Dansomanie : critiques : Soirée Balanchine - Robbins
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Soirée Balanchine - Robbins (Concerto barocco - Afternoon of a Faun - Tchaïkovski Pas de deux - Serenade)

1er et 4 décembre 2003, 19 h 30 : suite de l'hommage à George Balanchine au Palais Garnier

 

 

Le ballet de l'Opéra National de Paris poursuit sa saison commémorative en hommage à George Balanchine en reprenant trois chorégraphies de Mr. B. Concerto barocco, Tchaïkovski Pas de deux et  Serenade. Le programme - un peu court - de la soirée est complété par Afternoon of a Faun, de Jérôme Robbins.

Les soli de Concerto barocco étaient, pour la première, confiés à Laëtitia Pujol, Karin Averty et Laurent Hilaire. M. Hilaire a assumé son rôle avec le sérieux et le professionnalisme qu'on lui connaît, mais sans ce supplément d'âme, cet investissement total qui rendent mémorable une représentation . Laëtitia Pujol s'est avérée pour sa part fort décevante, des incertitudes techniques difficilement compréhensibles ayant largement entaché sa prestation. En revanche, Karin Averty fut étincelante de bout en bout, tant sur le plan de la danse pure que de l'expression théâtrale. Mlle Averty a su trouver les attitude hiératiques, le jeu de jambe sec et précis qui conviennent à cet ouvrage austère, qui porte mal son titre ; il évoque  le dépouillement,  la sobriété de l'Antiquité grecque, bien plus que l'exubérance du baroque. Après sa magnifique prestation dans les Quatre tempéraments, Karin Averty semble vouloir, avant de quitter la scène de l'Opéra de Paris, offrir a son public une dernière grande démonstration de son talent. Parmi les second rôles l'on remarquera une fois de plus l'excellente Nathalie Aubin, à son aise dans pratiquement tous les répertoires, ainsi que Céline Talon, aux poses altières et d'une irréprochable pureté de style. Aurore Cordellier a été moins convaincante, mais cette artiste prometteuse est bien mieux mise en valeur dans le grand répertoire romantique que dans un néo-classicisme qui lui sied mal.

Tchaïkovski  Pas de deux figurait déjà au programme de la soirée d'ouverture de la saison 2003-2004, et avait donnée à Aurélie Dupont l'occasion d'un extraordinaire numéro de virtuosité. Elle ne l'a pas entièrement renouvelé cette fois, prenant manifestement moins de risques. Sa prestation n'en fut pas moins de haut niveau, d'autant qu'elle était efficacement soutenue par Manuel Legris, qui excelle dans ce type de chorégraphie exigeant à la fois une technique hors-pair et un engagement  physique important.

La seconde partie du spectacle s'ouvrait sur Afternoon of a Faun, une chorégraphie fort statique et pas toujours très inspirée de Jérôme Robbins. Nicolas Leriche, très sollicité cette année, et Eleonora Abbagnato, on fait de leur mieux pour crédibiliser ce pâle succédané du chef-d'œuvre de Nijinsky. L'année précédente, Melle Abbagnato avait déjà campé une superbe Novice dans The cage, et elle confirme ici son affinité avec le style de Robbins. Si la Direction de la Danse de l'Opéra de Paris risquait un jour le coup d'audace de nommer une étoile sur un ballet contemporain, c'est assurément à Eleonora Abbagnato que devrait échoir cet honneur.

En conclusion -et c'était là en fait le plat de résistance - venait l'ébouriffante Serenade de Balanchine, sur une musique de Tchaïkovski à nouveau. Cette pièce brillante, qui comporte plusieurs grands manèges, a permis à certaines individualités du corps de ballet de s'exprimer,  à commencer par Alexandra Cardinale, dont le jeu bondissant et extraverti s'accorde merveilleusement aux créations les plus dynamiques de Mr. B. L'on regrettera que Yann Bridard ait été quelque peu sous-employé ; ce danseur de grande valeur - qu'on espère aussi voir un jour promu au rang d'étoile - aurait mérité un rôle plus significatif. Marie-Agnès Gillot a de nouveau fait la preuve de son éclatante supériorité technique, abordant Balanchine avec une aisance, une simplicité et un naturel déconcertants, tandis que Laurent Hilaire et Agnès Letestu ont interprété une Valse parfaite du point de vue de la danse, mais exagérément maniérée, sophistiquée dans l'expression. Ce défaut existait également, mais de manière moins marquée, chez Delphine Moussin, qui pour le reste est apparue à son meilleur niveau.

Enfin, dans la fosse, l'orchestre Colonne avait à cœur de faire oublier sa Giselle lamentable de la saison passée ; sous la direction ferme et précise de Paul Connelly, il a exécuté de manière toute a fait remarquable le Prélude à l'après-midi d'un Faune de Debussy (avec notamment une excellente petite harmonie) et la Sérénade pour cordes op. 48 de Tchaïkovski, qui s'ouvre sur de redoutables unissons aux contrebasses et qui furent d'une louable justesse. Un  très sérieux travail de répétition a de toute évidence été mené cette fois ; fasse que cela dure!

 

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Surprise de taille lors de la représentation du 4 décembre : Laetitia Pujol, distribuée cette fois dans Tchaïkovski - Pas de deux, est apparue totalement transformée. Alors que sa contre-performance incompréhensible dans Concerto Barocco laissait présager une catastrophe dans Pas de deux, une chorégraphie très exigeante sur le plan technique, Mlle Pujol, efficacement soutenue par un Jean-Guillaume Bart virtuose et raffiné, nous a gratifié d'une prestation d'excellent niveau,  propre dans l'exécution et dynamique dans le jeu scénique. Il est heureux que le ratage de la première soit à imputer à une défaillance passagère, et il faut espérer que le retour en forme de Laetitia Pujol se confirme dans les jours à venir. La soirée du 3 nous a également réservé un heureux retournement de situation, concernant Aurore Cordellier. Mlle Cordellier, qui peinait à trouver ses marques lors de la première, s'est aujourd'hui fort bien comportée dans ce même Concerto Barocco, qu'elle a dansé avec une précision irréprochable et un bonheur tout à fait communicatif. Karin Averty est demeurée égale à elle-même, tandis qu'Aurélie Dupont a fait preuve de panache, mais possède une gestique un peu trop fluide pour un ouvrage qui requiert plus de nervosité dans le mouvement.

Serenade nous a révélé une Delphine Moussin radieuse, en très grande forme, tandis que Mme Letestu et M. Hilaire ont abordé cette partition de manière plus spontanée et convaincante que lors de la soirée du 1er décembre. Dans le corps de ballet, Sabrina Mallem s'est détachée du lot, révélant de réelles affinités avec le style de Balanchine.

En revanche, Afternoon of a Faun fut un échec complet. Karl Paquette - qui est pourtant un très bon élément - n'a pas semblé concerné par son rôle, tandis qu'Émilie Cozette était dépourvue de présence scénique, laissant le public dans une totale indifférence. Ce n'était vraiment pas rendre service à Mlle Cozette que de la distribuer dans un ouvrage qui n'est manifestement pas fait pour elle, et où elle n'avait aucune chance de rivaliser avec une Eleonora Abbagnato incandescente.

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