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: Don Quichotte
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Don Quichotte
9 novembre 2003, 20 h 00 : nouvelle chorégraphie de Don Quichotte de Pietragalla à Marseille
Un grand ballet du répertoire romantique revisité par Marie-Claude Pietragalla constituait un événement à ne pas manquer, et l'on attendait beaucoup de cette relecture d'un ouvrage rebattu. Pourtant, le résultat ne fut pas entièrement à la hauteur des espérances. Les raison de cette relative déception tiennent essentiellement à des choix dramaturgiques contestables : au lieu d'une rupture franche avec la version Nouréev telle qu'elle est donnée à l'Opéra de Paris depuis 1980, Mme Pietragalla s'est contentée d'une opération cosmétique sans portée véritable : le rôle-titre a été un peu étoffé, principalement par des ajouts chorégraphiques sur des musiques empruntées au flamenco, au chant hispanique d'inspiration mozarabe et a la Vida breve de Manuel de Falla, autant de greffes qui avaient peine à prendre, en dépit d'une écriture habile des transitions avec la partition de Ludwig Minkus. De quelle partition s'agissait-il, justement? Officiellement, d'un retour aux sources qui devait nous permettre d'entendre des passages jusqu'alors inconnus de l'oeuvre. Dans les faits, l'on a eu la désagréable impression de retrouver l'arrangement médiocre de John Lanchbery, à l'orchestration certes un peu dégraissée, mais pas fondamentalement remaniée. Un vrai travail musicologique faisait ici défaut. L'on sera d'autant moins indulgent que l'orchestre de l'Opéra de Marseille - une formation pourtant capable de briller - s'est avéré fort insuffisant, avec des cuivres d'une désinvolture inacceptable. De plus, la directrice musicale, Elizabeth Cooper, aurait avantage à se souvenir que dans un ballet, ce sont les instrumentistes qui accompagnent les danseurs, et non l'inverse. Si l'ossature de cette nouvelle production demeurait ainsi, la version Nouréev / Lanchbery en trois actes, elle n'en faisait pas moins appel, au détriment de la logique d'ensemble, à des éléments épars empruntés aux mises en scène qui ont marqué la carrière de Don Quichotte : - Retour à Marius Petipa et à la création moscovite pour Sancho Pança, qui perd son accoutrement de moine pour redevenir écuyer, et pour Dulcinée, qui est, comme en 1869, dansée par une autre ballerine que Kitri. - Version de Saint-Pétersbourg (1871) pour la scène de la vision de Don Quichotte (scène des "Dryades"), interprétée, en totale incohérence avec le choix précédent, par la titulaire du rôle de Kitri et non de celui de Dulcinée. - Saint-Pétersbourg 1871 toujours pour la mort de Don Quichotte, mais reportée avant la conclusion, au milieu de la scène du Mariage, pour finir - en l'affadissant, mais ce reproche vaut également pour Nouréev - l'ouvrage de manière heureuse, comme dans la version Gorski (Saint-Pétersbourg 1902), à laquelle on doit aussi la scène de la Taverne. La distribution de la soirée du 9 novembre était marquée par la présence d'Alexandra Cardinale et d'Alessio Carbone, du ballet de l'Opéra National de Paris, dans les rôles principaux. L'on oubliera vite quelques petits problèmes techniques inattendus de la part de ces deux remarquables artistes (réception hasardeuse au I pour A. Carbone, équilibres légèrement instables et fouettés manquant parfois de précision pour A. Cardinale au I et au II). Tous deux se sont rachetés par une formidable démonstration de virtuosité dans la scène du mariage au troisième acte ; les entrechats d'Alessio Carbone demeurent d'une perfection sans égale, et confirment avec éclat son statut d'étoile potentielle au sein du ballet de l'Opéra National de Paris, tandis qu'Alexandra Cardinale enchaînait les pirouettes avec une énergie rayonnante. Mlle Cardinale a, de manière générale, composé une Kitri surprenante, au meilleur sens du terme, humaine, juvénile, mêlant de manière extrêmement touchante candeur et ludisme, prouvant qu'elle est a même de tenir des parties de première importance. Cumulant les rôles de la Fille des rues et de la Reine des Dryades, Delphine Baey, une ancienne de l'Opéra de Paris, a fait très bonne impression, et a semblé s'épanouir pleinement sous le soleil méditerranéen, loin des affres de la vie artistique trépidante de la capitale. L'on se souviendra aussi de la Gitane au caractère affirmé et à la technique sûre de Valérie Blaeke, et de son partenaire, Frédérique Tavernini (le Gitan), également interprète brillant d'Espada. Julien Derouault campait un Don Quichotte de bon niveau, au jeu de jambe propre et précis, qualité qui faisait en revanche un peu défaut à Angelo Vergari (Sancho Pança), par ailleurs habile acrobate et bon comédien. Le Gamache un peu timoré de Marcos Marco n'a pas véritablement convaincu, et semblait d'autant plus en retrait que Thibault Amanieu caricaturait jusqu'à l'outrance un Lorenzo à la dégaine de business-man mafieux. Enfin, l'on louera le bon niveau du corps de ballet, et il faut reconnaître - en dépit des réserves formulées au sujet de la chorégraphie - à Marie-Claude Pietragalla le mérite d'en avoir considérablement rehaussé le lustre, au point d'en faire aujourd'hui la deuxième compagnie française.
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