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Dossier : Roméo et Juliette / ITW FRANCIS MALOVIK

 
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haydn
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MessagePosté le: Mer Mar 04, 2015 3:49 pm    Sujet du message: Dossier : Roméo et Juliette / ITW FRANCIS MALOVIK Répondre en citant

Dans le cadre de la rediffusion au cinéma dimanche 8 mars 2015 à 16h, nous avons réalisé ce dossier retraçant la genèse des différentes versions russes de Roméo et Juliette, de Psota à Grigorovitch. Et en invité spécial, Francis Malovik, ancien danseur au Ballet de l'Opéra de Paris, qui a eu la chance de participer à la création du Roméo et Juliette de Youri Grigorovitch au Palais Garnier en février 1978. Par la suite, Francis Malovik figurera également sur les distributions de la version Noureev du célèbre ballet mis en musique par Serge Prokofiev.


    Carnets d'histoire de la danse : Roméo et Juliette



    Les deux premières versions chorégraphiques de Roméo et Juliette remontent respectivement à 1785 (Giulietta e Romeo, d'Eusebio Luzzi, à Venise) et à 1811 (Romeo og Giulietta, de Vincenzo Galeotti, le prédécesseur de Bournonville à Copenhague).

    Ce n'est que plus d'un siècle après, que la pièce pourtant archi-célèbre de Shakespeare inspira de nouveau les chorégraphes avec, en 1926, une création de Bronislawa Nijinska pour les Ballets Russes de Monte-Carlo, sur une musique de Constant Lambert et une scénographie de Max Ernst et Joan Miró. Curieusement, un intermède signé ... George Balanchine figurait au milieu de la pièce.

    En 1934, la direction du Kirov fit savoir à Serge Prokofiev, de retour de d'exil en Occident (ou il demeura de 1918 à 1933), qu'elle était intéressée par la composition d'un grand ballet sur le thème de Roméo et Juliette, capable de remplir une soirée entière. Dans le même temps, le Bolchoï voulut aussi prendre part au projet, et c'est à Moscou qu'eut lieu la première exécution de la musique seule, en octobre 1935.

    Les responsables tant du Kirov que du Bolchoï jugèrent la partition de Prokoviev "beaucoup trop complexe" et "indansable", voire carrément écrite à l'opposé de toute logique chorégraphique.

    C'est finalement au théâtre de Brno (dans l'actuelle République Tchèque) que le ballet fut créé le 30 décembre 1938, sur une chorégraphie d'Ivo Váňa Psota (1908-1952, danseur et chorégraphe tchèque).


    (Carnets de notes chorégraphiques d'Ivo Váňa Psota)


    Zora Šemberová (Juliette) et Ivo Váňa Psota (Roméo) lors de la création du ballet en 1938.

    Par ailleurs, Prokofiev publia, respectivement en 1936 et en 1937, deux Suites d'orchestre et des Pièces pour piano tirées de Roméo et Juliette. Ces arrangements connurent un grand succès en Union Soviétique, et finirent par décider le Kirov à monter lui aussi, enfin, le ballet, en commandant une nouvelle chorégraphie à Léonide Lavrovski. Lavrovski imposa à Prokofiev, furieux, de très importantes modifications dans la partition. Le compositeur dut notamment ajouter une variation pour chaque soliste principal, ainsi que la scène de la procession funèbre de Tybalt, la danse des Mandolines et la scène de la Crypte (Roméo, Lorenzo).

    La création russe de Roméo et Juliette eut lieu au Kirov (Mariinsky) le 11 janvier 1940. La distribution réunissait Konstantin Sergueïev (Roméo), Galina Oulanova (Juliette), Andreï Lopukhov (Mercutio), Boris Shavrov (Paris) et Yevguénia Biber (La Nourrice).









    __________________________________________________________



    Dès 1946, Roméo et Juliette est repris à Moscou, au Bolchoï, avec une scénographie et une distribution légèrement différentes. Sergueïev et Oulanova conservent les rôles principaux, mais c'est à Alexeï Ermolaev - qui devint plus tard le professeur de Yuri Vladimirov et de Boris Akimov, actuels maîtres de ballet dans la compagnie moscovite - qu'échut le rôle de Mercutio.





    La première représentation de Roméo et Juliette hors de l'union soviétique eut lieu à la Staatsoper de Berlin en 1954. Le Bolchoï, en tournée dans les pays du bloc de l'Est, y donna le troisième acte, avec toujours Galina Oulanova en Juliette, et cette fois Youri Jdanov en Roméo.



    Le public occidental découvrit l'ouvrage deux ans plus tard, à Londres, là aussi à l'occasion d'une tournée du Bolchoï.

    En 1965, Oleg Vinogradov qui, trois ans plus tard, deviendra directeur du Kirov (Mariinsky), monte son propre Roméo et Juliette à l'Opéra de Novossibirsk, où il est alors danseur de caractère.

    En 1978, c'est au tour de Youri Grigorovitch, directeur du Bolchoï, de créer une nouvelle chorégraphie sur la musique de Prokofiev, pour... l'Opéra de Paris (compagnie pour laquelle il venait aussi de réaliser Ivan le Terrible). La première eut lieu le 22 février 1978 au Palais Garnier :

    __________________________________________________________








    __________________________________________________________


    Huit représentations furent programmées :

    22 et 24 février à 19h30
    27 février à 20h00
    2, 3, 6, 16 et 18 mars à 19h30



    Les distributions étaient les suivantes :

      Juliette :
      Dominique Khalfouni (22/02, 02/03, 16/03)
      Natalia Bessmertnova, étoile invitée (24/02, 03/03, 18/03)
      Florence Clerc (27/02, 06/03)

      Roméo :
      Michaël Denard (22/02, 02/03, 16/03)
      Alexandre Bogatyrev, étoile invitée (24/02, 03/03, 18/03)
      Charles Jude (27/02, 06/03)

      Tybalt :
      Jean Guizerix (22/02, 24/02, 02/03, 03/03, 16/03, 18/03)
      Bernard Boucher (27/02, 06/03)

      Mercutio :
      Georges Piletta (22/02, 24/02, 02/03, 03/03, 16/03, 18/03)
      Patrick Dupond (27/02, 06/03)

      Pâris :
      Bernard Boucher (22/02, 24/02, 02/03, 03/03, 16/03, 18/03)
      Laurent Queval (27/02, 06/03)

      La Nourrice :
      Christine Malaurie (22/02, 24/02, 02/03, 03/03, 16/03, 18/03)
      Annie Carbonnel (27/02, 06/03)

      La Mère Capulet :
      Liliane Oudart (22/02, 24/02, 03/03, 06/03, 16/03, 18/03)
      Nelly Gorlia (27/02)

      Le Père Capulet :
      Alain Bogréau (22/02, 24/02, 02/03, 03/03, 06/03, 16/03, 18/03)
      Francis Malovik (27/02, 06/03)

      Le Père Montaigu :
      Francis Malovik (22/02, 24/02, 02/03, 03/03, 06/03, 16/03, 18/03)
      Alain Bogréau (27/02, 06/03)



    Les notes d'intentions communiquées aux médias lors de la création de Roméo et Juliette dans la chorégraphie de Youri Grigorovich précisaient :


      Youri Grigorovitch réalise pour la première fois la mise en scène et la chorégraphie de Roméo et Juliette. C'était son rêve, et depuis toujours. Aussi a-t-il accepté d'emblée la proposition de Rolf Liebermann, sans pour autant se dissimuler la difficulté de venir après tant d'autres : depuis la création mondiale, en 1940, au Kirov de Léningrad [recte : à Brno en 1938], de la version initiale due à Léonide Lavrovski, la musique de Prokofiev a inspiré de nombreux chorégraphes, et parmi les plus grands. La version Lavrovski est cependant restée la plus célèbre. Elle a été depuis longtemps adoptée par le Bolchoï, et en sa qualité de Directeur de la danse, Grigorovitch veille à sa préservation. Cela ne signifie pas pour autant que la version qu'il prépare pour l'Opéra ne sera jamais présentée à Moscou. "Rien n'est décidé à ce sujet", se borne-t-il à déclarer.

      Il va de soi que Grigorovitch entend traiter Roméo et Juliette d'une façon tout à fait différente de celle de Lavrovski. "Le ballet est conçu en deux actes, d'une heure chacun environ, précise-t-il. Il se compose de dix-huit tableaux et j'ai un peu rétréci toutes les scènes qui menaçaient d'allonger le spectacle. J'ai, par exemple, écourté tous les tableaux de mœurs, et supprimé le personnage du Duc afin d'éviter qu'il y ait trop de pantomime. J'ai surtout voulu mettre en évidence les thèmes de l'amour et de la haine qui me paraissent fondamentaux dans Roméo et Juliette. La haine a l'air de triompher mais, bien qu'il périsse, c'est l'amour qui est quand même vainqueur. Toutes les modifications sont destinées à mettre l'accent sur ces deux forces qui sont en fait celles qui dominent le monde. Elles ont toujours existé et existeront toujours. La conclusion est aussi modifiée par rapport à Shakespeare dans le sens voulu par Prokofiev et qu'à l'époque la critique lui reprocha. Il souhaitait en effet que Roméo et Juliette ne meurent pas à la fin! Son scénariste, Serge Radloff, finit par le convaincre : "Nous n'allons pas nous faire tuer pour que vivent Roméo et Juliette!" Et la scène finale fut telle que Shakespeare la voulait. Dans mon ballet, la voyant vivante, Roméo retrouve assez de forces pour se jeter dans les bras de Juliette et celle-ci, sans réaliser qu'il est mourant, l'entraîne dans une danse éperdue. Il la suit jusqu'à l'épuisement de ses forces... il meurt et elle se tue".

      "Autre caractéristique : tout le spectacle est placé sous le signe du Carnaval, dont les masques apparaissent à l'ouverture et passent ensuite à l'arrière-plan. Bien entendu, cette toile de fond se réfère à la musique de Prokofiev dont la tarentelle évoque une fête populaire".

      "La partition a été scrupuleusement respectée. Aucune autre musique du compositeur n'a été ajoutée, comme on le fait souvent, à l'exclusion de la Gavotte que lui--même emprunta à sa Symphonie Classique. En revanche, il y a plusieurs coupures".

      Comme toujours, Grigorovitch développe son langage chorégraphique à partir du vocabulaire classique. Il cherche à en élargir la diversité et les richesses expressives en évitant les ruptures brutales, à apporter du nouveau par rapport à des ouvrages antérieurs, sans tomber dans le système, vouloir innover à tout prix. "Nouveau, dit-il, n'est pas toujours synonyme de bien".

      Dans le cas de Roméo et Juliette, la préoccupation primordiale est d'insuffler au spectateur force et rapidité. Les décors de Virsaladzé sont conçus de façon à permettre des changements rapides. C'était déjà le cas pour Ivan le Terrible qui a démontré que le décorateur sait, en ce sens, trouver d'ingénieuses solutions. Cette fois, il a utilisé pour transformer le cadre scénique, tout un jeu de draperies en velours noir qui s'écarteront, se lèveront, se déplaceront... Quelques éléments : un balcon, un lit, un tombeau, permettront de mieux situer les lieux de l'action.

      Selon le principe d'Ivan le Terrible, les costumes seront très légers, afin de ne pas gêner la danse, toute en restant conformes aux fastes de la Renaissance italienne. Enfin, les masques, beaucoup de masques, pour les héros comme pour la foule anonyme, viendront ajouter au caractère du spectacle. Après Spartacus et Ivan le Terrible, Roméo et Juliette s'annonce, bien entendu, comme une nouvelle illustration de ce théâtre de ballet ["Dram Ballet", ndlr.] cher à Grigorovitch, et qui associe étroitement la danse et l'expression dramatique.

      "C'est pourquoi, dit-il, il me faut encore les interpréter, les jouer".



    A l'issue de la Première de Roméo et Juliette, le 22 février 1978, la presse française se montre d'une grande sévérité envers Grigorovitch, non sans quelques arrières pensées politiques :

      Ce qui est vraiment pathétique, c'est de voir le résultat - décevant, il faut bien le dire - de quatre mois d'un travail considérable ; car le corps de ballet de l'Opéra et quatre solistes prestigieux se sont surpassés. Tous ont été admirables et l'on ne peut rêver distribution plus éblouissante, tant par la technique extraordinaire que par la personnalité des interprètes.

      Mais les personnages sont schématisés à l'extrême et les "numéros" réglés pour chacun d'eux sont bien souvent "poudre aux yeux, sans nécessité intérieure, mal intégrés dans le contexte.

      Anne Duvernoy, Le Quotidien de Paris, 24 février 1978

      Dominique Khalfouni est une belle danseuse mais elle n'a rien qui puisse faire une Juliette convaincante : elle n'a aucun de ces étonnements de l'enfant qui s'ouvre à la vie et se découvre femme. Auprès d'elle Michael Denard est un Roméo sans grande chaleur, plus concerné par sa personne que par sa passion et de plus sur le plan de la danse assez peu en forme. Jean Guizerix campe avec grande allure un Tybalt inquiétant. Le triomphateur de la soirée est Georges Piletta qui en Mercutio s'est montré un artiste rare et inspiré. Avec un grand style et une technique maîtrisée, où il nous montre une superbe école, il a su déjouer les pièges d'une chorégraphie un peu cirque et donner à son personnage une dimension poétique et émouvante.

      Roméo et Juliette de Grigorovitch qu'on devrait appeler "Tybalt et Mercutio" est un spectacle non aboutit, grandiloquent et creux. En dépit de cela, il a certaines qualités dans le découpage, il faut lui rendre cette justice.

      Pierre Combescot, Les Nouvelles littéraires, 03 mars 1978

      Cette grande fresque vide où la pantomime est nulle et la danse entêtante a été défendue avec un cœur admirable par le corps de ballet. Côté solistes, je n'ai pas été le moins du monde ému, à ma grande surprise, par l’interprétation de Mlle Dominique Khalfouni en Juliette et M. Michael Denard en Roméo, tous deux davantage obnubilés par leurs variations qu'habités par leur roman d'amour. Mlle Khalfouni, assez transparente dans les expressions mutines du rôle, s'est pourtant transformée, si belle avec ses cheveux de jais, dans le désespoir - c'est décidément une tragique. Quand à M. Denard, aussi peu latin que possible quand la mémoire évoque un Attilio Labis ou un Paolo Bortoluzzi, il ne m'a paru aucunement bouleversé par le fameux coup de foudre du bal, restant étrangement clos sur lui-même. Ce sont deux seconds rôles qui "ramassent tout" : M. Jean Guizerix en Tybalt, inquiétant et tranchant à souhait, et M. Georges Piletta en Mercutio, celui-ci bondissant aux frises, transformé hors de propos en acrobate de cirque., moulé dans un affreux maillot canari, mais d'une présence extraordinaire, un personnage enfin.

      Costumes reculant les limites du pompiérisme et la merveilleuse partition de Prokofiev, bien dirigée par l'excellent chef du Bolchoï, Algis Juraïtis. Des hou-hou bien sentis au rideau final aussitôt submergés par les bans rituels de la brigade des acclamations.

      Olivier Merlin, Le Monde, 24 février 1978

      Après la version passablement lourde et ennuyeuse en raison de son faste présentée par Noureev, on espérait un miracle de la part du directeur du Bolchoï. Hélas, il faut reconnaître que sa vision terne et conventionnelle des amours contrariées de Roméo et Juliette parait encore plus pauvre. La mise en scène de Noureev pêchait par un trop grand nombre d'idées d'un goût douteux. Rien à craindre avec Grigorovitch, pas la moindre faute de goût... faute d'idée tout court! Sa chorégraphie, la plus banale du monde, qui pourrait être signée par n'importe quel danseur classique tant elle manque de personnalité et de caractère, ne reflète que l'ombre du talent de l'auteur des ballets Spartacus et Ivan le Terrible.

      René Sirvin, L'Aurore, 24 février 1978


    Si la critique parisienne et parisianiste se déchaîne contre Grigorovitch, le soutien vient, paradoxalement d'une publication anglophone, l'International Herald Tribune, quotidien américain publié dans la capitale française :

      Grigorovich's version is more impressive in its sense of structure, with its contrast between intimate scenes and mass movement, and its stagecraft, than for the choreography as such.

      The ritual-like lamentation over the bodies of Tybalt and Mercution, with a sudden cut to the lover's farewell scene, was a brilliant stroke. The Tybalt-Mercutio duel was mor stylized dance than choreographic fight, while the following Tybalt-Romeo duel was seen mostly through the reactions of the Carnival revelers, whith the duelers off stage until the fatal thrust.

      The four principal men were sharply distinguished from each other, both by choreography and by careful casting. Michael Denard's Romeo was handsome, tender and noble ; Jean Guizerix's Tybalt was a menacing, swordswishing heavy somewhat in the mold of Crassus in Grigorovich's staging of Spartacus, with breathtaking sequences of leaps and turns taht Guizerix tossed off brilliantly, Georges Piletta's Mercution was as sparkling and airborne as a court jester, and Bernadrd Boucher brought a solemn, aristocratic poise to Paris's brief scenes.

      Dominique Khalfouni was the Juliet, with her long, slender lines giving a sense of the slightly awkward grace of a teenager. She and Denard had no less than four full-scale pas de deux to dance, and while these were unfailingly attractive, Grigorovich did not endow them with enough choreographic inventiveness or originality to keep a progressive feeling of sameness from setting in. One departure from Shakespearer was to have Romeo dying, but still alive, when Juliet awoke, ending the ballet with Juliet lifeless across Romeo's body.

      David Stevens, International Herald Tribune, 24 février 1978




    En dépit de la virulence d'une large majorité de journalistes, Roméo et Juliette fut un succès public, et fut repris à l'Opéra de Paris dès la saison suivante, en octobre 1978, puis, dans la foulée, présenté au Japon dans le cadre d'une tournée de la compagnie nationale. En 1979, Grigorovitch remaniera sa chorégraphie pour la monter au Bolchoï, où elle s'est maintenue au répertoire jusqu'à aujourd'hui. A l'Opéra de Paris, elle aura été supplantée par celle de Rudolf Noureev, et dont la version initiale avait été conçue en 1977 pour le London Festival Ballet (aujourd'hui English National Ballet).


    Francis Malovik, ancien danseur du Ballet de l'Opéra de Paris, qui a eu la chance de danser la version Grigorovitch de Roméo et Juliette lors de sa création de de 1978, puis celle de Rudolf Noureev, a accepté de nous livrer ses souvenirs :


    Francis Malovik : Réminiscences de Roméo et Juliette




    Je gardais un excellent souvenir d'Ivan Le Terrible, que Grigorovitch était venu monter à l'Opéra de Paris pas très longtemps auparavant [octobre 1976, ndlr]. J'étais donc très content de son retour pour Roméo et Juliette, d'autant qu'il s'agissait d'une création. On avait fait du très bon travail avec lui sur Ivan Le Terrible. On sentait la force – y compris la force physique – qu'il dégageait. Il savait très bien doser l'énergie et la douceur. Il était accompagné d'un assistant, Nicolas Simatchev, au caractère très différent, mais qui était un excellent maître de ballet. Youri Grigorovitch supervisait toutes les répétitions, et c'est lui-même qui nous montrait les pas.

    J'aimais bien cette production de Roméo et Juliette, en raison de son lyrisme. Parmi les interprètes qui m'ont marqué, il y a eu le Mercutio de Georges Piletta et le Tybalt de Jean Guizerix. Les danseurs du corps de ballet ont aussi beaucoup apprécié cette création. Après la première, les critiques dans la presse n'étaient pas forcément très bonnes, mais le succès public était là. J'en veux pour preuve que Roméo et Juliette a ensuite été présenté en tournée au Japon, avec beaucoup de réussite également. Ma seul réserve porterait sur le décor de Simon Virsaladzé, réalisé dans des tons gris et marron, qui obscurcissait un peu les idées chorégraphiques de Youri Grigorovitch.

    J'ai eu la chance qu'on me confie un rôle, celui du Père Montaigu [ndlr : en fait, Francis Malovik alternait, avec Alain Bogréau, en Père Montaigu et en Père Capulet]. J'ai fait toutes les représentations, ce qui m'a donné l'occasion d'être sur scène avec Dominique Khalfouni, Juliette lors de la Première, et Natalia Bessmertnova, l'épouse de Youri Grigorovitch, qui était invitée pour trois spectacles.

    Grigorovitch avait un style très personnel, marqué évidemment par l'école russe ; il était très exigeant sur l'interprétation, le jeu. Cela nous faisait du bien de travailler différemment, avec davantage de démonstration dans l'expression des sentiments.

    Plus tard, j'ai également eu la chance de danser le Roméo et Juliette de Rudolf Noureev, qui m'y avait confié le rôle de Tybalt. C'est aussi une chorégraphie très forte, sans doute la meilleure de Noureev, mais je ne vois pas de raison de l'opposer à celle de Grigorovitch. Certes, ils ont chacun leur personnalité, mais ils ne sont pas si antagonistes que cela. Il ne faut pas oublier qu'ils sont tous deux passés par le Kirov (Mariinsky), où ils ont peut-être même dansé ensemble. Paradoxalement, dans Roméo et Juliette, Noureev a suivi une voie plus «classique», tandis que Grigorovitch, plus «moderniste», a, dans la danse, privilégié le caractère. C'était en tous cas salutaire d'avoir les deux versions à notre répertoire.

    En répétition, Noureev veillait d'avantage à la propreté, primordiale, vu la richesse, la complexité des pas. C'était un labeur très fécond pour la troupe, très exigeant physiquement. Il fallait avoir la santé pour danser les ballets de Rudolf! Chez Grigorovitch, ce qui comptait d'abord, c'était la caractérisation des personnages. Il montrait la chorégraphie de manière extrêmement claire ; avec lui, on apprenait nos rôles de manière très rapide, presque instinctive. Son maître de ballet, M. Simatchev donc, se chargeait ensuite du travail de détail. En tout cas, les choses se sont vraiment très bien passées avec lui, il n'y a pas eu de conflit en raison de notre formation, de notre école, différentes de la sienne. L'ambiance dans les studios était excellente. Sur le plan politique, nous étions en pleine guerre froide, mais à l'Opéra, ce n'était absolument pas perceptible, et les relations avec Youri Grigorovitch ont été très chaleureuses et enrichissantes.

    Pour la première, Grigorovitch avait choisi d'associer Dominique Khalfouni et Michael Denard. C'était a priori assez surprenant, car on n'avait pas vraiment l'habitude de les voir danser ensemble, mais les deux interprètes se sont révélés idéaux. Ils formaient un très beau couple, très émouvant. Si Dominique Khalfouni n'avait pas quitté prématurément la compagnie, c'est un tandem qui aurait certainement pu durer et entrer dans la légende. La direction de l'Opéra n'avait pas vraiment une politique affirmée en ce qui concerne les partenariats, mais il y a eu tout de même un certain nombre d'appariements stables, tels Noëlla Pontois / Cyril Atanassoff ou Ghislaine Thesmar / Michael Denard.

    Pour Tybalt, c'était moins inattendu, car Grigorovitch connaissait et appréciait Jean Guizerix depuis un bout de temps déjà, et il lui avait confié le rôle principal dans Ivan le Terrible.

    Après la création de Roméo et Juliette, j'ai eu la chance de rencontrer à nouveau Youri Grigorovitch personnellement, d'abord à l'occasion d'une tournée du Ballet de l'Opéra de Paris au Bolchoï, puis à Bordeaux – plus exactement à Saint-Emilion -, où nous avons pu discuter à la fois vin et danse!










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JMJ



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Messages: 675

MessagePosté le: Mer Mar 04, 2015 4:46 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Merci Haydn pour ce dossier historiographique passionnant.

Un oubli cependant: juste avant la prise de pouvoir de Noureev, il y a eu l'éphémère mise au répertoire de la version Cranko.
Il est possible que Francis Malovik n'y ait pas participé, mais c'est étonnant car on le retrouvait souvent dans les caractères.


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Florestiano



Inscrit le: 28 Mai 2010
Messages: 1802

MessagePosté le: Mer Mar 04, 2015 10:09 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Bravo pour ce travail, haydn, et merci !


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paco



Inscrit le: 28 Oct 2005
Messages: 3546

MessagePosté le: Jeu Mar 05, 2015 12:58 am    Sujet du message: Répondre en citant

Wouaou, travail impressionnant !! Et merci d'avoir inséré la photo du programme de salle de 1978, ça réveille mes souvenirs d'enfance à l'amphi de Garnier Wink


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