sophia
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Posté le: Ven Fév 14, 2014 12:40 pm Sujet du message: |
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Rencontre autour de Fall River Legend
Une rencontre autour du ballet Fall River Legend d'Agnes de Mille avait lieu au Studio Bastille le 13 février. Elle réunissait autour de Brigitte Lefèvre et Sylvie Blin, en charge des questions, Elisabeth Maurin, première interprète du rôle de l'Accusée à l'Opéra de Paris, Alice Renavand, qui reprend cette année ce rôle, Anderson Ferrell, directeur du De Mille Working Group, et Paul Sutherland, responsable des répétitions (ainsi qu'une interprète, dont je n'ai pas retenu le nom – pardon!).
Fall River Legend, d'Agnes de Mille, créé en 1948 ( http://www.agnesdemilledances.com/fallriver.html ), est entré au répertoire de l'Opéra de Paris en 1996. A I'époque, Brigitte Lefèvre avait estimé que l'Opéra possédait des artistes capables de danser ce ballet, qu'elle préfère du reste présenter comme « un récit », « d'une force poignante », qui montre que la danse, ce langage universel, « peut prendre différents visages, différentes énergies ». Il n'y avait pas été dansé depuis lors. Son retour au répertoire a été permis par les ayant-droits d'Agnes de Mille, dont Brigitte Lefèvre a souligné le grand enthousiasme. Elle a notamment remercié le répétiteur, Paul Sutherland, dont le travail va, selon elle, bien au-delà de la répétition, s'inscrivant dans la transmission, le don et la passion partagée auprès de tous, des étoiles aux danseurs du corps de ballet.
En voici une retranscription, entre fidélité, oublis et nécessaire réécriture...
Agnes de Mille est une grande chorégraphe américaine, mais le public français ne la connaît pas forcément bien. Pouvez-vous nous la présenter en quelques mots?
Anderson Ferrell : Ce qu'on voit dans Fall River Legend, c'est d'abord le grand talent d'Agnes de Mille pour raconter, pour présenter et sublimer un récit, évidemment de manière non verbale. Agnes de Mille avait reçu une excellente éducation. Elle avait lu tous les grands auteurs et tous les grands textes. Elle avait arrêté la danse pour étudier la littérature anglaise à l'Université de Los Angeles, dont elle était sortie diplômée avec mention. Elle savait ce qu'était un bon récit, dans son fonctionnement et sa structure, et comment en rendre compte par la danse, donc sans les mots. Elle avait le génie pour créer une gestuelle qui identifie et révèle un personnage, c'est vraiment ce qui est le plus remarquable chez elle. Elle avait aussi étudié l'histoire, notamment l'histoire sociale et culturelle. Elle était sensible aux vêtements, aux comportements sociaux, et à tout ce qu'ils traduisent de la mentalité d'une époque. Ce n'est pas tellement le cas dans Fall River Legend, mais dans Rodeo, un autre ballet bien connu d'Agnes de Mille, on perçoit bien son humour et son sens de la blague, et ça, c'est vraiment ce qu'il y a de plus difficile à faire dans la danse. Elle était la nièce de Cecil B. de Mille, le réalisateur et producteur américain. Elle a vécu à Hollywood, à partir de l'âge de neuf ans, et grandi dans ce monde du cinéma. Ce talent qu'elle a développé à l'âge adulte - cette capacité à adapter une gestuelle et des expressions variées à des personnages -, elle l'a appris, toute petite fille, au contact du monde du cinéma. Charlie Chaplin l'a tenue sur ses genoux...
Fall River Legend a été créé en 1948 et s'inspire d'un fait divers. Pouvez-vous nous résumer l'histoire?
Paul Sutherland : L'intrigue s'appuie sur une histoire véridique, celle de Lizzie Borden, une vieille fille originaire de Fall River, dans le Massachussetts. En 1892, on l'a accusée d'avoir assassiné, à coups de hache, sa belle-mère et son père. Le ballet part de ce fait divers, mais s'autorise quelques licences. La vraie Lizzie Borden avait été acquittée de ce crime. Bien qu'il y ait eu beaucoup de preuves contre elle, les juges l'avaient acquittée. L'histoire n'est pas très claire, mais Agnes de Mille pensait que c'était parce que ses juges, qui étaient sans doute des hommes d'un certain âge, ne pouvaient pas imaginer qu'une jeune fille, qui aurait pu être leur propre fille, ait pu commettre un acte aussi horrible. Agnes de Mille a créé ce ballet en collaboration avec le compositeur Morton Gould. Elle trouvait que l'acquittement à la fin, ce n'était pas suffisamment dramatique, que c'était trop difficile à mettre en scène. Le compositeur lui a proposé de composer une musique pour illustrer l'acquittement, mais lui aussi jugeait cela moins efficace, et ils ont finalement opté pour la pendaison. Voilà l'ajustement majeur du ballet par rapport à l'histoire. Il est donc très important que le ballet explique les raisons de son acte. Il est aussi très important de comprendre que Lizzie n'est pas une folle. Son histoire est une histoire d'amour tragique. Lizzie est amoureuse d'un homme, le pasteur, mais sa belle-mère l'a calomniée auprès de cet homme. Ce crime est sa seule manière de fuir l'emprise de cette vie et de cette société.
Comment Agnes de Mille a-t-elle rendu cette histoire sur le plan chorégraphique?
Paul Sutherland : Louis XIV et le ballet de l'Opéra de Paris nous ont apporté le ballet classique tel que nous le connaissons aujourd'hui. Le roi s'est inspiré des danses de la haute société de son temps et les a mises sur la scène. Il a donné une formation aux danseurs, raffiné la technique. Cet art est un « art de paraître » (un art de se présenter au public). L'Opéra de Paris est l'un des meilleurs exemples de l'accomplissement de cet art. Tous les danseurs classiques sont désormais formés à cela – à un certain art de paraître en scène face au public. Agnes de Mille a inversé complètement la perspective. Il n'y a rien de tout cela dans son ballet, sauf au tout début, quand Lizzie est condamnée, et à la toute fin, quand elle se retrouve face à la mort. L'essentiel du ballet est intériorisé. C'est une plongée dans la conscience et dans les souvenirs de Lizzie. Ça n'a rien à voir avec l'art classique. Les danseurs doivent danser ce ballet comme si le rideau était fermé, comme si les spectateurs se contentaient de soulever le rideau. Les gestes sont très naturels. Ce sont les gestes du quotidien, les gestes que l'on a dans l'intimité d'une conversation entre amis. Il n'y a pas de ports de bras travaillés. Les danseurs de l'Opéra de Paris ont reçu une très bonne formation et ils comprennent bien tout cela. Il ne s'agit pas d'inclure les spectateurs comme dans le ballet traditionnel. Ce style a une très grande force parce qu'en tant que spectateurs, on peut voir à l'intérieur de l'âme des personnages, on est obligés de les regarder parce qu'eux ne nous regardent pas.
Pourquoi avoir choisi Elisabeth Maurin, et maintenant Alice Renavand, pour ce rôle?
Brigitte Lefèvre : Je voudrais d'abord dire à quel point il est important que ce ballet puisse se retrouver à nouveau au répertoire et être associé à une pièce aussi extraordinaire que Mademoiselle Julie. Là, j'ai choisi que l'on parle de Fall River Legend, puisqu'on a déjà fait une répétition publique, conduite par Ana Laguna, autour de Mademoiselle Julie. Ce qui est important, c'est que nos amis américains puissent dire que le ballet de l'Opéra de Paris continue à être une grande référence classique, avec un comportement empreint d'une noblesse réelle. Nous, à l'Opéra, ne sommes pas précisément dans la démonstration, que ce soit pour la danse classique ou que ce soit pour une danse plus contemporaine. Nous sommes dans l'action, nous sommes dans l'émotion, nous ne sommes pas à aller vers le public.... ça c'est quelque chose que nous n'apprécions pas, ça ne fait pas partie de notre école. Ça ne nous empêche pas de donner beaucoup, regardez Elisabeth Maurin qui a travaillé avec Noureev et qui est maintenant pédagogue. En revanche, je suis heureuse que l'on puisse remarquer que nous sommes une immense compagnie de danse classique. C'est d'ailleurs grâce à cette manière de danser la danse classique que nous pouvons aborder les plus grands chorégraphes contemporains, et même de jeunes artistes. Nous restons cette grande référence, une référence qui n'est pas tournée vers le passé, mais qui s'appuie sur un socle et continue toujours à prospecter, à faire revivre des œuvres... parce qu'il y a une sincérité, une noblesse, une dignité - que l'on retrouve dans ce ballet d'Agnes de Mille.
En 1996, c'était hier, Elisabeth, je te revois encore le faire... Il y avait deux autres artistes, Isabelle Guérin et Marie-Claude Pietragalla, qui paraissaient peut-être plus évidentes pour certains, mais Elisabeth Maurin, c'était mon jardin secret. Je l'admire beaucoup. Je savais que tout ce qu'elle pouvait donner serait quelque chose de profondément rare, quelque chose qui permettrait à l'oeuvre d'exister pleinement et qu'elle-même, en tant qu'artiste, pouvait y découvrir d'autres sensations. Quant à Alice Renavand, je suis très admirative aussi. C'est une artiste singulière... et plurielle. Le ballet de l'Opéra de Paris n'aurait pas pu évoluer comme il a évolué s'il n'avait pas eu Alice Renavand. A chaque fois qu'il y a des chorégraphes invités, il y a tout de suite une empathie, liée à son talent, à sa beauté, à son travail, à cette façon de prendre les choses avec beaucoup de force et une très grande vulnérabilité. C'est la dernière danseuse étoile que j'ai nommée et ce sera sans doute la dernière danseuse étoile que j'aurai le plaisir de nommer... J'aimerais faire, comme Cioran, mes exercices d'admiration de chaque étoile, elles ont toutes quelque chose d'unique. Donc pour nos amis, j'ai choisi Alice Renavand, qui va faire la première, mais aussi Laetitia Pujol, qui a une sensibilité magnifique, et Nolwenn Daniel, première danseuse : avec sa rigueur elle peut paraître un peu sévère, donner l'impression de rester dans son univers, elle a beaucoup de charme par ailleurs... Voilà trois propositions qui me paraissent très intéressantes. Et en ce qui concerne Alice, je veux continuer à lui proposer des challenges artistiques... Mais j'aimerais bien qu'on donne la parole aux artistes...
Comment aviez / avez-vous abordé ce rôle? Qu'est-ce qu'il a représenté / représente pour vous?
Elisabeth Maurin : Au départ, cela pouvait apparaître pour moi comme un contre-emploi, notamment face à Isabelle Guérin et Marie-Claude Pietragalla. Mais en fait, c'est tout ce que j'aimais faire dans la danse : raconter une histoire. Là, j'étais royalement servie! C'est l'un des grands rôles d'interprétation dramatique que j'ai pu aborder dans ma carrière, avec Juliette, dans Roméo et Juliette. Comme un boxeur, ça m'a valu mon premier KO. Quand je suis rentrée dans ma loge, je ne savais plus qui j'étais. C'est un rôle profond, intense, avec une palette de sentiments nuancés, poussés à leur paroxysme. Alice va goûter tout cela avec délectation... Dix-huit ans après, je retrouve ce rôle, par le biais de la transmission et en collaboration avec Paul. J'ai été totalement déstabilisée par la première semaine de répétition, parce que je ne m'y retrouvais pas totalement par rapport à ce qui m'avait été transmis en 1996 [le ballet avait alors été transmis par Terence Orr, danseur à l'ABT, à présent directeur à Pittsburgh]. Ensuite, le travail avec M. Sutherland a été passionnant, il va vraiment au plus près de la source, le ballet prend une autre dimension. J'ai redécouvert le rôle. Donc ma mission, ce sont mes acquis, plus ce nouvel éclairage.
Alice Renavand : En 1996, j'étais à l'école de danse. Il m'avait tellement choquée et émue que je suis allée le voir six fois d'affilée. Je l'ai vu avec Elisabeth Maurin et Marie-Claude Pietragalla, je crois que je ne l'ai pas vu avec Isabelle Guérin. Quand j'ai su qu'on allait reprendre ce ballet et qu'on allait le danser, ça a été quelque chose d'assez énorme... J'en ai toujours rêvé et en même temps j'avais dans la tête l'image de ces deux danseuses étoiles que j'avais trouvées vraiment extraordinaires. J'ai même eu un peu peur au départ. Je me suis dit que je n'arriverai jamais à faire aussi bien. Avec les répétitions, la transmission d'Elisabeth, la nouvelle vision de Paul, petit à petit, j'ai construit mon personnage en me nourrissant d'Elisabeth, mais en essayant aussi de m'en détacher. C'est un rôle qui, comme l'a dit Elisabeth, nous met vraiment KO. Là, j'ai eu l'occasion de faire un filage, mais c'est le cas même en répétition. C'est incroyable de ressentir et de retranscrire autant d'émotions avec une telle simplicité. Ce n'est pas démonstratif, on ne va pas vers le public et c'est encore plus fort, pour l'artiste aussi... Vivre cet enfermement, ça fait ressortir des tas de choses que j'ai pu vivre. C'est super de pouvoir se nourrir de tout ça, de ce que l'on est, des autres... et de pouvoir danser ce ballet incroyable, avec une intensité dramatique exceptionnelle.
Vous en parlez comme des actrices parlent d'un rôle, d'une pièce...
Alice Renavand : Oui, sans la parole évidemment. Ça me fait plus penser à un film muet qu'à un ballet. Dans la construction, le ballet est très cinématographique. On n'est pas vraiment dans la réalité, puisqu'on revient en arrière, avec ce flash-back... On a nous aussi cette sensation de dédoublement, puisqu'on revit une histoire. C'est une expérience étonnante.
Quelle est la plus grande difficulté pour une danseuse étoile de l'Opéra national de Paris – la dramaturgie, la technique...?
Elisabeth Maurin : Il n'y a pas de grande difficulté technique. D'ailleurs, la danse s'efface pour laisser place à la parole par la geste. La plus grande difficulté, c'est d'arriver à nuancer. Comme pour un comédien qui à chaque page doit trouver des notes différentes, tout en trouvant un paroxysme. C'est un rôle viscéral, qui passe par les tripes.
Agnes de Mille voulait retrouver l'essence même de l'histoire des Etats-Unis. Fall River Legend est-il un ballet typiquement américain?
Anderson Ferrell : C'est un ballet typique d'Agnes de Mille. Qu'est-ce que c'est qu'un ballet américain? Maintenant, on peut dire que c'est Balanchine, qui était en réalité Russe. Mais il y a aussi eu des gens comme Antony Tudor, qui était Anglais. En Amérique, tout, la danse comme le reste, est importé. Tout ou presque nous vient d'ailleurs. Ensuite, les choses prennent une marque américaine. Agnes de Mille s'est toutefois servie de tout un héritage de danses folkloriques américaines, de danses théâtrales, de vaudevilles... Elle a toujours dit que les danses folkloriques ne mentent pas. Elles possèdent une clarté d'expression, elles ont quelque chose de direct... Ces éléments américains sont associés dans ses ballets à quelque chose de plus formel, de plus proche de la danse classique – en l'occurrence son école était plutôt celle de Cecchetti. Ses thèmes, enfin, sont américains. Pensez à Rodeo. Elle était amoureuse de ce qu'elle appelait les « légendes obsédantes de sa terre ». En-dehors de Fall River Legend, toutes ses oeuvres dégagent un optimisme que l'on a tendance à associer au caractère américain. Lizzie, l'héroïne de Fall River Legend, est une jeune femme bien éduquée, elle est typique de son époque – le tournant du siècle – et de la Nouvelle Angleterre. Rodeo, c'est plutôt la culture de l'Ouest qui est mise en scène. Ce sont là des histoires américaines.
Comment ce ballet, qui reprend un fait divers horrible et scandaleux, a-t-il été reçu à sa création?
Paul Sutherland : Il a eu du succès. Il a beaucoup moins choqué qu'ému. Le piège, c'est de penser que Lizzie est folle (la vraie Lizzie était folle). Ce qu'elle doit susciter, c'est la pitié, la compassion.
Et à l'Opéra de Paris lors de son entrée au répertoire?
Brigitte Lefèvre : Très, très bien (rires). Maintenant, la question est de savoir comment, les années passant, on associe des ballets dans un programme. C'était très important pour moi au cours de cette saison. On en parle beaucoup, et on a raison de dire qu'il y a peu de femmes chorégraphes. Il y en a évidemment, Pina et tant d'autres, mais pour ma part, j'aimerais qu'il y en ait davantage. Cela dit, je pense que ça ne se décrète pas non plus. Donc, il y a cet enjeu par rapport à la place de la femme dans la société. Je suis très émue quand je pense à ces deux femmes, à ces deux chorégraphes, que j'ai eu la possibilité de réunir au cours de cette soirée. En 1948, Agnes de Mille crée Fall River Legend, en 1950, Birgit Cullberg Mademoiselle Julie. Elles ne se connaissent pas, je ne pense pas qu'elles se soient croisées... Enfin peut-être, la danse étant internationale... Elles sont toutes les deux extrêmement cultivées. Ce ne sont pas de grandes danseuses ni de grandes interprètes, même si Birgit Cullberg a dansé. Ce sont des femmes qui dansent, des femmes qui pensent et des femmes qui résistent aussi. Ce sont des pionnières en leur genre. Il se trouve que Mats Ek, un jour, lors d'une conversation, m'a fait comprendre que ça ne lui déplairait pas que je puisse envisager de présenter Mademoiselle Julie. L'oeuvre de Cullberg est très différente, puisqu'elle s'appuie sur la technique classique, mais Cullberg, qui a adapté chorégraphiquement la pièce de Strindberg, est elle aussi une femme très tournée vers l'expressionnisme. Son héroïne devient finalement une victime puisqu'elle pense que son pouvoir lui permet de séduire Jean et d'en faire quelqu'un à sa botte... L'histoire se termine mal elle aussi. Alors que faire quand on accepte ce genre de ballet? A quoi l'associer? Soit on l'associe à un petit ballet abstrait et joyeux pour montrer que ce sera triste à la fin, soit on se dit qu'il ne faut pas priver le public de venir voir deux œuvres essentielles. Et pour moi, immédiatement, l'oeuvre essentielle, c'était Fall River Legend. Parce que c'est un ballet qui traite aussi du problème de l'éducation et du problème de l'éducation des femmes. C'est un ballet américain, mais c'est aussi un ballet très sociétal. J'espère vraiment que vous ne vous priverez pas de voir ces deux œuvres, qui montrent, dès 1948-1950, la force de ces questions, la force de ces chorégraphes femmes. Maintenant, ce n'est pas très joyeux, mais c'est mieux que ça!
Paul Sutherland : Par une coïncidence amusante, j'ai joué le Pasteur dans Fall River Legend et le Fantôme dans Mademoiselle Julie... [Brigitte Lefèvre : Je crois que je suis un médium!]. Je l'ai dansé en 1965, j'ai dansé le rôle du Fantôme, puis celui du Fiancé avec Toni Lander. Je ne l'ai pas revu depuis. Je voudrais ajouter qu'aux Etats-Unis, nous sommes tous des immigrants. Une part significative de notre culture, particulièrement pour le ballet, est une culture importée. Nous n'avons pas cette forte tradition de danse classique, mais au début du XXe siècle, nous avons eu toutefois ce courant très marquant de la « modern dance », notamment avec Martha Graham. Puis deux tendances se sont développées : d'un côté, les ballets abstraits, comme ceux de George Balanchine, et de l'autre côté, des gens comme Agnes de Mille ou Antony Tudor, qui sont très loin de l'abstraction. Chez eux, chaque mouvement a un sens. On ne fait pas une arabesque parce que c'est joli, mais parce qu'on va quelque part. On ne cherche pas la beauté du geste, mais l'expression. Mais il faut néanmoins une interprète dotée d'une excellente technique pour danser Fall River Legend, même si elle ne porte ni un tutu ni une tiare.
(Photos Jacques Moatti / Opéra National de Paris)
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