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: Spectacle Kelemenis - Brown - Preljocaj - Balanchine
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Spectacle Kelemenis - Brown - Preljocaj - Balanchine (Pavane - Glacial decoy - Un trait d'union - Liebeslieder Walzer)
17 décembre 2003, 19 h 30 : soirée de ballet au Palais Garnier
Une soirée de plus – peut être une soirée de trop – dans la série d’hommages consacrés à Georges Balanchine par le Ballet de l’Opéra National de Paris, avec les Liebeslieder Walzer, sur des mélodies pour quatuor vocal avec accompagnement de piano à quatre mains de Johannes Brahms, qui occupaient toute la seconde partie d’un programme fort composite, pour ne pas dire hétéroclite. Ces Wiener Bonbons mâtinés de Candy made in USA, chorégraphiés en 1960, font aujourd’hui seulement leur entrée au répertoire de la Grande boutique. Considérées par certains historiens de la danse comme la quintessence même du style balanchinien, force est de constater que les deux séries de respectivement dix-huit et quinze valses peuvent, si elle ne sont pas abordées avec distanciation et humour, rapidement distiller un ennui certain et sombrer dans le kitsch ; ce fut malheureusement en partie le cas pour cette première parisienne. Des huit protagonistes, seule Agnès Letestu semble avoir réellement compris et rendu à la perfection les intentions du chorégraphe, affichant une désinvolture et une superficialité très savamment étudiée, en flirtant avec la trivialité sans jamais y tomber. Du grand art, en dépit de quelques batteries dirons-nous «minimalistes» dans la seconde partie... Delphine Moussin, légère, aérienne et d’une exquise précision, a approché le Parnasse sans l’atteindre tout à fait : il ne lui manquait que cette petite touche de folie, d’insouciance qui fait le prix de l’interprétation de Mme Letestu. Aurélie Dupont nous a pour sa part joué une «Sissi à Disneyland» clinquante à souhait, tandis que Laetitia Pujol ne nous a rien joué du tout. La technique seule – peu sollicitée- n’est ici d’aucun secours, et s’en tenir à une lecture au premier degré est rédhibitoire. Même constat chez les hommes ou il n’y a guère que Laurent Hilaire – et fugitivement Jean-Guillaume Bart – qui aient su nous distiller un peu de cette sophistication canaille que l’on a trop souvent attendue en vain. L’accompagnement
musical était d’excellente qualité, avec des chanteurs de bon niveau
; l’alto suédoise Ann Hallenberg s’y est particulièrement distinguée
par ses graves ronds et pleins. De même, les pianistes Elena Bonnay et
Christine Lagniel ont obtenu de leur instrument une très grande variété
de coloris et de nuances, alliant avec bonheur virtuosité digitale et
élégance de style. L’atmosphère était bien différente avant l’entracte, avec trois ouvrages résolument contemporains, qui nous tenaient éloignés du confort biedermeier d’un salon viennois. Pavane, tout d’abord, était la reprise du Pas de trois de Réversibilité, un ballet de Michel Kelemenis créé en décembre 1999 au Palais Garnier. Isolée de son contexte, cette Pavane a perdu une large partie de son impact : plus grave, la chorégraphie de M. Kelemenis, fondé sur une gestique âpre, tourmentée, entrecoupée de brefs instant d’immobilité semblait faire fi de la musique de Maurice Ravel, au rythme lent et aux harmonies nimbées de mélancolie. Et pourtant, ici, à aucun instant les interprètes, Kader Belarbi, Nolwenn Daniel et Wilfried Romoli n’ont failli à leur tâche, exécutant chaque mouvement avec une limpidité exemplaire. L'idée, pourtant esthétiquement assez séduisante, de transposer sur pointes le rôle féminin, en lieu et place des demi-pointes de la version d'origine n'aura pas suffi à sauver complètement cette Pavane. Suivait Glacial Decoy, de Trisha Brown, autre première au répertoire du Ballet de l’Opéra. Seule Miteki Kudo a su faire sienne cette chorégraphie ascétique, dépourvue d’accompagnement musical, et offrant pour unique décor une mosaïque de diapositives en noir et blanc réalisées par Robert Rauschenberg. Ni Aurélia Bellet, trop athlétique, ni Caroline Bance, dont le tempérament flamboyant s’accommode difficilement de pareille épure, ni même Laurence Laffon, pourtant d’une étonnante versatilité, n’ont réellement convaincu ici. Par ailleurs, de très légers décalages entre Mmes Bance et Laffon, qui, dans tout autre contexte auraient semblé véniels, venaient çà et là perturber l’harmonie d’une pièce si dépouillée qu’elle n'en souffre la plus infime imperfection. Le seul moment de véritable émotion fut au bout du compte Un trait d'Union, troisième et dernière nouveauté à l'Opéra de Paris, même s'il s'agit d'une chorégraphie vieille de près de quinze ans. La musique, une bande enregistrée due à Marc Khanne, reprend entre autres le Largo - rééchantillonné ! - du concerto BWV 1056 de Bach, n'est pas un chef d'œuvre, loin s'en faut, mais créé une succession d'atmosphères sonores habilement mises à profit par M. Preljocaj pour accroître la force expressive de son propos ; mettre en scène un jeu de séduction et de répulsion au sein d'un couple homosexuel n'était pas un défi aisé à relever, et Angelin Preljocaj y est parvenu avec maîtrise, habileté et tact. L'ouvrage a bénéficié d'une interprétation de très haute tenue, tant sur le plan de la danse que du jeu d'acteur. MM. Hilaire et Romoli ont formé un duo admirable de bout en bout, techniquement parfait et d'un impact émotionnel hors du commun. L'on imagine par ailleurs les efforts de préparation que des figures telles ces étonnants sauts à plat ont du coûter à Laurent Hilaire, dont le rôle accumulait les difficultés insidieuses. Ce Trait d'union mérite à lui seul que l'on se déplace au Palais Garnier, même si vingt minutes de bonheur, sur un spectacle de près de deux heures, cela peut paraître un peu chiche...
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