La Bayadère [Opéra Bastille 17 novembre - 31 décembre 2015]

[Elisa]

A l'instar de tout ce que vous avez pu écrire, oui, c'était vraiment une belle représentation samedi et Héloïse Bourdon a pleinement assuré.

C'est la 4e Nikiya que je voyais sur cette série et pour moi la plus aboutie. Sophia a parfaitement traduit mon ressenti: le personnage est vécu et pas seulement dansé et évolue tout au long du ballet. Nikiya amoureuse et passionnée dans le 1er acte, trahie et terriblement malheureuse dans le 2nd, immatérielle et sensuelle dans le 3e. A mon sens, la force d'Héloïse Bourdon - en plus de sa technique parfaitement maîtrisée et de son interprétation - ce sont les émotions qu'elle arrive à faire refléter jusque sur son visage. Cette ballerine a un visage très expressif, qui contraste avec d'autres interprètes plus figées. Je ne l'ai pas lâché de la représentation, l'histoire, je l'ai vraiment vécue avec elle. C'est elle, la vraie star de ce spectacle, elle irradiait tellement, qu'elle en a presque éclipsée ses partenaires.

Isaac Hernandez campe lui un Solor mi-prince, mi-guerrier. Je n'ai pas été particulièrement convaincue par ses qualités d'interprétation (peut-être est-ce du à un manque de répétitions ou à son emploi du temps chargé?), en revanche, c'est un excellent partenaire qui a su mettre Nikiya et Gamzatti en valeur. Un peu déçue également par ses variations solo. Je l'attendais aussi explosif que François Alu et il m'a paru en-deça de notre danseur maison.

Après vos comptes-rendus sur la première prestation d'Ida Viikinkoski, j'avais un peu peur d'être déçue. Et puis finalement, comme Sophia, j'ai plutôt apprécié sa Gamzatti. La scène de la dispute était crédible, sa technique dans l'acte 2 m'a semblé maîtrisée. Oui, son interprétation est un peu caricaturale mais ce sont des débuts très prometteurs.

Bref, une belle représentation mais avec un trio un peu déséquilibré tant la prestation d'Héloïse Bourdon était belle. Difficile de comprendre qu'une danseuse comme elle puisse être encore cantonnée dans le corps de ballet. Dans un style tout à fait différent, ses qualités en scène me font penser à celles de François Alu: présence, interprétation, technique, aura... et je me surprends à rêver d'une distribution commune pour ces deux danseurs très talentueux... Est-ce que ça fonctionnerait?

[haydn]

Débuts ce soir pour Hugo Marchand - qui remplaçait Mathias Heymann - en Solor, et pour Marion Barbeau en Gamzatti dans La Bayadère, avec Dorothée Gilbert fidèle au poste en Nikiya.


Hugo Marchand, tout récemment promu Premier danseur, fait partie des "jeunes pousses" mises en avant par Benjamin Millepied, et son arrivée-surprise (en était-ce vraiment une, de surprise?) sur La Bayadère ne pouvait que susciter l'intérêt des balletomanes.

Il succédait à François Alu, véritable coqueluche du public, et la tâche n'était pas forcément aisée. M. Marchand possède des lignes plus félines, et son Solor s'apparente davantage à celui qui avait valu à Hervé Moreau son titre d'étoile. En revanche, il manque encore un peu d'expérience, et sa danse est moins spectaculaire, moins généreuse que celle de François Alu, qui ne recule devant aucun risque, quitte à assumer les conséquences d'une chute éventuelle, pour éblouir l'assistance.

Moyennant quoi, la grande variation de l'Acte II a été exécutée de manière plus propre par Hugo Marchand, avec des réceptions parfaitement stables, assurées, mais dans un style moins explosif que celui de François Alu.

L'autre morceau de bravoure pour le soliste masculin est évidemment la terrible variation du troisième acte, avec les double-assemblés tant redoutés des danseurs de l'Opéra de Paris. Si la tension était perceptible, ce qui peut se comprendre, Hugo Marchand ne s'est cependant pas laissé démonter, et s'est attaqué courageusement à ces tours en l'air. Il possède une belle puissance physique qui lui permet d'accomplir sans problème les deux révolutions à chaque saut. En revanche, le placement sur scène, l'utilisation de l'espace disponible étaient moins bien assurés.

Il convient aussi de mettre à l'actif de Hugo Marchand d'indéniables qualités de partenariat. S'il est plutôt avare de sourires - on ne se plaindra pas qu'il ait voulu dépouiller Solor de toute niaiserie - tous les portés sont parfaitement stables, et paraissent même faciles. L'effort n'est quasiment jamais perceptible.

Le couple qu'il forme avec Dorothée Gilbert est harmonieux et crédible. On ne s'étendra pas sur la Nikiya de Mlle Gilbert, nous avons déjà amplement disserté sur ses mérites. Soulignons qu'elle est la danseuse la plus expérimentée de la distribution, et cela se voit. La "patronne", c'est elle, et c'est elle qui "dirige" véritablement la représentation.

Marion Barbeau - représentative de la toute dernière "génération Lefèvre" - a fourni un travail très solide en Gamzatti. Elle possède une bonne technique, et on la sentait appliquée et désireuse de bien faire. Sur le plan dramatique, elle manque en revanche encore de maturité, et son jeu, trop timide, n'est pas vraiment celui d'une princesse. Il n'est pas toujours facile pour elle de tenir tête à Dorothée Gilbert, esclave supposée, mais au port aristocratique et au tempérament autoritaire.

Question esclaves, justement, on a eu droit à un pas de deux de très belle tenue, même si un voile récalcitrant a causé quelques frayeurs à Mlle Gilbert. Yann Saïz s'est empressé de l'arracher d'un coup sec, pour éviter un probable accident. C'était d'ailleurs là l'une des dernières apparitions de M. Saïz, qui prendra sa retraite le 31 décembre, en laissant un goût un peu amer aux habitués du Ballet de l'Opéra de Paris. Yann Saïz est un vrai artiste, imaginatif, créatif, dont la carrière a été entravée par des blessures malheureuses et des promotions intervenues à contre-temps. On ne peut que le déplorer, car ce danseur avait en lui le potentiel d'une étoile.

Dans les seconds rôles, on aura surtout été épaté par le Fakir (pas d'erreur cette fois!) totalement déjanté de Hugo Vigliotti, personnalité aussi attachante qu'incontrôlable, et dont on se demande à chaque fois à quelle nouvelle extravagance il va se livrer. Il possède un vrai sens du spectacle, et ses interventions ne distillent jamais l'ennui.

Dans la danse indienne, très endiablée, Hugo Vigliotti (masqué) en a remis une couche, asticotant sans cesse les deux excellents solistes, Sabrina Mallem (? La feuille de distribution mentionnait Roxane Stojanov, mais j'ai un sérieux doute) et Yann Chailloux.

Le trio des Ombres était lui constitué - aucune hésitation possible - de Hannah O'Neill, Aubane Philbert et Valentine Colasante.

Mlle O'Neill a brillé par sa technique et ses beaux ports de bras, faisant honneur au titre de Première danseuse nouvellement acquis. Le contraste est néanmoins aussi saisissant qu'intéressant avec Aubane Philbert, qui lui succédait. Hannah O'Neill possède une stature internationale, de danseuse de gala et de "bête à concours", mais son style peut difficilement être rattaché à une école particulière. Mlle Philbert, elle, nous ramène d'un coup à l'Opéra de Paris, et à une danse davantage représentative de l'"école française", même si, par ces temps de mondialisation triomphante, cette notion perd un peu de sa pertinence.

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[Florestiano]

Cela fait suffisamment de temps qu'une partie de la balletomanie parisienne (dont je suis) se lamente sur le manque d'explosivité des danseurs pour s'épargner de faire la fine bouche devant le miracle (je dis bien le miracle) qu'il nous a été donné de vivre hier soir : ce moment bouleversant où un artiste se fond dans un des rôles les plus emblématiques du répertoire avec une forme d'évidence confondante.

Il suffit des trois grands jetés inauguraux à Hugo Marchand pour poser d'emblée une autorité et imposer une présence, que son profil de médaille grecque et le port altier dont il ne se départit pas ne font qu'amplifier. J'ai été frappé par la finesse de sa caractérisation, dès la rencontre avec Nikiya, où il ne verse pas dans le sentimentalisme adolescent et niais mais se fait presque dominateur vis-à-vis de son amoureuse. L'ambiguité dans sa relation à Gamzatti - il semble tout de même tenté par l'aventure et ne force pas l'affliction devant ses copains quand le Rajah lui annonce son projet de mariage avec elle - est également remarquablement assumée.

Des variations de Solor - toutes superbement exécutées -, celle qui m'aura le plus bouleversé est l'entrée de Solor au III ; je n'y avais toujours vu jusqu'ici qu'un enchaînement désordonné de pas typiques de Noureev sur lequel on ne pouvait que s'embrouiller. Marchand est le premier danseur qui lui donne du sens, dans une poésie de mouvements à pleurer.

haydn a pointé les qualités "techniques" de partenaire, mais il faut noter la principale : le partenariat assuré, sans faille et à la fois très doux de Marchand a permis à Dorothée Gilbert de se transcender et d'offrir une Nikiya vibrante et spectrale que nous nous rappellerons longtemps - on avait aussi noté combien Isaac Hernandez exhaussait sa partenaire à un niveau de fusion étonnant.

Dans ces conditions, le manège de double-assemblés (sur lequel on se focalise de manière un peu ridicule à Paris alors qu'il devrait s'agir d'un non-sujet...) paraît totalement anecdotique. Dans le cas de Josua Hoffalt, le choix d'un manège alternatif découle simplement du fait qu'il est incapable d'exécuter la séquence de manière convenable (comme l'ont montré les représentations où il s'y est essayé) ; dans le cas de Hugo Marchand, la force de la proposition artistique est telle pendant 3 actes que même s'il avait choisi d'autres figures, cela n'aurait posé absolument aucun problème.

Je n'ai pas encore pu découvrir François Alu, mais j'ai vu les prestations piteuses de nos Etoiles masculines, dont aucune n'assure l'ensemble des facettes du rôle. Et Hugo Marchand, non, n'avait absolument pas à rougir de sa prestation.
Il n'est pas parfait, il n'est pas le meilleur, etc. etc., ainsi que vous le pointez, haydn. Peut-être. Mais un Solor est né à l'Opéra de Paris et, à 22 ans, nous a fait vibrer. Il y a tout lieu de s'en réjouir !

Grande impatience de découvrir les distributions Ould-Braham/Alu et Kim/Shapran/Bourdon. La série de 2012 nous avait affligé. Qui eût cru que 2015 nous réserverait de telles émotions ?

[Ariodante]

Il me semble que la réponse à votre question se trouve sur votre première photo Haydn, n'est-ce pas Roxane Strojanov tout à droite ? Elle n'aurait pas pu être aussi danseuse indienne (si c'est bien elle).

[Jonquille]

Exact. Roxane Stojanov a remplacé Sophie Mayoux dans le pas d'action et a du coup été remplacée par Sabrina Mallem dans la danse indienne.

[Joël]

[haydn]

Vendredi, Kristina Shapran, du Mariinsky, fera ses débuts en Nikiya sur la scène de l'Opéra Bastille. Découvrez-là dès à présent sur Dansomanie, grâce à Elena, qui est allée l'interviewer au Mariinsky, à Saint-Pétersbourg!

15 décembre 2015 : Kristina Shapran, de Saint-Pétersbourg à Paris


Depuis l'enfance, on considérait l'Opéra de Paris comme un temple. C'est-à-dire, le Mariinsky est un temple et là-bas [à Paris] aussi, il y a quelque chose que l'on a peur de toucher. C'est une grosse responsabilité. Ce n'est pas une proposition, mais un cadeau.

Pour être honnête, je rêvais de danser à Paris lorsque j'étais petite. C'est étrange, j'ai rêvé de danser ici, au Théâtre Mariinsky, et là-bas. J'ai récemment relu mes cahiers d'enfant et il y est écrit : "Je veux devenir ballerine et danser au Théâtre Mariinsky et je veux aussi danser à Paris".

Je ne sais pas comment ça s'est passé exactement, mais Benjamin Millepied est venu me voir encore après Without [ballet de Benjamin Millepied au répertoire du Mariinski, ndlr.] lorsque je l'ai dansé en Amérique et il m'a dit : "Je voudrais que tu viennes danser chez nous."

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[paco]

[haydn]

Pour les nostalgiques, la Bibliothèque nationale de France a mis en ligne sur son site web trois séries de clichés de La Bayadère, pris lors de la création (de la version Noureev, s'entend) en 1992, et des reprises de 1994 et de 1995. Cliquez sur les images pour voir les albums complets :

1992



1994:




1995:

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[chien en peluche]

Merci, haydn
C'est un joli cadeau de Noël!

[doudou]

Josua Hoffalt annonce sur sa page Facebook son forfait pour les Bayadère du 24. 28 et 31 décembre en raison d'une blessure au pied.

[lopatkino]

[haydn]

Assez probable que ce soit H. Marchand et F. Alu qui soient privés de dinde et de foie gras...

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[haydn]

Apparemment ce serait Hugo Marchand. Il aura droit à des étrennes?

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[lopatkino]

Marchand, ça semble logique, mais apparier Hecquet et Alu aurait été plutôt exotique