Dansomanie : critiques : Spectacle Nijinska - Taylor - Bombana
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Spectacle Nijinska - Taylor - Bombana

16 avril 2004, 19h30 : soirée de ballet au Palais Garnier

 

Des années 20 aux années 2000, tel était l'itinéraire chorégraphique de cette soirée qui réunissait Noces, de Bronislava Nijinska, Le sacre du printemps, dans la version iconoclaste de Paul Taylor et La septième lune, ouvrage commandé spécialement pour l'occasion à Davide Bombana et Jean Prodromidès.

Noces, curieusement créé en 1923 à Paris, au Théâtre de la Gaîté Lyrique par la compagnie des Ballets Russes de Serge Diaghilev, mais entré seulement en 1976 au répertoire de l'Opéra, possède indéniablement sa place dans l'Histoire de la danse ; néanmoins, et même si cela peut paraître facile ou vite dit, le talent de Bronislava Nijinska n'égale en rien le génie de son illustre frère, Vlaslav Nijinsky. La chorégraphie de Noces comporte d'évidentes faiblesses, et ce qui était révolution chez l'un, devient convention chez l'autre. Le "personnage" principal de l'ouvrage est ici le corps de ballet, et les solistes, fort peu sollicités en vérité, se contentent le plus souvent de contempler la besogne des "sans grade". Nijinska tend également à abuser des tableaux statiques, qui viennent trop souvent casser la dynamique de la partition de Stravinsky, sans réelle justification dramatique. Une aubaine pour les photographes, néanmoins!

Les grands ensembles constituent les centres d'intérêts majeures de ces Noces, et, si ils ne sont pas propices à l'épanouissement des individualités, ils sont de nature à mettre en valeur la cohésion et la discipline du corps de ballet. A ce jeu là, les hommes de la troupe se sont montrés les plus habiles. Du groupe des "amis", ressortaient toutefois MM. Saïz, Phavorin Isoart et Chaix, les trois premiers par leur qualités de mime, et leur capacité à trouver des expressions fort émouvantes, et le quatrième par l'intensité de son engagement physique, qui le rapproche peu à peu d'un Nicolas Leriche. Aurélien Houette et Samuel Murez confortent quant à eux spectacle après spectacle les espoirs qu'avaient fait naître leur prestations plus que méritoires lors du dernier concours de promotion. Autre confirmation, le couple remarquable constitué par Mélanie Hurel et Benjamin Pech, qui semblent fort bien s'entendre sur le plan artistique. Mais cela était déjà perceptible dans Giselle, tout comme dans Joyaux lors de la tournée du Ballet de l'Opéra à Blagnac.

Dans la fosse, si la magnifique partition de Strawinsky a été fort bien servie par les quatre pianistes (Elena Bonnay, Michel Dietlin et Vessela Pelovska, répétiteurs attitrés du Ballet, auxquels s'était joint Jean-Marc Bonn), l'on en dira pas autant des solistes vocaux,  tout particulièrement des deux sopranos, d'une affligeante médiocrité et a la diction française absolument incompréhensible. L'ensemble Accentus s'est avéré honnête, mais sans plus, et l'on ne peut s'empêcher de penser que s'il n'avaient pas été mobilisé par la préparation du Trouvère, à Bastille, le chœur de l'Opéra aurait sans doute réalisé une performance d'un tout autre niveau.

Venait ensuite Le sacre du printemps, ou plutôt The rehearsal, de Paul Taylor. On jettera un voile pudique sur le caractère "profanateur"  de cette joyeuse parodie, qui a le mérite d'être efficace et d'afficher un humour des plus corrosifs. Transposé dans les Roaring Twenties, ce thriller chorégraphique est ordonnancé de main de maître, et permet aux danseurs-acteurs de mettre en valeur toutes leurs qualités de comédiens. Saluons d'abord les choix de distribution fort pertinents opérés par la Direction de la danse de l'Opéra de Paris, qui ont donné l'opportunité à des artistes habituellement peu distribués dans des rôles de soliste d'exprimer pleinement leur talent. L'audace a été payante, et le succès fut au rendez-vous. Soulignons ici la superbe démonstration dont nous a gratifiés Laure Muret, "Souffre-douleur" d'une inénarrable drôlerie et d'une redoutable sûreté technique. Ses comparses n'étaient pas en reste, avec une Caroline Bance demi-mondaine aussi explosive que brune (!), qui compose avec son escroc-amant, le danseur australien Adam Thurlow, un duo ébouriffant. L'on n'omettra pas de mentionner, au nombre des barmaids, la toujours convaincante Alice Renavand et de mettre en exergue le très beau travail accompli par Géraldine Wiart, que l'on attendait pas à pareille fête dans une chorégraphie contemporaine, et par Nicolas Paul, privé très "cinématographique", évoluant pour sa part dans un univers esthétique qui lui est naturel. Du très beau travail, qui a enchanté le public, d'autant qu'ici, l'accompagnement musical était de très haute qualité. Cette version pour piano à quatre mains - réalisée par Strawinsky lui-même - a été exécutée avec maestria par Elena Bonnay, dont l'impressionnante puissance de frappe donnait une vigueur spectaculaire à la partie grave, et par Christine Lagniel, d'une grande aisance digitale dans les traits virtuose de la ligne supérieure.

L'événement attendu de cette soirée était bien entendu la création de la Septième lune ; si la partition de Jean Prodromidès nous renvoie plus à l'Occident des années 1970 qu'au Japon du quinzième siècle, la musique est néanmoins de qualité. A défaut de génie, l'inspiration est au rendez-vous, les sonorités sont raffinées, la rythmique sophistiquée et efficace. La direction nette et précise d'Arturo Tamayo a fait le reste. Mais venons-en à l'essentiel, c'est a dire la chorégraphie de Davide Bombana, inspiré de Hanjo, un Nô du poète nippon Zeami. Là aussi, l'ensemble est plaisant sur le plan esthétique, et structuré de manière professionnelle et efficace. Rien de bien révolutionnaire dans les mouvements, mais l'on ne s'ennuie jamais, en dépit de l'ascèse revendiquée. Si le décor sobre de Giulio Paolini emporte l'adhésion, les costumes de Yoshiki Hishinuma sont un franc ratage ; strass-paillettes et nylon noir s'accommodent difficilement des intentions du chorégraphe, et la personnalité flamboyante de José Martinez, interprète du Jeune homme dans cette histoire d'amour tragique, vient encore souligner ce trait sans doute involontairement "glamour" de la Septième lune.

Agnès Letestu, Jeune fille glaciale, aux gestes dépouillés et aux expressions livides, n'appelle aucune réserve, tout comme l'impressionnante Stéphanie Romberg, qui s'est impliquée dans le rôle de la Femme avec une très grande conviction. Cette Septième lune - fort applaudie - a également été l'occasion d'apprécier le talent de Myriam Kamionka, surprenante dans une telle oeuvre, ainsi que de Christelle Granier, Aurélia Bellet et Gwenaëlle Vauthier, dont les affinités avec le répertoire actuel ne sont plus à démontrer.

 

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