande taille (est-ce Mezentseva qui a lancé la mode, bien avant Lopatkina, vénérable parmi les vénérables)? Ridicule et criminelle prescription quand on voit ce qu'est capable de faire Mlle Ould-Braham! Son Odette - et surtout son Odile - petit format, plutôt frêle, peut certes visuellement surprendre, mais qui dans le même temps à l'Opéra possède - condition minimale pour être une Odette, quelle que soit la version - des bras et un dos aussi souples et délicatement travaillés (et tout ça avec un bas de jambe véloce et ciselé) et un lyrisme aussi intense, habité? On a beau dire que Noureev s'en fichait des bras à la russe et qu'il voulait voir une femme plutôt qu'un cygne, sa version reste bien trop académique pour qu'on puisse se débarrasser comme cela de l'imaginaire de l'oiseau. Alors sans doute Mlle Albisson est-elle plus en phase avec les canons de beauté parisiens et le style Noureev, mais personnellement, pour avoir parcouru les grands moments du ballet dans la rediffusion, je n'ai aucune envie de regarder son Odette (j'ai essayé, mais non).

Myriam Ould-Braham émerveille en Odette, parce qu'il me semble qu'elle assume parfaitement ce qu'elle est, sans doute pas une Reine des cygnes dans la grande tradition des Odette de légende, mais une noble créature, dont la force, intériorisée, réside dans l'empathie et la tendresse. Côté danse, on admire la technique maîtrisée - des arabesques et des équilibres magnifiques notamment -, jointe à une amplitude dans le mouvement, qui compense certains "défauts" - une occupation de la scène moindre par rapport à d'autres ballerines. Le dernier acte apparaît peut-être un peu trop résigné, mais on ne lit pas dans ce parti-pris une fatigue physique ou technique, comme c'était à mon avis un peu le cas dans sa récente Giselle. Odile est moins dans sa nature, et je ne vois pas où est le problème de le dire, car il est rare qu'une ballerine soit également convaincante dans les deux rôles (dans Giselle aussi, où c'est bien plus gênant). Toutefois, elle réussit avec ses moyens à imposer un personnage différent, séduisant et piquant, même si son jeu me paraît un tantinet maniéré et manque un peu de cette force sensuelle qui emporte tout sur son passage. Très bel adage, très beaux fouettés (simples), chahuté pour le dernier, mais vraiment rien de dramatique, variation ratée en revanche, avec des tours attitude escamotés.

Le pas de trois (Baulac-O'Neill-Alu) était très bien dansé. Néanmoins, je ne trouve pas que ce soit dans ces parties virtuoses, mais très formelles, qu'Alu soit à son meilleur. Il lui faut du sang, de la sueur et des larmes, un peu de drame au moins, qu'il a essayé de mettre dans sa czardas, mais l'essai n'était pas très convaincant à mon goût. Globalement, je n'ai pas aimé les danses de caractère, en-dehors de la Napolitaine (ma préférée), avec Thibault et Hurel, légers et d'un grand naturel.

Le corps de ballet est effectivement meilleur, formellement parlant, qu'il y a deux ans (valse et polonaise dynamiques et bien rangées, actes blancs par moments quasi militaires), mais j'avoue qu'il ne m'a pas vraiment touchée. Pour moi, la poésie n'est pas là - la version le veut-elle seulement? Je ne crois pas. Le contraste avec MOB en Cygne suprême est à vrai dire saisissant et je n'avais d'yeux hier que pour elle et son beau Siegfried.

[Aurélie]

J'ai assisté à la représentation de ce soir (O'Neill - Révillion - Paquette), après avoir pris des places dans l'après-midi sur Internet (Il faut s'y coller une heure ou deux et rafraîchir de temps en temps, mais on trouve).

Ca fait une éternité que je n'avais pas vu cette production et je me suis souvenue pourquoi. Outre la choré affadie ou emberlificotée, la quasi absence de décors et de costumes rend l'ensemble bien terne.

Difficile dans ces conditions de se passionner pour quoi que ce soit. Hannah O'Neill, toujours sublime physiquement, donnait l'impression qu'elle se bridait pour entrer dans le style "surtout n'en faisons pas trop" du rôle à l'Opéra de Paris, et du coup, qu'elle n'a pas vraiment trouvé son personnage. Le maquillage aussi gommait ses expressions. Il en ressort une impression un peu fade. Toutefois, le couple qu'elle formait avec Fabien Révillion fut très touchant, je trouve qu'ils s'accordent très bien ensemble. Ce dernier a fait une belle prise de rôle. Il se sort très bien des variations, qu'il danse avec fluidité.

[haydn]

Je rejoins Sophia sur le corps de ballet, notamment féminin, très discipliné dans les actes blancs. Ce soir, je regardais le spectacle depuis les confins du 2ème balcon. Pour apprécier le jeu théâtral des danseurs, ce n'est pas terrible, mais en revanche, on y repère le moindre défaut d'alignement ou de placement dans le corps de ballet, et là, il n'y avait franchement pas grand chose à redire. Cela change agréablement de certaines séries chaotiques, qui se sont parfois terminées à 19, voire 17 cygnes au lieu de 24, et où on avait fait les fonds de tiroir de l'école de danse et des surnuméraires pour garnir les rangs. Pourvu que ça dure.

La représentation de ce soir marquait les premiers pas de Fabien Révillion en Siegfried. Si ce danseur n'est plus un débutant, il n'a toutefois qu'une expérience relativement mince des grands rôles de soliste. Cette expérience se limite en fait à une apparition en Colas dans La Fille mal gardée, où il n'avait pas totalement convaincu d'ailleurs. Le Lac des cygnes de Nouréev étant un tout autre "morceau" pour le premier rôle masculin, on n'attendait pas forcément un coup d'éclat de la part de M. Révillion. Préjugés. La surprise a été vraiment bonne.

Jusqu'à la variation lente du Prince, qui marque la transition entre le premier et le second acte (ou tableau), Fabien Révillion semblait assez tendu et appliqué. Il a abordé ce périlleux passage dans un tempo pas exagérément retenu, choix plutôt judicieux car plus l'allure est lente, plus c'est difficile. Et ne peut concurrencer Mathias Heymann qui veut. M. Révillion a donc eu la sagesse de ne pas surestimer ses forces, et il a exécuté la variation de manière très propre, sans aucune faute technique significative. A partir de là, on l'a senti libéré, et en mesure de se consacrer sans plus d'appréhension au travail d'interprétation. La variation de l'acte II, absente de la plupart des autres versions du Lac des cygnes, a été impeccablement exécutée, et dans le Pas d'action, loin de se laisser écraser par l'Odette de Hannah O'Neill il a au contraire pris l'ascendant sur elle et a mené le jeu.

M. Révillion s'est également bien comporté après l'entracte ; et on lui pardonnera volontiers une réception ratée dans sa variation du "pas de trois" du Cygne noir. Les doubles-tours en l'air ont, hormis cette anicroche, été très bien exécutés, et la batterie est bien nette (dans ce domaine, Fabien Révillion, habitué des purges techniques, a de solides arguments à faire valoir).

En tant que partenaire, M. Révillion a fait preuve de beaucoup d'assurance, et ses portés étaient d'une fermeté et d'une stabilité qui inspirent la confiance.

En Odette / Odile, Hannah O'Neill suscite davantage de réserves. Il ne s'agit absolument pas de remettre en cause les aptitudes de cette danseuse dont chacun sait qu'elle a un potentiel d'étoile, et qui fera surement un tabac la saison prochaine dans Don Quichotte. On sait également ce dont elle est capable dans les pages brillantes de Balanchine. Mais le Cygne n'est de toute évidence pas vraiment "son" rôle. En Odette, elle est martiale, et semble fuir toute expression de sentiments. Sans tomber dans la mièvrerie, on peut tout de même s'abandonner à davantage de lyrisme. Le contraste avec Myriam Ould-Braham est ici saisissant. En Odile, elle est moins "glamour" et extravertie qu'on ne pourrait l'imaginer, et la série des fouettés fut un peu laborieuse (désaxements sur la fin notamment). Encore une fois, cela n'a aucune incidence sur la valeur artistique intrinsèque de Mlle O'Neill, simplement, il y a des emplois pour lesquels on est davantage fait que pour d'autres. Il n'y a aucun mal à cela. Une danseuse du calibre de Maria Alexandrova s'était brûlé les ailes dans Le Lac des cygnes, et avait essuyé des critiques autrement sévères de la part des balletomanes moscovites.

En Rothbart, Karl Paquette a "fait le spectacle" avec une variation très physique dans l'acte trois. A en juger par les hurlements poussés par son fan club, au milieu duquel je me suis retrouvé perdu, le public ne s'est pas trop désolé du changement de distribution intervenu à la dernière minute. M. Paquette a en effet remplacé Stéphane Bullion initialement prévu et qui s'est blessé (on risque malheureusement de ne pas le revoir d'ici à la fin de la série. Affaire à suivre).

Parmi les seconds rôles, on notera le bel engagement de Jérémy-Loup Quer dans le pas de trois de l'acte I. Il a montré beaucoup d'enthousiasme, d'énergie et on passera volontiers sur quelques broutilles techniques. Fanny Gorse, généralement à l'aise dans ces pièces virtuoses et brèves, a également brillé ce soir. La place de la seconde comparse féminine, Héloïse Bourdon, n'était évidemment pas dans cette purge, et je me bornerai à rappeler que si Mlle Bourdon est une fleur, il convient de l'arroser pour qu'elle ne se fane point. Et l'eau, pour une danseuse, ce sont les rôles...

Saluons aussi la jolie prestation de Jennifer Visocchi et Paul Marque dans la Napolitaine de l'acte III, toute de jeunesse et de fraîcheur.

Enfin, je ne boude jamais mon plaisir devant la mécanique bien huilée des quatre petits cygnes, véritable "marque de fabrique" du ballet de l'Opéra de Paris. De toutes façons, les héroïnes de la soirée, c'étaient - aussi - toutes ces dames du Corps de ballet.

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[Aurélie]

Memopera indique que Fabien Revillion a dansé des Grieux également.

[Brunehilde62]

Petit rôle dans la dame aux Camélias, lorsque celle ci assiste à une représentation de Manon Lescaut! Je l'y ai vu.

[haydn]

Oui, il s'agit bien du Des Grieux de La Dame aux Camélias (Neumeier) et non de celui de Manon (MacMillan), donc pas le rôle principal, même si c'est un rôle significatif. Dans le même ordre d'idées, Fabien Révillion avait dansé Lenski dans Onéguine (Cranko), mais avant ce Lac des cygnes, sa seule expérience d'un premier rôle était bien Colas dans La Fille mal gardée.

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[Aurélie]

Ah, d'accord ! Il faut que j'apprenne à lire les lignes en entier !

[CatherineS]

Il a aussi dansé un des deux solistes d'Etudes, il me semble. Mais effectivement il n'avait jamais dansé de rôle majeur en trois actes.

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[Delly]

[Constance]

Bonne surprise hier soir, et pas celle que l'on espérait.

Comparé à Mathieu Ganio et surtout à Mathias Heymann, interprète idéal de la chorégraphie de Noureev et maitre des variations lentes, Fabien Revillion demeure bien sûr un ton nettement en dessous techniquement, mais après un début pendant lequel le stress est palpable, il finit par prendre la scène et emporte l'adhésion. Les difficultés passent, habilement négociées, proprement exécutées, les tours qui suivent les fouettés d'Odile étant même brillants. Son Siegfried est très sombre dès le départ, et très passionné, y compris à l'acte 3, ce qui est une proposition rare et intéressante. Enfin, il est un bon partenaire, et, même concerné par sa propre prise de rôle, il soutient sa partenaire.
Sa partenaire, justement, ne surprend pas. Hannah O'Neill soutient sa réputation de brillante technicienne, même si ce n'est pas extraordinaire non plus et si les fouettés furent absolument calamiteux dès la moitié de la série. Elle a beaucoup progressé depuis sa prise de rôle il y a 2 ans, beaucoup mieux épaulée par F. Revillion que par Y. Bittencourt, elle maitrise sa prestation, mais... je ne sais pas si, comme le dit Haydn, il s'agit juste d'un rôle qui ne serait pas pour elle : elle me convainc en noir, et elle peut y être encore plus incisive quand elle pourra s'installer dans le rôle - une soirée tous les 2 ans, ce n'est pas facile. Mais le cygne blanc me fait une impression pénible : les mouvements dramatiques sont exécutés, mais la danseuse reste à côté. De près, elle semble n'avoir aucune intention d'exprimer une quelconque douleur et son visage ne porte aucune expression, si ce n'est un demi sourire permanent ; Odette semble remplacée dès le départ par Odile jouant Odette. Le décalage est total avec son partenaire, très expressif.
J'ai bien sûr pensé à la prise de rôle de Laura Hecquet il y a 2 ans, couronnée par son titre d'étoile, à laquelle j'avais eu la chance d'assister. Quel contraste! Si techniquement, L. Hecquet se montrait moins brillante, elle incarnait immédiatement son personnage, avec un charisme, une tension dramatique et une maturité qu'à mon sens aucune des Odette/Odile n'atteint pour l'instant cette saison.
Rothbart survolté de Karl Paquette, en bonne alchimie avec le Siegfried de Fabien Revillion.
Pas de trois enlevé par Héloïse Bourdon, fort belle. 4 petits cygnes supersoniques, menés par Alice Catonnet - nouvelle promue sujet et qui le mérite décidément - et Éléonore Guérineau. Beau corps de ballet.
Très belle production, que je retrouve toujours avec émotion. Les décors sobres laissent toute sa place à la danse et ils sont magnifiques - la reproduction de la façade du Duomo de Florence, c'est autre chose que les habituelles absurdités gothiques! Les groupes de courtisans peu fournis et élégants évitent habilement l'effet de foire, et la chorégraphie de Noureev - appuyée sur celle de ses prédécesseurs bien sûr - est souvent géniale, notamment l'acte 4 (eh oui!).
Je reviendrai plus tard sur les représentations du 7, 8 et 14 décembre et donc sur les deux prises de rôle de Myriam Ould Braham et Amandine Albisson, en attendant celle de Germain Louvet le 25 décembre! Manque de temps....

[haydn]

Merci pour vos impressions, Constance. Si j'ai pour ma part été très agréablement surpris par Fabien Révillion, je ne prétends pas non plus qu'il soit devenu en un soir l'égal de Mathias Heymann, qui, actuellement, semble être le Siegfried de référence à l'Opéra de Paris. Mais pour quelqu'un qui n'avait aucune expérience d'un rôle aussi lourd, Fabien Révillion a vraiment bien "assuré", comme on dit vulgairement. L'essentiel des difficultés techniques a été maîtrisé, et il a aussi affirmé sa personnalité sur scène.

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[haydn]

Stéphane Bullion et Mathieu Ganio sont blessés, et disparaissent entièrement des distributions du Lac des cygnes. Karl Paquette - Superman dansera Rothbart tous les soirs sauf le 30 et le 31/12, où c'est Jérémy-Loup Quer qui fera ses débuts dans le rôle (et ce sera aussi, pour lui, la première fois qu'il dansera un rôle de cette importance).

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[sophia]

Ah non, il a dansé Lucien d'Hervilly dans Paquita!

[Ornella]

[Constance]