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: Hommage à Claude Bessy
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Hommage à Claude Bessy
30 mars 2004 : soirée de gala en hommage à Claude Bessy
Pour célébrer dignement le départ à la retraite de Claude Bessy, qui, après une carrière de danseuse étoile au sein du Corps de ballet, a dirigé l'Ecole de danse pendant plus de trente ans, l'Opéra National de Paris avait fait les choses en grand, en nous concoctant un programme d'une durée record de quatre heures et quart. La diversité de style des pièces proposées, qui permettait de mettre en valeur de nombreux solistes ainsi que les élèves de l'Ecole de Nanterre, a toutefois préservé le spectateur de toute lassitude. La soirée s'ouvrait, comme le veut la tradition pour une occasion festive, sur le défilé du corps de ballet, au rythme de la Marche des Troyens d'Hector Berlioz. Sans discussion possible, les applaudissement les plus nourris ont été réservés à Marie-Agnès Gillot ; promue étoile il y a quelques jours, elle tient depuis longtemps déjà une place à part dans le cœur du public, qui lui voue une admiration sans bornes. Après la projection d'un montage vidéo retraçant la biographie de Mlle Bessy, la représentation proprement dite pouvait commencer, avec La barre, une chorégraphie de Maurice Béjart, superbement interprétée par le danseur brésilien William Pedro Da Silva, doué d'une technique remarquable et capable de mouvoir son corps avec une stupéfiante fluidité. Venait ensuite un pas de deux extrait de la Fille mal gardée, exécuté par deux jeunes espoirs du corps de ballet, Mathilde Froustey et Josua Hoffalt. L'on a malheureusement été privé des deux variations, supprimées semble-t-il à la demande de l'orchestre en raison de la longueur exceptionnelle du spectacle. Mlle Froustey et M. Hoffalt ne s'en sont pas moins sortis avec les honneurs d'une épreuve difficile, et ce malgré un trac bien compréhensible. L'on allait d'ailleurs retrouver une Mathilde Froustey complètement libérée cette fois à la fin de la première partie, dans Suite en blanc, de Serge Lifar ; elle y était évidemment moins exposée, mais son enthousiasme et sa joie visible de danser étaient communicatifs. Suite en blanc est une chorégraphie remarquable, qui sied fort bien aux danseurs du Ballet de l'Opéra de Paris, et l'on ne peut que déplorer que les ouvrages de Lifar ne figurent que si rarement aux programmes de la Grande Boutique ; il est même proprement scandaleux qu'on l'ait totalement oublié pour la saison prochaine, qui marquera pourtant le centenaire de la naissance de l'illustre danseur. Tous les interprètes de Suite en blanc se sont très favorablement distingués, et il est difficile de mettre en avant un nom plutôt qu'un autre. Parmi les solistes, Agnès Letestu bénéficie toujours d'une cote d'amour enviable auprès du public, et sa "Cigarette" a été saluée par de nombreux vivas. Mais tous les autres devraient être cités : Jean-Guillaume Bart pour une Mazurka d'anthologie, Isabelle Ciaravola et Yann Bridard pour un adage tout en finesse (l'adage était pour Lifar la partie la plus importante de l'art de la danse, ne l'oublions pas), Delphine Moussin, Benjamin Pech et Christophe Duquenne, qui nous ont donné une leçon de style académique français, évidemment Mélanie Hurel, en grande forme depuis son succès dans Giselle. Et aussi Stéphanie Romberg, Muriel Hallé, ainsi que, dans le corps de ballet, outre Mathilde Froustey, Aurore Cordellier, Karin Villagrassa, Julie Martel, Sabrina Mallem, Bertrand Bellem, Emmanuel Thibault. Pardon à ceux que nous avons oubliés, mais il nous faudrait pratiquement recopier toute la distribution! Alors de grâce, Mme Lefèvre, donnez-nous du Lifar! Auparavant, l'on avait pu admirer Karin Averty, l'une des meilleures spécialistes du répertoire néoclassique, dans un fragment des Deux pigeons, une chorégraphie d'Albert Aveline sur une jolie musique d'André Messager. Son partenaire y était le toujours remarquable Alessio Carbone, efficacement secondé par les élèves de l' Ecole de danse, qui tous ont fait preuve d'un zèle touchant pour se monter à la hauteur de l'événement. La première partie n'aurait été complète sans Daphnis et Chloé (Maurice Ravel / Georges Skibine), que Marie-Agnès Gillot avait déjà dansé lorsqu'elle était encore élève de l'école de danse. En dépit d'un porté un peu hasardeux, Yann Saïz s'est avéré un Daphnis de premier ordre, qui, ainsi qu'il l'avait déjà démontré il y a quelques mois dans Prélude à l'après-midi d'un Faune, n'a pas son égal pour transcrire dans les mouvements du corps les coloris clairs et subtils de la musique française impressionniste et post-impressionniste. Après l'entracte venait une large page de Bach-Suite 2 ; l'immense talent de Kader Belarbi n'aura cependant pas suffit à nous garantir de l'ennui que distille cette chorégraphie aussi pompeuse que vide de substance due à Francine Lancelot. Les allusions au style baroque y sont autant de maniérismes lourdauds, dépourvus d'intérêt artistique. L'on jettera également sept voiles pudiques sur le final de Salomé (Drigo / Béjart), où Patrick Dupond, travesti, jouait les coupeuses de têtes. Mais pouvait-on imaginer un tel gala sans la participation de l'ancien danseur étoile? Dernière déception, le bref passage du second acte du Lac des cygnes ; l'on ne saurait rien reprocher de sérieux ni aux solistes - Sylvie Guillem et Nicolas Leriche -, ni au corps de ballet, mais l'atmosphère était compassée, sans âme. Une honnête routine. En revanche, Yondering, de John Neumeier, exhalait une indicible bonne humeur et la jubilation des danseurs - au nombre desquels on citera particulièrement MM. Ganio, Bertaud, Mitilian, Dominiak et Gaillard - a eu tôt fait de contaminer un public manifestement ravi. Il fut tout aussi enchanté de la performance technique et théâtrale de Laurent Hilaire dans Hasapiki solo de Maurice Béjart, pièce virtuose sur une musique endiablée de Mikis Theodorakis, inspirée par des airs populaires grecs. Il est certain que M. Hilaire sera fort regretté lorsqu'il prendra prochainement sa retraite, et nombre de ses admiratrices et admirateurs avaient hier soir un petit pincement au cœur. Beau succès également pour One of a Kind (Dean / Kylian) où se sont illustrés Raphaëlle Delaunay et Ken Ossola, ainsi que pour Kiki la rose (Berlioz / Kelemenis), solo dansé par Eric Vu-An et surtout Petite mort (Mozart / Kylian), restitué avec la plus grande délicatesse et une grande sensibilité musicale par Aurélie Dupont et Manuel Legris. De grands moments encore, avec Sylvia-Pas-de-deux, qui a valu un triomphe a Agnès Letestu et José Martinez ; ils forment à la scène un couple mythique, qui sait toujours insuffler ce qu'il faut de panache, de brio et aussi d'humour pour tirer toute la substance de ces pièces un peu superficielles qu'affectionnait tant George Balanchine. L'on peut évidemment contester le côté un peu "glamour" de ce genre d'exhibitions, mais elles apportent toujours au public cette part de rêve dont il a tant besoin ; et combien se sont décidés a s'adonner au noble art de la danse classique après avoir admiré Mme Letestu et M. Martinez, qui incarnent auprès des plus jeunes, l'archétype de la ballerine et de son cavalier? Style américain toujours avec Pas de dieux, que Gene Kelly avait destiné à Claude Bessy en 1960, et qu'Eleonora Abbagnato nous a divinement restitué, et nous confortant dans l'idée que c'est véritablement dans le répertoire moderne que le talent de la belle Italienne est le mieux exploité. Karl Paquette lui a donné une excellente réplique, tandis que les exceptionnels talents de comédien de Wilfried Romoli - autre danseur essentiellement contemporain et que l'on devrait sans doute beaucoup voir la saison prochaine - ont une fois de plus remporté l'adhésion. A tout seigneur tout honneur, c'était évidemment aux élèves de l'Ecole de danse qu'il revenait de conclure avec éclat cette soirée historique avec Concerto en ré, un ballet sur une musique de Jean-Sébastien Bach et qui avait été spécialement créé pour leurs prédécesseurs en 1977 ; ils ont été récompensés, tout comme leur directrice, par une interminable ovation.
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