Dansomanie : critiques : Soirée Balanchine - Robbins
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Ivan le Terrible

12 décembre 2003, 19 h 30 : Ivan le Terrible chorégraphié par Iouri Grigorovitch à l'Opéra Bastille

 

 

L'on pouvait légitimement nourrir quelque appréhension lorsque l'Opéra National de Paris a décidé de reprendre Ivan le Terrible dans la chorégraphie de Iouri Grigorovitch, vieille de près de 30 ans. Ballet "à la soviétique", spectacle "daté", fortement marqué par les années 1970, aurait-on pu craindre. Il n'en a rien été. Sur près de deux heures de danse, seule la scène de l'élection d'Anastasia, tout au début, accuse un kitsch un peu passé de mode. Pour le reste, cette production n'a rien perdu de son efficacité, et gagne même à être présentée sur l'immense plateau de l'Opéra Bastille, propice aux mises en scène spectaculaires. Le décor et les costumes de Simon Virsaladzé sont demeurés fort plaisants, et s'accordent bien à la musique de Prokofiev, même s'il ne s'agit pas là de la meilleure partition du maître Russe. Rappelons à ce sujet que Iouri Grigorovitch ne s'est pas tenu stricto sensu à la musique composée pour le film d'Eisenstein, mais y a intégré des éléments provenant d'Alexandre Nevski, de l'Ouverture russe et de la Troisième symphonie du même Prokofiev.

Le nombre de solistes est réduit à trois, et il est fait une large part aux grands ensembles. Le corps de ballet s'est fort bien comporté, même si parfois on l'aurait souhaité un peu moins sage. Certaines individualités ont néanmoins émergé. Chez les hommes, l'on a apprécié l'engagement de Martin Chaix et Grégory Dominiak, deux "Guerriers russes" fort prometteurs. Parmi les valeurs confirmées,  Emmanuel Thibault s'est comme à l'accoutumée très favorablement distingué aussi bien en Tatar qu'en Opritchnik. 

Du côté des femmes du peuple, l'on aura surtout remarqué Sarah Kora Dayanova et Zsófia Párczen, qui n'est jamais aussi à son aise que dans des rôles qui requièrent énergie et  ampleur dans la gestique. Mathilde Froustey campait une fiancée d'honnête facture, mais l'on se demande quand même si elle possède déjà véritablement l'étoffe - elle n'est encore que quadrille - pour incarner Anastasia, rôle qu'elle tiendra lors de la représentation du 6 janvier. Il semblerait que la Direction du Ballet de l'Opéra National de Paris se soit, par ce choix surprenant, engagée dans une audacieuse politique de promotion des jeunes talents...

Mais venons-en, précisément, aux personnages principaux ; s'il nous est arrivé plus d'une fois de douter de la pertinence des distributions de ballet à l'Opéra National de Paris, il faut reconnaître ici que réunir Nicolas Le Riche, Eleonora Abbagnato et Karl Paquette constituait incontestablement la meilleure combinaison possible.

M. Le Riche, décidément dans une forme époustouflante, campe un Ivan IV idéal, techniquement parfait et d'une saisissante intensité sur le plan théâtral. Nicolas Le Riche enchaîne depuis le début de la saison des rôles physiquement très exigeants, sur de longues séries de représentations, et semble pourtant toujours d'une fraîcheur et d'une vigueur proprement sidérante.

Eleonora Abbagnato est une Anastasia idéale, émouvante, fragile, aux mouvement d'une grâce incomparable, avec des piétinés d'une fluidité vraiment extraordinaire. Beaucoup s'attendaient à ce qu'une performance de ce niveau soit récompensée d'un titre d'étoile ; l'espoir fut déçu, mais peut-être n'est-ce que partie remise.

Enfin, Karl Paquette, un peu décevant dans Clavigo, s'est avéré ici au mieux de sa forme, et son Kourbsky rendait parfaitement toute l'ambiguïté du personnage, noble mais veule, amoureux mais prêt, par arrivisme, aux pires compromissions.

Des recettes éprouvées, donc, mais au service d'un grand et beau spectacle que l'on ne se lasse pas de revoir. A ne pas manquer d'autant que, pour ajouter au plaisir des yeux, nos oreilles sont aussi à la fête, grâce à un orchestre de l'opéra admirable de précision et de justesse, au coloris finalement assez slave (avec des cuivres à la sonorité "blanche"), dirigé avec expertise et style par Vello Pähn.

 

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